Il peut être blanc ou noir. Se montrer sous son jour le plus grandiose comme sous son masque le plus odieux et détestable. Un temps il se nourrit de tes failles et de la haine, de ces moments où te regarder en face devient l'Enfer sur Terre. Et puis, à l’improviste, il puise profondément dans les souvenirs encore heureux et les promesses d'avenir, comme dans un puits sans fond.
Parfois, tôt le matin ou alors en rentrant le soir, tu l'entends dans la cage d'escalier. Comme une hallucination omniprésente ou la malédiction d'un esprit frappeur. Parfois, tu le croises dans la rue. Au détour d'un café. Et tu t'arrêtes, pierre immobile parmi les flux incessants.
Tu t’arrêtes, parce qu’il t’a frappée.
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Il peut être blanc, et d’un blanc ! Étourdissant. C’est bien simple, et ça va vite, et jamais de ta vie tu n’as vu, goûté, senti un tel bonheur. C’est le meilleur jour de ta vie, mais en mieux, vachement mieux, tellement mieux ! Les couleurs sont si vives et tout est tellement drôle que tu en vacilles, dressée sur la pointe des pieds, les mains contractées autour de ce bonheur que jamais plus tu ne laisseras partir, tu vas lui tordre le cou à ce sale con, il t’appartient, plus tu montes et plus ça tourne et ça se brouille, mais c’est si bon que les poils de tes bras se hérissent, les cheveux se dressent sur ta nuque, ton corps n’est plus que frissons, tu montes, tu montes, tu montes, quand est-ce que ça va s’arrêter ? Une petite voix au fond de ta tête te dit jamais, d’un ton espiègle, tandis que tu dépasses la cime du Mont-Blanc, l’Everest, et tout à coup tu es là où personne n’est jamais allé - tu contemples les lumières de toutes les galaxies à tes pieds, entremêlées, magnifique, grandiose, quand est-ce que ça va s’arrêter ? Jamais, te dit le rire au fond de ta tête, et tu sens les larmes s’amasser dans tes yeux qui observent les formidables hauteurs de ton nouveau poste de Dieu.
Oui, c'est ça, c'est bien ça, tu es sans conteste le plus grand cadeau qu’ait pu se faire l’univers à lui-même. Les choses qui te résistent méritent d’être écrasées. Matées. Exterminées. Tu tends les mains dans un grand rire, un rire sauvage et tonitruant, tu commences à tordre les circonvolutions des galaxies que tu piétines et tu dessines un monde qui saigne dans tes mains.
Quand est-ce que ça va s’arrêter ? JAMAIS !
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Cette fois, c'est drôle, c'est comme un déchirement de voix entre le rire et la plainte. Ca te traverse comme un éclair.
C'est bien simple, et ça va vite... tu te sens basculer. Encore retenue là-haut par quelques fils exaltés, et en même temps plus bas... encore un peu plus bas… et c’est si lent ! Tu t’énerves et t’échauffes de voir passer des secondes si longues. Tout défile devant toi, tu essaies de te raccrocher à quelque chose, de rester là-haut, encore un peu, rester saine et sauve...
Jamais, jamais jamais… la voix se distend dans ta tête, sifflements, craquements, hurlements, c’est un concert atroce là-dedans. Fermer les yeux, te boucher les oreilles, ça ne sert à rien. Ton corps te pique et te démange, des blessures s’ouvrent et s’infestent, tu te sens mal, tu veux sortir de toi-même. L'énergie te ronge vivante et tu tournes en rond, rond, rond, des éclairs d’impatience et de colère t’aveuglent et jamais, jamais, jamais, jamais, jamais jamais bat au rythme de ton cœur précipité. Non, jamais… jamais tu n’aurais cru… quand tu te rends compte… tout ce qu’il y a en toi, toutes ces choses qui naissent de rien, parasites qui t'envahissent, monstres qui te bouffent et te font faire des choses qui ne sont pas toi, te transforment en quelqu'un d'autre...
Tu es consciente à retardement d'avoir vécu dans un rêve éveillé. Une mascarade où tu serais personnage principal, grotesquement boursouflée, la bouche rouge étirée en un rire de folle et les yeux noirs de délire. Pourquoi tu as fait ça… pourquoi ?
Quand le délire prend fin, il ne reste plus rien. Un immense vide où se jettent, une à une, tes émotions, comme des condamnées à mort exécutées dans le silence, dans le secret. La nuit, tu rêves que tu te hais. Tu rêves de l’autre dans le coton de ton cerveau vide. Cette horreur que tu as été, ce pantin ridicule. Son empreinte est dans ton corps comme la marque d’un fer, la marque de lames touchant ta chair à la recherche des émotions, des sensations, à la recherche d’un dernier petit bout d’humanité dans cet esprit de robot désincarné, sec, froid, mort.
