Au-delà des Cendres

Notes de l’auteur : "Au-delà des Cendres" est une ode à la renaissance et à la beauté cachée dans la destruction. À travers les yeux de Louise, le récit mêle poésie et émerveillement face à la dualité de la nature, à la fois destructrice et porteuse d'espoir.

“Tu vois que je ne suis pas morte”. Il y avait un grand arbre; il s’était battu contre le Feu, et il avait perdu. Il était couché par terre, et le Feu avait laissé des abeilles rouges qui le mangeaient. Je me suis approchée parce que c’était joli; dit Louise en balayant d’un geste la suie de ses manches. J’avais environ quinze ans et je passais mes vacances chez mon oncle Henri près d’Allauch en Provence. Mes souvenirs de ces années 1870 sont encore vifs, surtout cette journée mémorable.

Avec mes cheveux aussi sauvages que les collines provençales, j’avais échappé à un des nombreux feux qui naissent et meurent dans le vent impétueux du Mistral. La maison en pierres sèches de mon oncle avait été épargnée, sauvée par la bravoure des villageois et par la clairvoyance de ce dernier, qui avait prévu et entretenu une coupure de végétation.
Se tenant là, devant ce tableau surréaliste, ma robe couverte de cendres, mon tablier déchiré, j’étais submergée par un mélange étrange de tristesse, d’émerveillement et aussi de colère. Le crépitement sourd des braises encore chaudes sous mes pieds, me rappelait le chaos des heures précédentes, où le ciel s’était drapé de noir et l’air avait goûté la cendre.
Après le départ des villageois avec leurs charrettes tirées par des chevaux pour lutter contre les flammes; chargées de pelles, pioches et sceaux, je suis partie arpenter les restes du brasier, cherchant à comprendre, à apprendre de cette nature à la fois nourricière et destructrice.
Alors que je m’approchai de l’arbre abattu par le Feu, un silence étrange enveloppa la scène. Les chants joyeux des oiseaux qui avaient accompagnés mes journées jusqu’à présent semblaient s’être tus, tout comme les cigales qui avaient pour habitude de bercer la sieste des villageois sous le soleil provençal. Je me suis arrêtée un instant pour observer ce silence inhabituel, tandis que des lapins couraient dans tous les sens.
La vue de l’arbre, un chêne centenaire dont les branches avaient autrefois joué avec le ciel, m’a serré le cœur. Mais ce qui m’a attirée, c’était la vision surréaliste des abeilles; des créatures crépitantes, presque fantastiques, qui se gorgeaient du malheur.
Ma curiosité m’a poussé plus loin, vers les crêtes où les flammes avaient dessiné des arabesques noires sur le sol ocre. Là, au milieu du désastre, j’ai découvert un sentier que je n’avais jamais vu, dévoilé par la disparition de la végétation. Le chemin était caillouteux, bordé de genêts dont les fleurs d’or avaient résisté au Feu. Il serpentait à travers le paysage brûlé et m’a mené vers un lieu inexploré, un secret bien gardé de cette garrigue provençale.
Les lapins, les lézards semblaient désorientés par le chaos provoqué par les flammes. Leur instinct de survie les poussait à fuir la zone sinistrée, à la recherche de nouveaux abris, de nourriture et d’eau. Je me suis sentie submergée par la peine pour ces créatures, qui devaient lutter pour s’adapter à leur nouvel environnement.
L’aventure palpitait dans mes veines. J’avais entendu des histoires, des légendes de vieux bergers, sur des trésors cachés et des ruines d’un autre âge, perdues dans les méandres de la Provence. L’excitation me fit avancer.
À l’abri des regards, le sentier se termina devant une cavité, épargnée par le brasier, dont l’entrée était gardée par une vieille oliveraie, les arbres tordus par les ans et le vent. L’intérieur était frais, un sanctuaire contre la chaleur de l’été. Et là, sur les murs, semblait se dessiner des peintures rupestres, des odes aux dieux de la nature, et au centre, un tableau grandiose dépeignant une créature mythique renaissant de ses cendres.

Mon cœur battait à l’unisson avec ce message ancestral. Je ressentais un lien profond avec ces artistes d’antan, ces conteurs de pierre qui avaient su voir dans le cycle infernal des feux une promesse de renaissance. Je passai des heures à explorer cette cavité dans la pénombre, chaque recoin révélant de nouveaux secrets.
Lorsque je ressortis, le crépuscule teintait le ciel de pourpre et d’or. Je rentrai chez mon oncle Henri avec la nuit pour manteau, les étoiles pour lanternes, et dans mon cœur, une flamme nouvelle.
En approchant, je vis mon oncle debout devant la porte, son visage marqué par l’inquiétude. Il me cherchait dans les ombres, son regard trahissant une anxiété profonde pour moi.
“Louise ! Dieu merci, tu es saine et sauve,” s’exclama-t-il.
Sa voix tremblait légèrement, mélange de soulagement et de reproche.
“Je craignais le pire. Pourquoi as-tu disparu si longtemps ? Les dangers rôdent encore dans les cendres du feu.”
Je le regardai, voyant dans ses yeux un mélange de crainte et d’affection. Je pris conscience de l’effet que mon absence avait eu sur lui. Mon oncle, toujours un pilier de force, semblait soudain plus âgé, plus vulnérable.
“Tonton, je suis désolée de t’avoir inquiété,” dis-je doucement. “J’ai découvert quelque chose… quelque chose de beau là-bas laissée par le feu en désignant avec force la direction avec mon bras.”
Je lui racontai mes aventures, la découverte du sentier, et la cavité cachée.
Mon oncle m’écouta, son visage se détendant progressivement.
“Louise, tu as un cœur brave et un esprit curieux. Tu as vu la beauté là où d’autres ne voient que désolation. Mais souviens-toi, la prudence est l’alliée de la curiosité.”
Le crépuscule enveloppait maintenant la maison. Je sentis la chaleur d’un nouveau respect entre mon oncle et moi. J’avais partagé un fragment de mon monde, et en retour, je voyais le sien à travers un jour nouveau.
“Je promets d’être plus prudente à l’avenir,” répondis-je, un sourire timide aux lèvres.
En entrant dans la maison, je me sentais transformée. Je n’étais plus seulement la nièce d’Henri, mais une jeune femme ayant ses propres histoires à raconter, ses propres leçons à partager. Dans mon cœur brûlait une flamme nouvelle, un éclat d’espoir et de découverte, illuminant mon chemin dans un monde à la fois cruel et magnifique.

Louise, Allauch, un jour d’été de l’année 1870

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