Cher lecteur, ce que l’on peut admettre en son for intérieur, lorsque nos pas nous mènent vers les inquiétantes prémisses d’une quête, est que l’inconnu, est une invitation à l’incroyable. Il ne s’agit pas là, de foncer en toute hâte, ou de tenter de se dérober à l’inévitable, mais de réfléchir, en son âme et conscience, sur le comportement à employer. Car cette réflexion, exigeant de soi-même une adaptation réceptive à ce qui sera, est nécessaire, afin d’y être consciencieusement préparé. Ce voyage qui se prépare non sans doute, est un saut vers l’insoupçonné, ou chacune de nos étapes est synonyme de changement, de défis et d’opportunité. Voyager vers ces mystères, c’est aussi se confronter à ses peurs, à l’échec, à l’isolement, mais également à sa propre réussite, à ses victoires. C’est dans ces moments d’incertitude, que notre « moi profond », se dévoile entièrement, nous offrant les connaissances de nous-même que nous pensions inexistantes.
Mon premier pas vers cette inconnue, bien des années qui suivirent la mort de mes semblables, est l’un de mes toutes premières errances. La peur que mon être ressenti à l’annonce de ce voyage, résonne encore tel un écho en moi.
L’ombre difforme qui s’apposa à moi, en ce début de matinée, me tira de ma torpeur, sous les ondés givrés du vent qui s’engouffrait aux travers des arbres. Une nuit de plus sur les terres gelées de la forêt sacrée, à me gorger de l’énergie de la planète, blotti contre le flanc douillet et chaud d’un majestueux cervidé. Enivrée par ce cocon chaleureux de douceur, les délices d’un sommeil sans rêve et sans cauchemars, s’étaient offerts à mon être.
Il se tenait là, une couverture à la main et le visage grave. Ses yeux reflétaient toute la panique d’un ordre donné sans sommation et pour lequel, ma présence était requise au palais. Khaé, dont les vestiges de l’enfance avaient fait place à l’inconnu de l’âge adulte, sans crier gare et sans délai, m’invectivait silencieusement à hâter le pas. À ce moment précis, je sentis le glas de mon insouciance sonner, et emporter avec lui, la fin d’une accalmie. Le temps était venu de me soustraire à la protection de ce monde divin.
Je me relevais, faisant fuir dans une course précipitée, la bête dont l'odeur boisée accompagna mon douloureux réveil. Sans une parole, Khaé entoura mes épaules de la douce étoffe aux senteurs florales. Je reconnus là, une offrande de la douce dame Ashante, envoyant le jeune assistant me chercher avant que son époux, dans toute sa furie, ne dévaste la forêt pour me débusquer.
C’est donc la peur au ventre et le cœur battant, que j’emboîtais le pas, le suivant aux travers des chemins forestiers. Notre arrivée à la lisière ne fut pas sans encombre. Les quelques badauds venus couper le bois d’arbustes brûlés par le grand hiver, nous entourèrent de leurs doléances, réclamant à grand cri que le Seigneur de la planète se montre aussi généreux, qu’eux pouvaient l’être dans leurs prières. L’hiver était bien rude, comme les cinq dernières années qui s’étaient doucement écoulées.
Nous reprîmes la route, accompagnés d’une procession dont les rangs grossirent lors de notre arrivée au village. Les villageois nous suivirent, le cœur joyeux, leur allégresse de marcher à nos côtés s’envolant vers les cieux. Ils nous entourèrent de leurs prières et de leurs chants, plaçant dans nos mains, douceurs, et autres mets aux délicates senteurs, fruit de leur travail et de leur dévouement au seigneur de la planète. Les enfants riaient aux éclats, les femmes offraient leur charme au jeune assistant, et le forgeron, une arme puissante à la main, m’en offrait tous les secrets. Nous arrivâmes rapidement au pied de la colline divine, et l’euphorie cessa. La hauteur vertigineuse de l’escalier qui serpentait à travers les fourrés, me sembla subitement effrayante. Un appel, dont je ne distinguais guère la teneur, s’insinua dans mon esprit, porté par la peur de l’ascension.
M’extirpant difficilement de la foule, la montée vers le castel divin se fit dans un silence solennel. Nous gravissions les marches, luttant contre le vent hurlant sa fureur glacée. J’apposais mes mains sur une statue bordant le chemin, laissant mon âme se complaire dans une étrange sensation de crainte. L’oppression des évènements futurs qui allait s’abattre sur moi, tourmenta mon esprit. Sans m’en rendre compte, mes pas foulèrent la pierre noirâtre de l’entrée. La terreur s’imposa quand en relevant les yeux, je le vis. Furieusement charismatique dans son armure de stellite, il me fixait de toute sa hauteur, son regard froid et autoritaire, bouillonnant d’une aura suprême, ne laissant guère de place au refus. Alors, je compris. Mes années d’entraînement ou mon corps et mon esprit furent mis à rude épreuve, venaient de passer à un tout autre niveau. Et ce fut sous les regards inquiets de dame Ashante et de Khaé, que mon être se dirigea vers lui, le grand Seigneur Alkan.
Il m'entoura de ses bras puissants et musclés, et m'attira un peu trop violemment contre sa poitrine. Ma tête heurta le métal gris et froid de son armure, tandis qu'il enfonçait ses griffes dans mes épaules, de crainte que je ne veuille me défiler par lâcheté. Puis, il relâcha sa magie, qui m’englua dans une sourde sensation nauséeuse. Le tourbillon énergétique fut puissant, emportant mon être aux travers d’un portail glacé dont les effluves magiques, agressèrent mon corps, encore peu habitué aux sauts inter-méros. Puis la douce chaleur d’embruns solaire me tira de mon mal-être. Le crissement doucereux du sable tinta à mes oreilles et la neutralité de l’air ambiant, me força à ouvrir mes paupières.
Une plage d’un sable aussi noir que la magie qui coulait en mon sein, s’étendait à perte de vue, comme si l’océan lui-même, avait déposé là ses cendres. Les grains de sable étaient fins, lisses, polies par les vagues incessantes qui les avaient charriés jadis depuis des temps immémoriaux. Pas un seul coquillage, pas un fragment de corail, juste cette étendue sombre et désolée. L’océan, ses vagues autrefois puissantes et majestueuses, n’était plus que frémissements et soupirs étouffés, figé dans une éternelle sérénité. Les marées ne montaient et ne descendaient plus. L’horizon était inerte, comme gelé par le temps.
Le silence régnait en maître. Les mélodies de la nature n’existaient plus. Les odeurs salines avaient disparu, comme emporté par un vent fantomatique. Même le soleil hésitait à se montrer, caché derrière un voile de nuage grisâtre, pétrifié dans le ciel. Ce lieu était étrange, hors du temps. La vie avait abandonné toute prétention. Peut-être des âmes perdues erraient encore, cherchant un sens à leurs existences évanouies, ou peut-être n’était-ce qu’un rêve, une illusion destinée à nous égarer dans les méandres stériles d’un monde trépassé. Peu m'importait la vérité, la plage de sable noir et l’océan inerte se dressaient là, tel un tableau inexpressif dans l’obscurité, et moi, simple voyageuse, me demanda quel secret et quelle histoire ce monde allait m’offrir.