Tu ne sens plus rien.
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C’est alors qu’il est noir.
Pensées dangereuses. Pensées bouleversées, parasites qui te disent vite, vite, vite. Trouve la porte et claque-la, ne te retourne pas. La faute est trop grande... quand tu es tombée, enfin, dans le fond du fond, à creuser de tes doigts en sang le sol en béton d’une cave d’où tu ne sortiras pas, jamais, à creuser pour t’enfoncer encore, pour te cacher et pour suffoquer, tu ne penses plus à ce qui te retient. Tu coupes les fils, un à un, tu resserres convulsivement les fers qui t’alourdissent, les boulets à tes pieds qui te meurtrissent les chevilles à chaque pas. Tu organises, sombrement, passivement, ta propre descente. Ta disparition dans le tombeau de béton, creusé avec tes ongles, pensé avec ta tête.
Tu te vois, zombie plombé par tes propres murmures dégoulinants d’idées noires, créature dénaturée, écrasée par le goudron en fusion qui brûle et qui sèche dans tes cheveux, dans tes yeux, dans ta bouche, qui colle à ton cerveau comme un chewing-gum maléfique. Tu ne peux rien y faire.
Rien.
Tu n’as plus d’ongles, tu continues de creuser. Continue, continue, continue… jusqu’à la lumière, là, tout en bas, de l’autre côté…
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Une lumière blanche… et d’un blanc… étourdissant !
Voilà, commentaire court et pas constructif pour te dire que je trouvais que ton texte sonne très juste et que je suis contente d'avoir découvert mieux ta plume ces derniers temps.
C'est un texte très touchant en tout cas !
Merci à toi de t'être arrêtée sur mon texten ça fait vachement plaisir ! D'autant plus su tu l'as apprécié et si tu as pu le trouver touchant ^^
Et juste en pensant que c'est possible, que certains vivent dans ce tambour de machine à laver, brassés par ce "il" impalpable, j'ai eu les larmes aux yeux. Et j'ai bien peur de deviner qu'on écrit pas un texte comme celui-ci par hasard.
J'ai découvert ta plume dans La Parole du roi est elle m'a fait beaucoup d'effet. Ici, c'est du concentré. On dirait que tu as passé tes mots à la distillation pour n'en tirer que l'essence, celle qui frappe et qui prend à la gorge.
Bravo pour ce très très beau texte.
Ca me touche beaucoup, ce que tu dis :') j'ai donc pas vraiment écrit ce texte par hasard, comme tu te doutais, il y a pas mal de passages inspirés de mon vécu ; malgré ça, je n'ai pas voulu écrire un texte dont je serais personnage principal et le "tu" est quelqu'un d'indéterminé, qui vit avec cette maladie et a ses propres symptômes, parce qu'elle se manifeste différemment chez tout le monde (mais comme toutes les maladies en fait ^^)
Merci pour tes compliments, et merci beaucoup pour ton passage ici Isa ♥
Je ne crois pas avoir eut l'occasion de te lire jusqu'ici mais damn tu as vraiment une plume très imagée et ça marche top sans que ça paraisse jamais "trop", et pour ce texte ci c'est particulièrement efficace. Toutes les sensations sont transcrites en images et ça plonge dans le texte, ça emporte. J'ai particulièrement aimé la fin avec ce retour à la manie, comme pour marquer un cycle qui ne s'arrête pas (l'idée de creuser vers la lumière est chouette aussi)
à toute sur PA o/
Lyrou
Merci de t'être arrêté ici alors ! je suis contente si ça ne verse pas dans le "trop", c'est un écueil un peu "facile" dans ce genre de textes... c'est vrai que ce texte fait un cercle sur lui-même et revient à l'hypomaine/la manie, même si, en réalité, il peut aussi y avoir des périodes "normales" entre les épisodes.
Merci pour ton commentaire Lyrou, à bientôt !
Oui tu peux le dire, je t'aurais beaucoup commenté en une seule journée ! J'espère que tu ne vas pas en avoir marre XD !
J'aime toujours autant ta plume (oui, ça n'a pas changé depuis tout à l'heure...). Tu parviens à mettre des mots et des figures de style sur des sujets difficiles à aborder et à verbaliser. Je trouve que c'est un véritable tour de force et comme ce ne sont pas des sujets qui me sont familiers, la lecture n'en est que plus puissante et parlante.
Ton texte a tout à fait sa place dans les nominations du Plumest Show comme La Parole du Roi d'ailleurs !
