Minneapolis – 29 octobre 2012
Profitant d'un ordinateur disponible à proximité de la table de la Walker Library sur laquelle elle s'était installée, Darlene abandonna son livre. Il traitait des légendes urbaines. Elle en profita pour consulter la toile, effectuant des recherches sur le même sujet. À quelques mètres d'elle, la voix de sa meilleure amie résonna dans la bibliothèque :
— T'as toujours pas fini ? Je pensais que tu jetais juste un œil sur ton vieux bouquin pour l'emprunter et le lire à l'appart. Mais... Mais... Qu'est-ce que tu fous sur le Net ?
Bien qu'elles étaient seules dans l'établissement, la bibliothécaire à l'accueil leur fit signe de se faire plus discrètes. Gênée, Darlene enroula une mèche de cheveux roux autour de ses doigts tout en lisant la page sur laquelle elle venait de cliquer. Amanda arrivant à sa hauteur du haut de son mètre quatre-vingts en talons haut, elle ne put finir de lire à sa convenance.
— Justin et Steve nous attendent dehors, je te rappelle ! Et, je suis pas sûre qu'ils attendent bien longtemps. Les beaux gosses comme eux s'intéressent pas aux rats de bibliothèques, tu sais.
— Les beaux gosses comme eux, mouais, grommela Darlene avant de fermer le site Internet qu'elle parcourait, sentant sa meilleure amie juste derrière elle.
Cette dernière fit mine de s'offusquer quand leurs regards se croisèrent. Elles se connaissaient depuis plus ou moins cinq ans. Darlene était incapable d'expliquer comment elles avaient fait pour rester amies aussi longtemps. Amanda et elle étaient si différentes. L'une ne pensait qu'aux garçons pendant que l'autre se focalisait sur ses études. Elles étaient toutes les deux en licence d'Histoire et vivaient ensemble dans un appartement qu'elles louaient non loin de la fac. Malgré leurs différences, elles parvenaient à s'entendre. Même lorsque Darlene avait établi qu'aucun garçon ne devait passer la porte de leur logement. Amanda découchait de temps en temps. Elle se lassait vite des garçons et aimait expérimenter les relations. Pour elle, la vie était trop courte pour s'installer avec quelqu'un. À vrai dire, Darlene ne s'en inquiétait pas outre mesure. Elle considérait sa meilleure amie comme une grande fille, adulte et vaccinée.
— Qu'est-ce que tu trafiques avec les légendes urbaines, Dar ? Tu te renseignais pas sur la guerre de Sécession ?
— C'était ce que je comptais faire au début, oui.
— Ne me dis pas que tu as déjà fini de préparer ton exposé prévu pour le mois prochain ?
La jeune femme aux longs cheveux roux ne répondit rien. Elle était loin d'avoir terminé son exposé d'Histoire américaine. En fait, elle ne tenait pas vraiment à expliquer comment, la veille, elle avait trouvé un livre assez étrange sous son oreiller.
Amanda ne pouvait l'avoir laissé là, étant donné que la lecture ne faisait pas partie de ses loisirs favoris. Ou bien il appartenait à un de ses prétendants, auquel cas Darlene avait la ferme intention de lui faire payer d'avoir enfreint la règle du «pas de garçons chez nous». Quand bien même un homme aurait laissé son livre chez elles, pourquoi le laisser sous son oreiller ? La jeune femme se souvenait avoir frissonné la première fois qu'elle s'était interrogée sur le sujet. Elle avait imaginé sa meilleure amie dans des ébats fougueux avec un inconnu dans son propre lit. Mais, elle avait des difficultés à concevoir que l'homme puisse lire une telle chose après l'acte, à moins qu'il ne soit étrange. Darlene espérait qu'Amanda ne soit pas aussi désespérée pour fréquenter des hommes adeptes de légendes urbaines sanglantes alors qu'elle-même était à des années lumières de croire en ces choses-là.
— Et donc, les légendes urbaines. Pourquoi ? reprit Amanda.
— Pourquoi pas ? répondit son amie. Je serai la première personne de ton entourage qui s'y intéresse ?
