Bastien

Le 29 décembre 1914

         Ma bien chère petite Monique,

         Voilà déjà quatre mois que je suis ici, dans ces tranchées lugubres. Si tu savais comme les minutes sont longues, comme les journées sont pénibles et comme tu me manques terriblement. Je me souviens de ton sourire et de l’éclat qui emplissait tes beaux yeux. Tu as sans doute déjà grandi et je ne suis pas là pour le voir. J’ai tant de regrets d’être loin de toi. J’attends avec impatience qu’une permission me soit accordée. Combien de jours encore me séparent de vous ?

         Au moment où je te parle, l’hiver est là. L’air est sillonné d’obus et un vent glacial nous frappe nuit et jour. Ici, beaucoup meurent, et le soir on entend gémir ceux qui agonisent. Il y a quelques jours, un de mes camarades a trépassé, touché par une balle allemande qui lui a couté la vie. Mais cela aurait pu être moi ou mon voisin. J’y pense souvent. Je pense au trépas qui peut me rendre visite à tout moment, m’ôter la vie, comme cette guerre l’a fait à tant d’autres. On tue le temps à penser à la mort et j’ai tout lieu de croire qu’elle existe déjà chez certains, qu’elle y habite depuis longtemps et ronge leur âme à petit feu.

         Je t’écris ces mots dans la boue, les tranchées sont d’une saleté  repoussante. On vit comme dans un cauchemar : dans les ordures forcées, entre les morts et les vivants qui meurent, dans la tourbe de cadavres et les cris nocturnes de ceux qui pleurent.

         Toutefois, récemment, un fait miraculeux s’est produit. Le jour de Noël, on a vu s’élever à plusieurs points du front allemand des sapins, des bougies et des lanternes sur le parapet des tranchées de première ligne. Puis, quelques soldats britanniques et allemands sont sortis de leur tranchée avec des drapeaux blancs à la main. Les allemands nous ont fait signe : ils voulaient nous parler. Un camarade nommé Gaël, s’est rendu à 3 mètres de leur tranchée pour les voir. De là où j’étais, j’ai pu observer la conversation mais je n’ai rien entendu. Lorsqu’il est revenu il nous a expliqué que les allemands ont  demandé qu’on ne tire aucun coup de fusil et ils n’en tireraient pas non plus. Ils voulaient une trêve. Eux aussi étaient fatigués de faire la guerre : ils avaient des femmes, des enfants et des parents qui leur manquaient, comme tu me manques. On est donc sortis de nos tranchées et allés leur parler. A eu lieu alors l’impensable : allemands, français et britanniques se sont serrés la main, ont bu et chanté ensemble des chants de Noël. Il y a eu des échanges de cigares, de journaux, d’histoires, de sourires, de gestes et de mots. Que c’était beau ma sœur, j’aurais aimé que cela dure…  Mais le lendemain, on put s’apercevoir que Noël était terminé. Dès le matin, l’artillerie lançait des obus bien sentis dans les tranchées adverses. Dès le matin, la guerre a repris.

         Voilà ma Monique, je te relate ce fait mais n’en dis rien à personne, on n’a même pas le droit d’en parler ici.

Fais part de mes amitiés à tous. Je t’embrasse très fort.

Ton frère qui t’aime,

Bastien

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