Au-delà de ton jardin, il y a cette forêt
Qui, avec l’aide du vent, envoie inlassablement
Des feuilles mortes dans l’herbe, jusqu’au pied de ta maison,
Ton refuge, ton nid d’aigle, foyer que tu aimais tant.
Beaucoup vont s’insinuer en bas dans les sauts-de-loup
Où il faut assidûment les repêcher par brassées.
Et de ce bois en surplomb venait aussi le renard
Que tu attirais parfois avec un mets clandestin.
Au-delà de la maison, il y a d’abord les arbres
Où tu observais souvent les animaux, les oiseaux ;
Tu as même vu le geai qui pillait les autres nids.
Plus loin, si le temps est clair, un splendide paysage
S’offre en bas de la colline : la grande étendue du lac,
Dans son écrin de montagnes, emporte notre regard
Jusqu’à son extrémité, jusqu’à la ville au jet d’eau.
Cette vue de ton salon, t’attachait à ta demeure.
Au-delà de nos repas, il y a ces instants calmes
Après les moments de fête et d’animation à table,
Les réunions de famille à géométrie variable,
Noëls ou anniversaires, distributions de cadeaux.
Quand ta femme s’endormait et qu’il ne restait que nous,
Là, en petit comité, discussions et confidences,
Nous évoquions le passé sous les tableaux de ton frère,
Et sous la nuit étoilée, comme on n’en voit plus en ville.
Au-delà de tous les mots, il y a de la musique,
Souvenirs de ton violon, mon piano ou clavecin,
Symphonies concertos et puis les grands opéras ;
Les soupirs et les silences, les regards et les sourires,
Le souvenir qui nous hante, drame de notre famille,
Cette sorte de tristesse, logée au coin de tes yeux,
Le mystère qui t’entoure, reflet de toutes ces choses
Que tu as gardées pour toi ou que tu n’as pas su dire.
Au-delà de toi dès lors, il y a ce vide immense
Il y a aussi des cendres, une tombe et un rosier.
Et il y a les photos, en couleurs ou noir et blanc
Images de ton passé, ton enfance et tes parents,
Et puis de notre famille : tant de moments partagés.
Il y a cette impression qui ne me lâche jamais,
Celle de ne pas t’avoir assez connu ni compris,
Malgré nos cordes sensibles qui vibraient à l’unisson.
Au-delà de notre vie, tu croyais qu’il n’y a rien,
Que toute notre existence n’est que l’effet d’un hasard.
Pourtant, j’espère autre chose : une autre existence ailleurs
Que ce soit avec un corps glorifié ou éthérique,
Peu importe la façon dont on veut bien le nommer,
Ou alors tout simplement une âme désincarnée,
Qui subsiste malgré tout de manière à nous permettre
De continuer encore à exister quelque part.
Au-delà de notre mort, notre esprit subsiste-t-il ?
As-tu rejoint autre part tous ceux que nous chérissions,
Ceux que je n’ai pas connus, ou dont tu n’as pas parlé,
Les anciens de ton gymnase, qui sont partis avant toi,
Voisins, famille et amis de l’étranger et d’ici,
Tous ces gens qui nous sourient sur de nombreuses photos,
Tous ceux que tu as aimés ; as-tu retrouvé Sonia ?
Et là-bas dans l’au-delà, Papa, nous reverrons-nous ?
J'ai trouvé ce poème MAGNIFIQUE.
Coup de coeur (il y en a plusieurs en fait) le passage sur la musique, la conclusion.
J'ai trouvé super triste quand tu évoquais les secrets et les non-dits qui sont malheureusement parfois si nombreux avec ceux que nous aimons.
"Le mystère qui t’entoure, reflet de toutes ces choses Que tu as gardées pour toi ou que tu n’as pas su dire." Supers vers !
Bref, merci pour ce moment d'émotion et à bientôt !
Quelle bonne surprise de trouver ton commentaire ! Ton enthousiasme me touche beaucoup, d’autant plus que je n’ai pas l’impression de savoir écrire de la « vraie » poésie.