— Carrément, oui ! C'est plutôt glauque.
L'éternelle séductrice aux longs cheveux blonds était loin du compte en matière de glauque. Elle n'avait pas eu l'occasion de parcourir le livre qui avait atterri mystérieusement chez elles. Il semblerait que ce soit un journal intime appartement à une certaine Mary, fille de médecin. Dès les premières lignes, cette fille avouait d'emblée avoir été tuée de la main de son père. Elle racontait les symptômes de sa maladie incurable. Après quelques recherches, Darlene comprit qu'elle y décrivait les signes de la diphtérie. Tout le reste n'était qu'une longue tirade autour des thèmes de vengeance et de justice. Le contenu du livre faisait froid dans le dos...
La jeune femme avait conscience qu'il était impossible qu'une femme décédée puisse tenir un journal. Cependant, dans les mots qu'elle avait lus, elle avait ressenti une sincérité qui ne pouvait être feinte. D'un caractère rationnel, elle avait rejeté l'idée qu'une revenante puisse annoncer par écrit sa terrible revanche sur les hommes.
Une intuition lui souffla qu'il y avait quelque chose qui se dissimulait derrière cette histoire. Quelque chose d'assez intrigant pour lui donner envie de chercher. Ceci expliquait le détour à la bibliothèque que l'étudiante avait imposé à sa meilleure amie.
— Tu connais vraiment personne qui s'intéresse aux légendes urbaines ?
— Absolument pas ! Je suis pas folle. Tu sais bien que je crois pas en ces trucs.
L'hypothèse de l'amant qui avait laissé sa lecture post-coïtale sous l'oreiller de la meilleure amie de sa maîtresse venait de tomber à l'eau. Amanda était le genre de filles à assumer ses conquêtes, ses excentricités. Si elle s'intéressait aux esprits ou si elle connaissait un adepte de l'occulte dans son entourage, elle l'aurait signalé dans la conversation sans l'ombre d'un doute. Le fait de ne pas savoir comment cet ouvrage était arrivé jusqu'à elle effraya Darlene.
Amanda profita de ce petit moment de confidences pour relancer un vieux sujet de discussion :
— Avec Will, tu me jures qu'il s'est rien passé le mois dernier ?
— Tu vas me poser la question combien de fois ? Je t'ai déjà dit qu'il a essayé de me séduire mais j'ai mis fin à ses avances direct.
La réponse fut entendue avec dubitation. Will était un ami d'enfance d'Amanda avec qui elle aimait partager le lit, le canapé, la banquette arrière d'une voiture, une fois de temps en temps. Darlene était bien au courant que Will était chasse-gardée. Même si Amanda faisait d'autres rencontres de son côté. Le mois dernier, Will avait organisé une soirée pour son anniversaire, invitant les deux jeunes femmes. D'entrée de jeu, il avait tenté de se rapprocher de son amie d'enfance. Cette dernière était davantage curieuse d'un de ses camarades de licence de psychologie.
Darlene avait vu le jeune homme boire à outrance à plusieurs reprises. Il l'avait approchée alors qu'elle était sur le départ. Il marmonnait que puisqu'il ne pouvait pas avoir la femme de ses rêves, il allait se rabattre sur sa meilleure amie. Il s'était penché sur Darlene pour l'embrasser goulûment. Affolée, elle s'était éloignée avant que leurs lèvres ne puissent se toucher. Elle lui avait conseillé de mettre fin à la soirée et de décuver dans sa chambre. Sur ces mots, Darlene était rentrée sans rien dire à Amanda qui devait sans doute être très occupée avec son étudiant de psychologie.
— OK... OK... Pardon mais je devais te redemander pour être sûre. C'est que, tu sais, Will se rappelle plus trop et c'est pas vraiment cette version qu'il a retenu.
— Comme tu dis, Will a des trous de mémoire vu tout l'alcool qu'il a bu ce soir-là. Et ce n'est pas vraiment étonnant vu comment tu l'as royalement ignoré ce soir-là pour Tony, son camarade de psycho... Alors que moi, j'étais sobre. Et ces histoires de coucheries, tu sais à quel point ça me passe au-dessus. Franchement.
