As de denier : Chapitre 4

Par Kieren

En numérologie, le 1 représente : la pureté, l'essence, la source d'une rivière, le commencement et le départ.

En alchimie, le Denier représente la Terre : la nature, le corps, l'alimentation, le travail, l'argent, la valeur, les habits et la routine.

Pour un jeu de carte classique, le Carreau représente le Denier.

 

L'âme des objets

Chaque objet a une essence, quelque chose qui le définit, pour nous et pour les autres, mais pas forcément de la même façon. Cela lui donne des connexions dans l'Univers, qui le relient à d'autres objets, à d'autres significations, à d'autres personnes. Cela lui donne une valeur, et une valeur qui n'est pas forcément la même pour deux personnes différentes.

On peut donner une pierre pour un diamant, et un diamant pour une pierre. Cela nous invite donc à évaluer la valeur des objets que l'on a, car on pourrait être en possession de quelque chose que l'on considère comme inutile, alors qu'il pourrait être indispensable, voire vital, pour d'autres.

Il y a aussi la notion d'une vie à part entière dans un objet. Il y aura sa naissance, par un processus artistique, industriel, ou hasardeux. Il y aura son parcours de vie, simplement utilitaire, ou basé sur une véritable connexion avec son propriétaire. Il y aura son entretien, sa nourriture et ses soins, ou sa mort et son remplacement immédiat par un clone. Il existera même un deuil, dû à un véritable attachement émotionnel basé sur les souvenirs et le partage d'aventures; ou juste du regret à l'idée de la perte d'un capital. Peut être même que nous pourrions parler d'héritage ? Mais à ce compte là, partageons nous des objets, des souvenirs, ou de l'argent ?

Cela peut faire sourire certains que je parle d'âme pour un objet, cela peut faire très... mystique. "Bla bla bla; nature et pierres précieuses et fleurs sauvages...". Sans déconner, vous voyez pas le parallèle avec l'être humain et la façon dont on considère notre prochain ?

L'autre, là ! Celui que l'on croise dans la rue, et que l'on ne regarde même pas. Et qui ne nous regarde pas non plus d'ailleurs. Est-il seulement vivant ?

Ils sont passés où les enfants que nous étions, qui s'émerveillaient et se cachaient derrière chaque grandes personnes ? Elles sont passées où les histoires que nous nous racontions, sur cette vieille dame qui habitait au bout de la rue ? Celle-là même qui nous offrait des bonbons parce que nous étions gentils; parfois, elle devenait sorcière pour nourrir notre imagination.

Elle est passée où, aujourd'hui que nous sommes devenus adultes ? Cela n'a plus vraiment d'importance. Nous avons des responsabilités, nous devons travailler pour gagner de l'argent, payer notre crédit, ou les jouets du petit. Lui, on le regarde encore, il a une âme, on le respecte, on le considère. Parfois, seulement parfois. Et puis il grandira. Il s'en ira. Et nous, nous serons vieux. Nous serons seuls. Nous achèterons alors des bonbons. Mais il n'y aura plus d'enfants dans les quartiers avec qui les partager; ils seront tous sur la télé, sur internet et sur leurs téléphones portables. Ils joueront à cache-cache avec le contact humain. Mais comment leurs reprocher, nous leurs avons donner l'exemple. 

Voyons-nous les autres comme des semblables ou comme des objets, des outils, des moyens, des ressources ? Comment voyons nous les commerçants et les clients ? Comment voyons nous les voyageurs ? Les héros ? Les dictateurs ? Leur dit-on encore bonjour avec le cœur ?

Non. Nous les voyons à travers notre écran. À travers un filtre que nous avons dressé pour nous séparer de la réalité. Autant dire que nous ne les avons jamais vu, et que nous ne les verrons jamais.
 

Alors oui, considérer les objets qui nous entoure est un bon exercice , je trouve, pour apprendre à considérer autrui, comme quelque chose d'au moins respectable. À la limite humain, pour ceux qui veulent faire un effort.
 