A bientôt !
Cliène
Ah mais j'en pas du tout marre, au contraire, ça fait très plaisir !
Je suis contente si tu as apprécié ce texte et si ça a pu te parler, même si ce n'est pas un sujet familier pour toi. Merci beaucoup en tout cas de t'y être arrêtée, et pour ton commentaire ♥ à bientôt sur PA !
Impressionnant.
Et je vais peut-être me faire l'avocat du diable, mais moi je suis pour le chewing-gum ! L'image est parfaite et je trouve qu'elle apporte une touche de "réalité" avant de repasser en phase d'euphorie, un petit pied sur Terre avant de retourner jouer avec les galaxies.
Bref, merci d'avoir aussi bien traité d'un sujet qu'on a trop tendance à ignorer.
Oh, une défenseuse du chewing-gum ! L'idée me plaisait bien d'introduire un mot très terre-à-terre, et c'est pas faux, ça fait un contraste avec le domaine des hauteurs et des galaxies :p je suis contente si tu as aimé ce choix !
Merci à toi d'avoir lu :D
J'ai été particulièrement happé par l'intro et sur la phrase qui la clot. Et à la fin, l'idée de devoir creuser pour retrouver la lumière, c'est terrible et très visuel.
Je ne sais pas très bien comment il est possible de le commenter, c'est peut-être trop personnel pour envisager de l'améliorer, ça gacherait sa spontanéité.
En tout cas bravo pour ce texte, et à bientôt!
En fait c'est peut-être bizarre mais je ne l'envisageais pas comme un texte vraiment personnel ^^ c'est des sujets que je connais mais le but premier n'était pas de faire quelque chose qui ressemblerait à "moi personnellement je vis exactement ça", plutôt un texte sans personnage principal défini, qui pourrait être n'importe qui en fait, et qui pour le coup décrirait son vécu intime. Si j'avais fait un texte sur "moi", il y aurait eu des différences, enfin je crois. Et j'aurais peut-être (sans doute) pas osé le publier. Après, je ne sais pas si c'est réussi, ni même si ça a du sens xD
Bon tout ça pour dire que voilà, c'est très criticable et améliorable. Merci beaucoup de ta lecture et à bientôt ♥
Quelques petites remarques formelles :
"Une petite voix au fond de ta tête te dit jamais, d’un petit ton espiègle, tandis que tu dépasses la cime du Mont-Blanc [...] de toutes les galaxies à tes pieds, entremêlées, magnifique(s ?), grandiose(s ?), quand est-ce que ça va s’arrêter ?"
Et en plus, comme Tac, je trouve que le "chewing-gum" à la fin n'est pas du plus bel effet... :/
Tu as super bien réussi à rendre les basculements entre les périodes de mania et de dépression, c'est... frappant. Ça ne promet que du bon pour ce futur projet :)
Pour ta première remarque, en fait j'imaginais plus "magnifique" et "grandiose" comme des ecxlamations, du genre "oh, magnifique ! grandiose !" mais c'est vrai que ça peut clasher un peu avec le début de la phrase. Merci pour la répétition de "tout", c'est modifié !
C'est noté aussi pour le chewing-gum qui en effet détonne peut-être trop, même si je bute pour trouver quelque chose en remplacement x) tant mieux, dans tous les cas, si le passage d'un état à l'autre t'a semblé bien fait ♥ merci beaucoup pour ta lecture, Riri !
J'ai lu en même temps que j'écoutais la musique, et j'ai fini pile au moment où elle se terminait, timing de génie. En lisant la deuxième partie, la descente, j'avais joint les mains comme quand je suis à fond dans quelque chose que je lis/regarde, à la troisième partie j'avais des frissons : chapeau l'artiste.
Il y a juste la comparaison du chewing-gum qui est un peu moins topissime, le mot ne fait pas très classe, c'est dommage parce que le principe du chewing gum est ce qui... colle.
Je vais m'arrêter ici sinon je ne vais plus pouvoir te regarder en face à force de chanter tes louanges. Bisouuuuu
C'est vraiment un heureux hasard que ta lecture se soit finie en même temps que la chanson ! Je suis vraiment vraiment contente (et un peu soulagée) si ça a pu te toucher, ça me fait plaisir à lire... :D
Pour le chewing-gum, tu as sans doute raison, ça détonne un peu. En fait je me disais que ça allait "détendre" un peu l'atmosphère mais c'était mal jugé je pense xDD bon... par contre... rien que de penser à "glu maléfique", fufu je rigole. Non il va falloir trouver autre chose.
Moh mais Tacou c'est moi qui vais plus savoir où me mettre. Et bisoooouuu