— Tu es en train d'insinuer quoi là, au juste ? se vexa Amanda.
— Rien, rien. Mais tu m'accuses constamment d'avoir chauffé un de tes plans réguliers ce soir-là alors je rétablis la vérité. Même si je vais visiblement devoir me répéter une bonne centaine de fois.
— En plus de sous-entendre que je suis une pute, tu dis maintenant que je suis conne ? C'est ça ? s'emporta la colocataire de Darlene.
— Tu sais ce que je pense de ton comportement avec les hommes, Mandy. Mais ce n'est pas pour autant que je te juge. Je dis simplement que Will n'était pas bien ce soir-là et qu'il recherchait du réconfort auprès de la mauvaise personne. Je ne suis pas là pour ramasser à la petite cuillère tes amants éconduits.
— Mes amants, éconduits ou non comme tu dis, t'en entendras pas parler bien longtemps, va !
Le rouge monta aux joues d'Amanda, furieuse de la manière dont elle était perçue par celle qu'elle croyait être sa meilleure amie.
— Toi et tes leçons de morale à la con, vous allez rentrer à pied ! Je vais dire aux garçons qu'on peut partir sans toi.
Alors qu'elle tourna les talons afin de quitter la bibliothèque, Darlene ne put s'empêcher de lui répliquer qu'au moins, elle aurait Justin et Steve pour elle toute seule. Amanda la somma de se taire tandis que la bibliothécaire les rappela à l'ordre. Darlene s'excusa poliment.
Amanda marmonna un juron dans sa barbe. En galopant sur le parking, plus furieuse que jamais, elle rejoignit les deux autres étudiants de sociologie qui patientaient dans leur voiture, une Chevrolet de couleur grise, depuis presque une heure.
— On attend pas ton amie ? C'est quoi son nom déjà...
— Non, on l'attend pas, Justin. Si elle préfère passer la journée avec ses livres de légendes urbaines, c'est son problème.
Steve démarra la voiture et ils quittèrent rapidement le parking. Amanda ne cessait de rejouer la dispute qu'elle venait d'avoir avec Darlene, ce qui agaça le conducteur :
— Sinon, il fait plutôt beau pour une fin d'octobre, non ? fit-il remarquer pour changer de sujet.
Il n'y avait pas de vent et il était encore possible d'apercevoir le soleil briller dans un ciel sans nuages.
— Et pourquoi elle est allée dire que t'étais qu'une sale connasse de pute ? fut curieux Justin.
— Parce qu'elle est trop coincée, justifia Amanda qui ne tenait pas à mentionner Will auprès d'eux.
Steve lança un regard noir à son ami. Ce dernier comprit qu'il ne devait pas encourager la jeune femme à monologuer sur ses histoires de filles.
— Elle est vraiment intéressée par les légendes urbaines, ta pote ? demanda Justin, malgré lui.
Amanda hocha de la tête en expliquant que ceci était nouveau et que Darlene lui avait lourdement demandé si elle était passionnée par cela elle aussi.
— J'ai un cousin qui était à fond là-dedans, avoua Steve. Il passait des heures le nez dans les bouquins et essayait des rituels d'invocation pour rentrer en contact avec des esprits vengeurs.
La jeune femme hésita entre le rire et l'inquiétude. Elle se mordit la lèvre inférieure. Même si elle en voulait à Darlene, elle ne souhaitait pas la voir pratiquer des rituels dans leur appartement.
— Tu dis qu'il «était» à fond là-dedans... Ça lui est passé comment ? s'interrogea Amanda.
— Avec d'autres cousins et des potes, on a accepté de participer à une de ses invocations. On lui a fait croire qu'il avait réussi et que l'esprit était grave énervé contre lui. Ça lui a fichu une trouille bleue. Il n'a jamais reparlé de ces conneries depuis.
