Il n'y avait plus tellement de poésie. On jetait les horloges au fond de puits où même les fous les plus amphibies n'iraient jamais les y puiser. Horizontales, des volées de dentelles de mots chancelaient, depuis qu'on s'acharnait à les dresser, à grands coups de Caterpillar décomplexés. Les derniers tournevis de précision l'avaient sentie venir de loin, leur fin, leur règne inutile ; épuisés, leur temps compté, ils avaient fermé boutique devant les nécessités massives d'une production ininterrompue. Alors, prendre un heure sur une tournure de phrase, une rime, une incohérence à accorder, une faiblesse musicale, devenait un luxe hors de portée. Les compteurs implacables enterraient sous leurs chiffres la langue lasse d'un dernier conteur, comme s'il n'était que simple affabulateur, une motte de terre noire oubliée dans la vase.
Pourtant, seules les méthodes étaient sophistiquées : algorithme d'électrochoc émotionnel, matraquage quantique à suspension chronophage, faire tourner au pas, par réflexe pavlovien, le bas de chaque page, psychologie didactique et manipulation élémentale. La revanche du prestidigitateur sur le magicien.
Tout se faisait en diagonale : techniques de lecture, résumés, copié/collé, accélération des flux. Nous consommions au plus vite, pénétrés de l'urgence d'en profiter, face à l'absurdité d'un processus vital décevant. Il ne s'agissait plus de savoir ce que telle ou telle œuvre avait pu nous apporter mais à quel débit nous l'avions dévorée. Et les tableurs pouvaient bien déborder ; sans cesse, de nouveaux serveurs épongeaient nos sueurs laborieuses
Restaient des champs atones, décharges ouvrant sur ciel aux nuages de conserves congelées, mélodies brûlées, villes minérales, humeurs acides, gorges ulcérées. Plus vraiment livres, mais simples catalogues informatifs, alcool de synthèse par tonneaux de bois vert. Les professionnels professaient, en vantant sans trembler, l'intimité de leur dernier agenda statistique.
C'était la vie d'où je venais. Un éclairage au tempérament implacable, à en soumettre les plus obtus. Il était temps de rouler. J'attendais minuit pile. Ni avant, ni après, je savais que cette heure précise n'existe à vrai dire pas tellement. Ce qui ne doit pas nous empêcher de la guetter ! Alors, ceux qui par hasard (c'est toujours par hasard, ces histoires) synchronisent leur respiration, finissent leur expiration, juste avant l'inspire, pile entre 23h59m59s et la Grande Nuit, les voilà passés !
J'ai eu cette chance.
J'ai mis le vieux costume du grand père tromboniste.
Il était toujours rond comme la lune.
Voyait des droites où il n'y avait que des cercles.
Des vertiges où seuls de sombres jugements nous jetaient dans le vide.
Mais, entre deux tangages, il savait, je le reconnais, faire preuve d'une certaine classe !
Il m'a ouvert les portes de cette altitude où il ne fit que passer.
Sa route n'a pas eu de fin, quand sur son fil il toisait cette ville où la nuit n'existe plus.
S'il avait vu...
Où l'équilibre nous emporte.
Bye, Pépé, bye !
merci pour ton com
" On jetait les horloges au fond des puits. Où même les fous les plus amphibies n'iraient jamais les puiser.", je trouve qu'elle a une justesse mélodique incroyable.
Comme pour tes autres textes, on sent tout ce que le texte charrie de dénonciation sociale : ne pas faire dans la qualité mais dans la quantité, la surcharge d'informations et de nouveautés...
En bref : un texte bien écrit, qui porte un sens accrochant. Je pense que c'est le texte que j'ai préféré chez toi, pour le moment ! (même si les autres étaient déjà de grande qualité)
Je ne t'avais point remerciée ici !
C'est trop... Mais c'est très bon !
Grand merci à toi !