Au royaume des 5 pays - La conspiration

Les personnages

- Louis, ancien bûcheron demeurant aux Avers, hameau de Moux-en-Morvan, surnommé aussi Louis le Preux, Premier Gouverneur de l’Île Dortésia ;

- Gobin, lutin voyageur accompagnant souvent Louis ;

- Maistre Pacolet, lutin mage au village ;

- Ménélaos, jeune loup-vérou, dernier fils de Lycaon IV de la 7ème tribu et de Cylène ;

- Hermon, loup-vérou, conspirateur et frère de Ménélaos ;

- Chionée, loup-vérou, conspiratrice et sœur de Ménélaos ;

- La Mère Lousine, créature maléfique vivant dans l’eau ;

- La Wivre, créature maléfique vivant dans les rochers.

 

  ***

     Alors que Gobin songeait à la réalisation de quelques vœux pour son village, Louis se remémorait en silence l’histoire de ses arbres morvandiaux. Et les jours défilaient ainsi, l’homme et le lutin reprenant chacun vœux, contes, légendes, chansons, proverbes et dictons. 

Mais il fallait aussi manger. Les deux compères pêchaient sur la rive du Grand Fleuve. Ils avaient assisté, médusés, à la Grande Migration. Encore un spectacle féerique ! Remontant le fleuve, les Sirènes de leurs chants graves et sensuels, ouvraient le cortège. Suivaient les Ondines et les Cétus. Enfin, les Anguilles Géantes fermaient la marche de ce cortège majestueux. Et dans leurs sillages, des hordes de poissons. Immuablement, chaque année, le même rituel se répétait. 

— Que sait-on de la migration ?, questionne Louis.

— Presque rien. Seulement ce que tu vois !,  répond Gobin.

Le spectacle cessant, les deux ignorants se remirent à l’ouvrage et lancèrent leurs appâts dans les eaux apaisées du Grand Fleuve. Après la pêche, Gobin cueillit quelques fruits du pays. Sur l’île, il y avait des châtaigniers mais aussi des asperges et des pommes de terre. Les Échelles de vie* abaissées permettaient de rejoindre les terres mais, Louis préférait son titre de  " Premier Gouverneur de l’île " et sa vie solitaire.

C’est un vendredi que le cours de sa vie fut bouleversé par l’arrivée inopinée d’une créature près du rivage. L’homme ou l’animal se mouvait en rampant dans les végétaux, une arbalète dans sa main gauche.

* l’Échelle de vie : objet magique présent uniquement dans le Pays des Fées.

 

— Attention, un loup-vérou !, s’exclame Gobin reconnaissant l’animal. Sa tête de loup, surmontée de larges oreilles, émerge des herbes folles de la prairie. L’animal se redresse difficilement, regarde humblement ses visiteurs et s’exprime enfin :

Suis-je à l’Île aux Sorciers ?

— Oui, devenue depuis peu l’Île Dortésia. Qui es-tu ? Et pose cette arbalète, ajoute Louis. L’individu obtempère et range l’arme dans son étui sur son dos. 

— Ménélaos, le dernier fils de Lycaon IV de la 7ème tribu des Loups-vérous. Où est Louis le Preux dont on m’a conté les exploits ?, demande l’animal encore titubant.

— Devant toi, confirme Louis.

— Il y a quelques semaines, ma sœur et mon frère aînés m’ont accusé d’avoir empoisonné notre mère Cylène...

Sans attendre la suite de l’histoire, Louis l’interrompt et lui propose de rejoindre sa cabane au centre de l’île. Le loup-vérou poursuit son récit agrémenté de "bois-fumant" :

— Dans la tradition des loups-vérous, le dernier né accède au pouvoir familial après le décès de la mère et remplace le père qui se retire. C’est ainsi que nous vivons…  

Intrigué par les propos de l’animal, Louis le laisse poursuivre.