Merci pour ta lecture et pour ces compliments qui confirment que j’ai bien fait de partager ce poème.
D’ailleurs, je suis impressionnée de voir et que tu as déjà publié plus de 200 commentaires alors que tu sembles être là depuis peu.
PA est une mine d'or, je me suis lancé dans pleins de lectures pendant la fin des vacances (=
Tu écris comme souffle le vent léger sur la montagne les matins d'été. Un vent qui berce, qui apaise mais aussi un vent qui vibre, qui raconte une histoire. Et tu nous offres cette belle émotion en partage.
La simplicité des mots qui rappellent, égrènent l'absence, les regrets, comme les notes nostalgiques d'une musique apprivoisée
Un grand merci
Merci à toi d’être passée par ici et de m’avoir laissé ce commentaire si beau et poétique. Ça fait chaud au cœur.
Et ici, je suis émue par tes mots et leur force tout en simplicité.
Merci pour cet intense poème!
C’était un hommage à mon père après son décès il y a trois ans. Ce texte m’est venu assez naturellement alors qu’habituellement, je n’ai pas d’inspiration pour la poésie.
J'aime la façon dont tu dresses d'abord les décors, pour se rapprocher doucement du cœur du sujet. Je me suis laissé entraîner sans savoir à quoi m'attendre, et l'émotion a été au rendez-vous. Comme d'autres je crois, j'ai senti le tournant aux vers "Au-delà de toi dès lors, il y a ce vide immense
Il y a aussi des cendres, une tombe et un rosier."
Ce qui fait frissonner ici, il me semble, c'est à la fois la compréhension du sujet du poème (la relation à un être disparu) et la simplicité, la délicatesse avec laquelle tu listes ce qu'il reste, pêle-mêle.
Si l'objet de la poésie est le transfert d'une émotion dans toutes ses nuances, alors nous avons bien affaire là à un poème. Bravo pour ça !
Au départ, j’avais écrit ce texte en prose. Puis, sentant qu’un rythme s’en dégageait, je l’ai transposé en vers. Y introduire des rimes aurait exigé des changements trop importants pour que je m’y attelle. Déjà comme ça, la fin (qui parle de ce qu’il y a peut-être après la mort) a pris plus de place que prévu.
Mais comme aucun commentaire ne me reproche des longueurs ou des redites, j’en conclus que ce n’est pas dérangeant.
D'ordinaire je ne suis pas très poésie, mais la tienne se lit facilement. Le fait que cela ne rime pas, ne m'a pas dérangé du tout.
Tu as réussi à faire naître en moi une émotion, vers la fin de ton poème.
Merci à toi.
En général, la poésie n'est pas mon domaine non plus. Quand j'ai commencé à écrire ce texte, je l'ai rédigé en prose, et en me relisant, j'ai remarqué qu'il y avait un rythme qui s'en dégageait. Alors je l'ai disposé en vers et j'ai fait les modifications nécessaires. :-)
Je suis contente d'avoir réussi à susciter une émotion.
Merci pour ta lecture et pour ton commentaire. Ça fait plaisir.
Des mots, des phrases ont commencé à trotter dans ma tête et ce poème s'est construit progressivement.
La couverture est une photo de la vraie maison prise quelque temps avant que mon père l'achète. :-)
Je trouve ça vraiment beau de rendre hommage aux êtres chers par ce qu'on sait le mieux faire ; écrire, dessiner, composer...
Il me semble que ce texte peut être appelé poème, malgré l’absence de rimes. Pour la versification, j’ai compté deux fois sept pieds et j’ai appliqué les règles en considérant qu’il y a une césure au milieu de chaque vers (au septième pied), où l’on ne prononce pas la syllabe muette.
Pour ce qui est du contenu, il m’est venu peu à peu quand je m’occupais de la maison et du jardin, avec mon mari et mes sœurs, après le décès de mon père. Ensuite, pour avoir le bon nombre de vers par strophe et le bon nombre de pieds par vers, j’ai dû raccourcir ici, prolonger là, et remanier certains passages.
