Au-delà du cadre.
J'ai deux bras, deux jambes, dix doigts, dix orteils, une tête bien faite. Maman dit que je suis le plus beau mais je crois quelle n'est pas tout à fait objective ...
Je suis en tous points comme les autres. Je suis comme ce garçon qui court derrière le ballon orange fluo. Je ressemble aussi à cet enfant qui bouscule son copain et qui rit si fort. Je suis pareil à cet élève entouré d'un groupe d'amis. Non, je ne suis pas différent d'eux.
Et pourtant ...
Je ne joue ni au foot, ni à la bagarre, ni au chef de groupe. Je suis un photographe animalier, un paléontologue ou un ptéranodon. J'ai 6 ans, un chat qui se prend pour un chien et un lapin persuadé d'être un chasseur. Parfois, je voudrais les imiter et enfiler un costume qui n'est pas le mien. Me libérer de mes particularités et me fondre dans la foule. Je suis toujours en mouvement, jamais rassasié, en questionnement perpétuel. Pourquoi les gens vieillissent ? Jusqu'à combien on peut compter ? C'est quoi la fin de l'Univers ? Qui décide qu'on est jeune avant d'être vieux ?
Pourquoi. Quand. Comment.
De temps en temps, je devrais mettre mon cerveau sur « pause ». Me calmer. Cesser de trop parler. Je n'y parviens pas. C'est le chaos dans ma tête.
Je perds le bouchon de mon tube de colle. J'oublie l'exercice que je dois réaliser. Je cherche partout le capuchon : sous ma chaise, dans mon plumier, au fond de mon cartable ... Le temps est écoulé ... Je rends mon travail incomplet. Ma voisine m'offre le bouchon bleu de sa colle. Je jette les vignettes que je n'ai pas eu le temps de placer. J'ai envie de pleurer. Je n'aime pas les exercices qui se ressemblent : j'ai déjà compris la première fois. Pourquoi faut-il tout répéter, tout réexpliquer ? Cinq, six fois parfois.
Ça va trop vite dans ma tête et mon corps ne suit pas. Je m'emmêle les pieds, en regardant en l'air. Je fonce dans un piquet, en observant une fourmi. Je suis loin, très loin de ce mot que Madame vient d'écrire. « Loup ». C'est un canidé. Comme les hyènes. Je préfère les lions. Tiens, c'est mon signe astrologique. Ma sœur est Scorpion. Comme papa. Il travaille aujourd'hui : heureusement il ne pleut pas. Le soleil est une étoile, pas une planète. « Reviens avec nous ! » Je sursaute. Tous les copains me regardent. Je n'ai encore rien noté sur ma feuille alors que le tableau est rempli.
Je parle, je parle. Je parle tout le temps. Sur tout et n'importe quoi. J'ai besoin de savoir. Je cherche le mot exact à employer, pour ne pas me tromper. Je bégaie, je bafouille. Pourquoi même la parole est-elle si lente par rapport à ma pensée ?
Pendant que les autres essaient de comprendre le périmètre, je m'envole. Je me suis créé tout un univers : je m'exile là quand les journées sont trop longues.
Maman dit que je suis « intense ». Mais elle ne sait pas, elle, à quel point c'est dur d'être freiné par la lenteur de la vie. Mes pensées débordent, les idées s'entrechoquent. Je foisonne de mille images qui fourmillent dans mon cerveau. Regarde, maman ! Regarde comme la lumière va vite. Je voudrais être comme elle.
J'ai vraiment beaucoup apprécié le style d'écriture, c'est agréable de ne pas buter sur une idée et de voir qu'un texte peut être fluide à ce point.
Ca rend nostalique aussi. On sait qu'on a été comme ça, à vouloir tout faire à la fois et à vouloir tout voir et tout entreprendre. Malheureusement le temps et les responsabilités nous rattrape toujours.
Je suis heureuse que le texte vous ait plu.
Ce voyage dans la tête d’un jeune garçon hors normes est à la fois touchant et instructif. Cette envie d’être comme les autres me parle.<br />On voit que ce garçon voudrait tout connaître, tout comprendre, et qu’il en sait déjà plus que les enfants de son âge. Mais il saute du coq à l’âne, il a de la peine à mettre de l’ordre dans ses pensées. J’espère qu’en grandissant, il saura tirer parti de la richesse que lui apporte sa différence et qu’il n’aura pas trop à en souffrir.
Deux petits détails :
les signes du zodiaque prennent toujours une majuscule. (Ma sœur est Scorpion).Pourquoi ne pas mettre des points d’interrogation dans « Pourquoi. Quand. Comment. ». Il me semble qu’ils exprimeraient mieux cette sorte d’urgence, d’agitation intérieure.
J'aime beaucoup ce texte qui résume très bien le quotidien de ces enfants "hors norme" avec un moteur de Ferrari dans une carcasse de 2 Ch, expression que j'ai recemment entendu dans un reportage et que je trouve extrêmement parlante.
Une jolie écriture.
Merci et à bientôt.