Merci à ceux-là.


 

Réflexion personnelle. Pour en revenir sur le processus créateur, est ce qu'un objet fait à la chaîne est forcément dépourvu d'âme ? Un bébé éprouvette a t-il une âme ?

De facto; ai-je une âme ? 

Je ne sais pas. Mais je suis tout de même un bien formidable objet.

 

 

Le Loiret : "Un monde encore bien trop fragile"

Il n'y avait rien à faire, tout allait être perdu, encore une fois. En sécurité sur le toit, à côté de la girouette qui s'agitait frénétiquement, affolée, le Loiret fixait la masse blanche isolée entre les vagues, immobile au milieu de rien, mais ironiquement située sur le trajet de la maison, cette dernière s'y rapprochant doucement, dangereusement, inexorablement.

Que faisait une dent de cette taille sur son chemin, seule ? Ce n'était pas la saison, elle aurait dû être au Nord, avec les autres. S'était elle égarée ? Cherchait elle sa route ? Possible; ses yeux immenses et globuleux, véritables protrusions difformes germant de part et d'autre de cette masse d'ivoire, scrutaient dans toutes les directions, affolés eux aussi. Le Loiret, lui, avait un pincement au cœur, il allait tout perdre, non pas à cause d'une colère aveugle des grandes puissances de la nature, mais à cause d'un inconnu emprunté qui allait lui demander son chemin. Car déjà la dent aperçu sa chaleur, et tous les yeux se posèrent sur le Loiret. Puis le mastodonte se dirigea vers lui, avec empressement, provoquant remous et écumes, insoucieux de la fragilité de la maison. Sur sa trajectoire en ligne droite, cet être balourd en percuta une, vacante, sans s'en apercevoir, et la fit voler en éclats. Il avait pris sa décision, et rien n'allait pouvoir l'en détourner. Le Loiret lui indiquait tout de même la direction à prendre, frénétique de grands gestes amples, lui montrant le Nord, espérant sans grande conviction que cela lui suffise. Malgré tout, les yeux scrutait la bonne direction, mais cela n'allait pas être suffisant : la dent était curieuse et polie, il fallait qu'elle le remercie. Il était cependant à noter qu'elle eut la courtoisie de ne pas le percuter de plein fouet, mais juste de le frôler, une câlinerie amicale pour ces béhémoths sensibles, mais ignorants de leurs propres forces. Et même si ce geste, faisant guise d'amour et de gratitude, était empli de précaution, il déchira une partie du mur Ouest.

 

C'était fini.

 

Déjà la maison prenait l'eau, toutes structures allaient se dissoudre, les poutres qui maintenaient avec difficulté la carcasse allaient céder sous leurs propres poids, de par leurs propres forces. Le Loiret restait en sécurité sur le toit, à côté de la girouette, mais il allait perdre tout ce qu'il possédait, tout ce qu'il avait accumulé durant cette vie sur cette maison : il ne voulait pas recommencer de zéro, il ne voulait pas oublier.

 

Ignorant la dent qui repartait déjà vers le Nord, le Loiret se jeta dans un trou de la maison, d'où s'échappaient crissements douloureux et craquements tonitruants. Une longue plainte poussée par un vaisseau dépérissant. Déjà, les murs se rapprochaient, écrasés et étirés de toutes parts, les poutres se déséquilibrant les unes et les autres, certaines cherchant à maintenir un semblant de cohérence, tandis que d'autres ne faisaient que hurler de douleur et d'effroi.