Mon cœur s'est serré quand j'ai lu cette partie :
"Au-delà de notre mort, notre esprit subsiste-t-il ?
As-tu rejoint autre part tous ceux que nous chérissions"
Aurons-nous la réponse de notre vivant ?
Encore très bel écrit et merci pour ce partage :)
La réponse à cette question, je pense que certains l’ont (ou pensent l’avoir) : ceux qui sont sûrs qu’il y a une vie après la mort, que ce soient des médiums ou des gens qui croient en Dieu voire en d'autres formes de divinités. Si c’est difficile d’avoir une foi solide, ça l’est aussi de croire que ceux qui ne sont plus de ce monde n’existent plus que dans la mémoire des vivants.
Pour ma part, j'aime le fait que tu n'aies pas fait de rimes, tout en ayant pris la forme du vers. Je l'ai lu comme une promenade sur le chemin de tes souvenirs, en prenant mon temps et en ayant le loisir d'admirer le paysage, de me représenter des scènes d'intérieur lumineuses et conviviales...
"Au-delà de toi dès lors, il y a ce vide immense
Il y a aussi des cendres, une tombe et un rosier."
Ces vers en particulier m'ont touchée. Je les trouve si juste ; ils trouvent un réel écho en moi, plein de douceur et de mélancolie.
Et sinon, je me demandais si tu n'avais passé qu'un Noël là-bas, pour l'avoir mis au singulier ? Ma question est peut-être incongrue, mais j'ose quand même la poser...
À partir du moment où j’ai choisi ce format, j’ai dû adapter le texte en supprimant ou en ajoutant des syllabes ou des vers. Pour ce qui est des pieds, ce n’est pas toujours facile de réduire leur nombre sans faire d’entorse à la langue.
Noël, c’était aussi l’anniversaire de mon père. La tradition était de le fêter chez lui et d’attendre que minuit soit passé pour boire le champagne, parce qu’il était né un peu après minuit.
En fait, j’ai pensé « (Les fêtes de) Noël ». Comme on écrit « Noël » avec une majuscule, je pensais qu’il fallait le traiter comme un nom propre, et je ne me permettais pas de le mettre au pluriel. Après vérification chez Grevisse, je vois que le pluriel est admis, alors je vais corriger ça. Merci de m’avoir posé la question : j’ai appris quelque chose grâce à toi. :-)
Je me suis un peu reconnu dans ce que tu as écrit, même si tu parles de ton père, ce poème a un côté universel.
En tout cas c'est un très bel hommage. On dit que la poédie a le pouvoir d'élever, espérons qu'il entende ce poème de là où il est.
Bise
Audrey
En effet, en relisant la première version, en prose, je trouvais qu’il manquait quelque chose au texte. Et mettre des rimes m’aurait obligée à employer d’autres mots, ce qui aurait probablement donné au poème un côté artificiel ou forcé.
Mon père n’a jamais lu mes écrits, alors je ne sais pas ce qu’il en penserait. J’entends d’ici son « mhm », qui est une sorte d’approbation énigmatique. :-)
Bise
Fannie
Comme toujours je me sens très touchée par ton écriture et les thèmes que tu choisi de mettre sur le papier.
Je crois que je serais heureuse qu'on me dédie un texte comme celui-là et je crois aussi que c'est avec ce genre d'hommage qu'on continue de faire vivre les gens qui nous ont quitté.
Je pense fort à toi et te remercie pour cette lecture très intime.
Bisous
Loup
Loup, merci pour ton passage, tes compliments et tes encouragements.
A priori, nos univers et nos styles d’écriture paraissent très éloignés. Mais si nous arrivons à nous émouvoir mutuellement à travers nos textes, c’est sans doute que nous avons quelque chose en commun dans notre sensibilité.
En effet, je ne voulais pas écrire quelque chose de triste. J’avais envie de parler de cette maison que mon père aimait tant, de certains souvenirs qui y sont rattachés et de son amour pour la nature et les animaux.
Maintenant, même s’il y a des choses que nous n’avons pas su nous dire, je peux être en paix parce qu’il savait que ses trois filles l’aimaient.
Bisous
Fannie