En proie à une intense réflexion, l'étudiante en Histoire finit par demander à son chauffeur d'autres détails sur le déroulement de cette fausse invocation. Steve ne fit pas son timide. Justin fit mine de s'y intéresser lui aussi. Mais, la jeune femme blonde n'avait d'yeux que pour le conducteur de la voiture et son histoire d'esprits. Les propos de ce dernier semblèrent la satisfaire :
— Peut-être que mon amie a besoin d'une petite intervention, elle aussi. Mais pas aujourd'hui... Aujourd'hui, je vais profiter de la charmante compagnie que vous êtes.
Y'a moyen de demander la mort express d'un personnage ou c'est abusé ? Genre Amanda... on peut l'enterrer assez rapidement ? :D (en vrai ça ne m'étonnerait même pas qu'elle soit l'une des premières victimes ! La bimbo c'est toujours une des premières !)
Beaucoup aimé ce chapitre, qui permet de bien caler l'histoire et présenter le personnage principal.
Perso, je tombe sur un bouquin pareil je finis direct en PLS moi... (je parle du journal de Mary)
*passe à la suite pour voir des mooorts*
Tu peux souhaiter la mort de qui tu veux, c'est moi qui décide ! :P Mais pour info, Amanda m'agace aussi.
Ouf ! Vu le changement d'ambiance, je suis soulagé de savoir que tu as aimé ce chapitre.
J'ai ri, je l'avoue quand j'ai lu ton passage sur "je finis direct en PLS". J'ai effectivement cru que si tu lisais mon histoire en version papier, tu finissais en PLS. Bon… je dois bien te dire que… c'est pas exclu… !
Je compte sur toi pour compter le nombre de cadavres ;)
La lecture est encore une fois très fluide, ça fait une sacrée différence de passer à une première personne tragi-gothique à du young adult avec des personnages pour l'instant très archétypaux (ça existe comme mot ?)
Cette recherche sur les légendes urbaines, ça m'a rappelé les heures que j'avais pu passer sur le Net étant ado... C'est souvent cheap mais j'aime bien l'ambiance !
Hâte de découvrir comment ce journal intime est arrivé là et ce qu'il va arriver aux protagonistes ! (enquête ? slasheur ?)
Qui n'a pas fait de recherches sur les légendes urbaines étant ado ? C'est presque un passage obligé. Comment ça, non ? Ah bon… Plus sérieusement, c'est voulu le côté cheap. C'est un peu par nostalgie des films d'horreur des années 90 (que j'adore !!) que je me suis mis à l'écriture de cette histoire.
J'espère que les réponses ne te décevront pas, si tu es une habituée du genre horrifique.
Merci pour ton retour !!
Je suis dans ma phase "l'horreur, c'est le bien", alors je poursuis joyeusement ma lecture de Bloody Mary ^^
On sent que tu poses les jalons du reste du récit en introduisant ces nouveaux personnages (qui tranchent avec le 1er chapitre, ce qui titille la curiosité !).
J'ai lu ce 2e chapitre avant de lire ta réponse à ma question dans ton JdB. Et effectivement, au premier abord, j'aurais cité des références assez contemporaines en matière d'horreur !
(Je me permets de te signaler une petite faute d'inattention au passage :
"Elles sont toutes les deux en licence" -> à mettre à l'imparfait
Mode instit' désactivé !)
Merci pour cette lecture et à bientôt =)
Liné
Mon dernier film d'horreur regardé date d'il y a au moins un an et demi... J'aime bien les Scream, Saw, Souviens-toi l'été dernier, Destination Finale, Annabelle, Rec, Paranormal Activity...etc. Mais je ne pense pas puiser là-dedans pour autant. Au pire, peut-être que mon admiration pour les premiers épisodes de la série Supernatural m'a poussé du côté des légendes urbaines mais sinon ce sont vraiment les recherches sur Internet qui me servent de moteur.
Je suis horrifié d'avoir activé ton mode instit ! Ce n'est pas comme si je préparais le concours de prof des écoles depuis 2012 et que j'étais prof particulier à domicile en attendant... Je me dis que c'est parce que j'avais le nez dans le guidon que je n'ai pas vu... Et parce que j'ai peu dormi cette nuit aussi. (que des excuses, je sais).
Je te remercie pour ton retour !! :)