Le Loiret courait et courait sur le bois, sautant de poutre en poutre, ses oreilles assaillies par les explosions, s'abritant ça et là pour échapper aux éclats de shrapnel qui fusaient tout autour de lui. Il n'y avait que peu de cachettes, mais il avait l'habitude de s'abriter dans les cicatrices. Finalement, il atteignit son jardin secret, encore intact ; par miracle. Mais il lui restait à faire un choix, le plus difficile : il n'avait le temps de ne prendre qu'un objet ; après, ce serait trop tard, trop dangereux. Il avait déjà fait le choix de ne pas sauver tous ses souvenirs, pas au risque d'en devenir un, lui-même. Il fixa longuement sa balle en caoutchouc rouge, son lapin automate, sa boite à pastels. C'étaient eux que le Loiret voulait sauver, mais le dés à coudre était le plus facile à emporter. Il voulu dire adieu aux autres, mais déjà la poutre, dans laquelle il était, poussa un long gémissement, lugubre. Puis, tout implosa, son lit de plume vola en éclat, transpercés de toutes parts d'épieux et de débris de bois pourris. L'automate explosa en une multitude d'engrenages qui fusèrent au dessus de la tête du Loiret. Ce dernier n'assista pas à la mort de ses autres compagnons, il n'en avait pas le luxe, ni le courage.

Il était lâche, il préférait vivre.

Il s'enfuit de son jardin secret, perverti par la réalité infernale qu'était sa vie à cet instant. Avec larmes et détermination, souffle court et entailles, le Loiret réussit à sortir sain et sauf de ce cercueil flottant.

Et, il avait réussi à sauver au moins un souvenir; un seul, mais un quand même.

Perché sur sa tête, le dés à coudre avait été percuté par un éclat de bois durant sa course folle ; sans doute lui avait-il sauvé la vie.

Le Loiret atteignit la girouette à temps, déjà les tuiles se fissuraient et s'écrabouillaient les unes dans les autres. La maison se broyait sur elle-même. Le Loiret grimpa dans sa nacelle de fortune, au sommet de ce monde qui sombrait, dans des hurlements terribles et pathétiques qui faisaient des bulles. La girouette finit enfin par toucher l'eau, et flotta.

C'était fini, le Loiret le savait. Il avait perdu sa maison, son jardin secret, encore ; mais il était vivant, et il avait gardé un souvenir. Un seul, sur des années d'errances, et c'était le plus récent. Cette pensée le fit glousser au milieu de ses pleurs. Il finit par ouvrir les yeux et fixa le Ciel ; il y avait quelques nuages, épars. Puis, assailli de remords et de regrets, il se pencha vers la surface cristalline de la mer pour assister aux derniers instants de sa maison, qui déjà disparaissait peu à peu dans les ténèbres.

Mais soudain, il y eut un à-coup, imprévu. Le Loiret perdit l'équilibre, se rattrapa à temps pour ne pas basculer par dessus bord. Mais il ne put retenir son dés à coudre, et celui-ci chuta dans l'Océan, coulant avec la maison.

 

Atterré, le Loiret poussa un cri de dégoût et de désespoir. Puis, de rage, d'impuissance et enfin de pure douleur. Hurlant au Ciel, il se purgea. Puis, livide, il se retourna et remarqua enfin l'origine de son malheur. La dent, immense et stupide, était revenue. Elle avait encore oublié son chemin, ou voulait-elle le confirmer pour apaiser ses peurs ? Le Loiret, écœuré et apathique, pointa le Nord une nouvelle fois, sans mot dire, servile et serviable, toujours face aux géants de ce monde, mais sans lâcher des yeux l'auteur de sa souffrance, qui repartit sur les flots, très content de lui-même, car encore innocent, pour l'instant.

 

Finalement, il ne se passe jamais rien de bon sur cette girouette, c'était pour ça que le Loiret la détestait. Mais c'était son amie. Sa seule amie, sur qui il n'avait jamais pu compter. Et déjà, celle-ci dérivait vers une nouvelle maison, là où la sécurité et le confort n'appartenaient qu'à ceux qui en connaissaient leur ultime essence, leur seule richesse.

Celle d'être éphémère.

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