— Le jour même du décès de notre mère, ma sœur Chionée et mon frère Hermon ont conspiré devant le Conseil de la tribu. La seule instance qui intronise le futur patriarche de famille. J’étais absent de la Grotte Embrumée. À mon retour, les soldats à la solde des conspirateurs m’ont jeté dans le Grand Fleuve, pieds et mains liés. Ils m’ont cru noyé, mais je suis parvenu à m’échapper, à remonter sur la rive.

Gobin, découvrant les mœurs des Loups-vérous, ne dit rien.

Je viens demander l’exil sur l’Île Dortésia et préparer ma vengeance.

— Mais nous n’avons que ta parole, rappelle le Premier Gouverneur de l’Île Dortésia.

— Il est vrai. Voilà tout d’abord le blason de mon identité tatoué sur mon bras à ma naissance… L et V pour mon futur nom Lycaon V, aujourd'hui usurpé, soutient Ménélaos en découvrant les manches de son haubert.

— Enfin, voici la preuve de la conspiration..., poursuit le loup, en tirant de sa besace une énigmatique tablette scripturale. Une écorce de chêne gravée que j’ai pu me procurer et cacher avant ma disgrâce.

— Mais ceci m’est parfaitement incompréhensible, reconnait Louis.

— Bien sûr, c’est du lutiniforme ancien, une langue aujourd’hui disparue. Seul, Maistre Pacolet le mage du village, pourrait la traduire, convient Gobin.

Louis le Preux s’exprime alors en tant que Premier Gouverneur de l’Île Dortésia :

— J’accepte ta demande d’asile si tu nous remets l’arbalète, le sabre, les couteaux et toutes les autres armes en ta possession

Sans contredire, le loup-vérou accepte les conditions et dépose toutes ses armes dans une malle que Louis ferme à double tour en    ordonnant :

Tu resteras là sous la garde de Gobin. Donne-moi la tablette afin que Maistre Pacolet puisse la traduire.

***

    Le retour de Louis au village fut salué par tous : les enfants lui demandant de conter ses exploits passés. Seule, Singletone brilla par son absence.

Malgré tout son savoir, Maistre Pacolet est bien en peine pour une traduction rapide, mais déchiffre quand même à haute voix.

— Tout cela est bien confus, mais nous avons bien un C majuscule, abréviation possible de "Conjuré", puis un autre P majuscule signifiant probablement "Par-devant nous". La grande parenthèse exprime une déclaration. Le X, encore bien lisible, symbolise la destruction. Encore un L majuscule et cinq points…

Soudain, Maistre Pacolet s’écrie :  

— Voici le texte : "Nous, les Conjurés, Disons et Par devant nous Appelons à Destituer Lycaon V et [mener la guerre pour] Détruire le Royaume  [des 5  pays] ". Le message est très clair.

— Que faire devant une telle menace ?, s’interroge Louis.

Maistre Pacolet réfléchit :

— Il nous faut absolument contrer la menace des Loups-vérous conspirateurs et belliqueux. L’alliance avec ce Ménélaos me semble opportune. Il veut se venger. Et toi, tu peux sauver les Pays de la tyrannie. Ce loup-vérou connait le terrain. Toi, tu es rusé et courageux. Ceci est notre seule alternative. Et si vous échouez, nous formerons une grande coalition avec les Fées et les Poules Noires. Maintenant, va étudier les plans avec Ménélaos.

    Sur le chemin de retour, Louis réfléchit au meilleur plan pour éliminer les indésirables. Soucieux, il sait que douze tribus se partagent le territoire, qu’il sera difficile de passer inaperçu, que la moindre erreur pourrait lui être fatale. Il repense aux licornes, aux grenouilles, à l’incident près du Puits de la Mère Lousine et près du rocher de la Wivre sur la Montagne des Fées. Mais comment faire ?

Il réfléchit encore et encore lorsque vient l’idée…

Arrivés à l’Île Dortésia, Ménélaos et Gobin attendent sur la grève, grillant les dernières châtaignes. Louis leur expose son plan.

— Cela me parait jouable. Mon frère, recherchant de nouvelles armes, sera séduit !, confirme le loup-vérou.

— Demain, dès l’aube, nous partirons à la recherche de quelques licorneaux orphelins. Je suis le meilleur chasseur de licornes sauvages du pays, avance Gobin.

— Maintenant, allons-nous reposer car demain sera une rude journée, conclut Louis.

    Revenus au Pays des Lutins, là où vivent les licornes, les trois complices s’approchent d’un troupeau d’équidés broutant dans la prairie. Gobin aperçoit un licorneau solitaire et chantonne la ritournelle de circonstance :

" Dans la forêt de la vie.

J’ai vu une licorne

Qui s’appelle Fasbbie… "

Appâté par le foin sec et les mots magiques, le poulain accourt, hennit, se laisse caresser. Gobin chantonne « Viens avec nous ! »

Envoûté par tant d’attention, le licorneau quitte le troupeau et rejoint sans crainte les trois compères, qui se dirigent maintenant vers le village. À la recherche d’habits de marchand de bestiaux, Louis questionne les villageois. Par chance, l’un d’eux possède cet accoutrement si typique du maquignon : une chemise noire, un gilet gris, des gants en cuir, un pantalon ample, des sabots en bois et un béret sombre.

Sous les traits d’un marchand de licornes, Louis écoute les derniers conseils de Ménélaos. Alors que celui-ci et Gobin repartent sur l’Île Dortésia, le licorneau et le faux marchand contournent les marais et prennent le chemin du Pays des Loups-vérous. Au loin, quelques feux follets brillent encore dans une nuit étoilée. Comme à chaque expédition, Louis n’a pas oublié son coutiau, sa serpe, son bâton et sa gourde de sève de bouleau.

Devant la Grotte Embrumée, quelques loups-vérous montent la garde.

— Qui va là ?, ordonne le soldat.

— Un simple marchand de licornes qui souhaite s’entretenir avec Hermon et lui présenter une nouvelle arme qui plaira à ses ambitions, j’en suis sûr, répond Louis un peu inquiet.

— Je vais voir si Hermon peut te recevoir, poursuit le soldat, qui revient en approuvant la rencontre. Viens.

Louis, toujours accompagné du licorneau entre par la 7ème porte de la grotte, chaque clan ayant son entrée.

— Qui es-tu pour me rendre visite et que veux-tu ?, questionne Hermon.

— Je viens simplement te présenter une nouvelle arme : une licorne. Regarde un peu sa docilité et sa belle corne robuste sur son front qui affoleront bien tes adversaires. Bien sûr, c’est un jeune que j’ai débourré l’an dernier ; les adultes sont plus forts, plus résistants. De plus, leurs cornes si brillantes aveugleront tes ennemis.

Hermon regarde l’animal, comprend rapidement le profit qu’il peut en tirer et renchérit :

— Oui, mais il me faudrait de vigoureux adultes et non ce piètre licorneau.

— Je te le laisserais pour un bon prix, pourtant. Tu pourras attendre quelques saisons. Je reviendrai avec d’autres, propose le marchand qui commence à croire à son propre plan.

— Peu importe le prix. Je ne peux pas attendre quelques saisons, s’énerve Hermon.

— Il y aurait bien une solution ... mais il y a bien trop longtemps qu’elle n’a été mise en œuvre, s’excuse le marchand, faisant mine de s’en retourner. 

— Reste là et dis-moi, exige Hermon en sortant son sabre.

     Louis explique alors la démarche à suivre : sur le Lopin des Poules noires, il existe une magicienne qui peut faire apparaitre trois grandes licornes adultes. Le marchand ajoute qu’il ne peut y avoir que trois demandes par saison. Ce qui fait quand même douze licornes par an ! Louis accepte de préciser le lieu exact à une seule condition : que la limite des trois licornes par saison soit respectée au risque de se faire changer soi-même en licorne. Louis chuchote à l’oreille de loup-vérou qu’il suffit de gravir le chemin après le pont pour trouver le beau puits.

Le piège semble mis en place : Hermon expulsant manu militari le marchand et le pauvre licorneau. Il suffit d’attendre maintenant que le conspirateur aille demander ses trois licornes et qu’il se fasse engloutir par la Mère Lousine.

Il reste encore à tromper Chionée, la sœur de Ménélaos. Le lendemain, Louis revient à la grotte, son licorneau caché dans la forêt. Il demande à parler à Hermon qui, selon les gardes vient de partir. Satisfait, Louis décide de rendre visite à Chionée.

— Chère Chionée, ton frère Hermon étant absent, je viens te présenter ma sève de bouleau, un poison particulièrement virulent pour les lutins et d’autres créatures de ce Royaume. Moi, je suis immunisé mais j’évite d’en prendre, soutient Louis.

— Bois.  Devant moi !, ordonne Chionée.

Louis s’exécute. Mais pris d’un faux mal de ventre, il tombe, roule à terre, se tord en gémissant puis se redresse difficilement en imitant parfaitement un malade venant de s’empoisonner.  

— Intéressant. Où trouve-t-on ce merveilleux produit ?, s’agace Chionée.

— Je n’ose te le dire, tellement il est dangereux de s’en procurer,

— Tu l’as bien fait. Crois-tu que je ne le puisse ?,  s’énerve Chionée.

— Pour le bien du Pays des Loups-vérous, je ne veux pas te mettre en péril, d’aucun m’accuserait de meurtre,

— C’est est trop maintenant, hurle-t-elle en tirant son arbalète.

Louis murmure qu’il faut se rendre au Rocher de la Wivre sur la Montagne des Fées ; la démoniaque créature ailée posera une énigme dont la seule réponse sera "5" correspondant aux 5 pays du Royaume.  Sur ce mensonge puisque la Wivre dévore sans aucune hésitation ceux qui l’approche, Louis prend congé tout en restant au Pays des Loups-Vérous accompagné de Cébane, son licorneau.

Aux aguets près de la grotte, Louis observe les allées et venues. Lorsqu’un convoi quitte les lieux, Louis comprend qu’il se passe quelque chose d’inhabituel. Il s’avance prudemment et questionne l’un des gardes.

 —  Que se passe-t-il donc ici ?

— Hermon a disparu et sa sœur vient de quitter prestement le palais, répond le garde.

Ainsi le conspirateur a péri dans le puits mais Chionée s’en est sortie indemne.

***

     Assis sur son fauteuil de patriarche surmonté de l’épigraphe "Homo homini lupus est", Ménélaos devenu Lycaon V, reçoit ces invités prestigieux : l’ancien marchand de licorne et son indéfectible ami, Gobin. Ménélaos explique qu’après la disparition de son frère Hermon et du départ précipité de sa sœur, il a été intronisé nouveau patriarche du clan.

Louis réitère sa demande :

Alors que s’est-il passé ?

Méfiante, Chionée avait envoyé l’une de ses domestiques rechercher le poison. Mais, sans le soutien de son frère décédé, elle s’est enfuie. Après ce fiasco, mes gardes l’ont rattrapée dans la forêt avec quelques complices. Désormais, elle vous attend devant l’entrée de la grotte ! Venez la voir !

Horrifiés, Louis et Goblin découvrent la tête de la Chionée à l’extrémité d’une longe pique de noisetier, exposée devant la 7ème porte : un mince filet de sang coule encore, formant une mare dans une cupule de granite.

— Venez partager un peu de ce sang conspirateur !, invite le nouveau patriarche qui s’avance, se baisse, lape et se délecte de cette voluptueuse boisson sanguinolente.

Dépité, résigné, Louis détourne la tête. Il sait maintenant que le nouveau patriarche reproduira les mêmes erreurs que les anciens conspirateurs. S’il a pu déjouer les craintes des lutins, Louis connait maintenant la véritable nature des loups-vérous…

Malgré ces déconvenues, revenu dans son île, Louis regrette parfois ses actions. Mais Gobin lui rappelle qu’il reste un héros aux yeux de plusieurs peuples du royaume.

 

Fin du chapitre III

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