Cachée derrière une boîte de lentilles

Engoncé entre deux bâtisses tombant l’une sur l’autre, l’appartement jouissait d’un étage intermédiaire. Ce qu’il fallait de hauteur pour s’extirper des odeurs de cuisine d’une ruelle jonchée de gargotes, et juste assez peu pour bénéficier de l’ombre des façades penchées en arches au-dessus du petit balcon.

— À la saison blanche, c’est agréable. Il fait moins chaud que dans les étages en plein rayonnement solaire.

Je me tus, laissant l’endroit m’imprégner de sa présence. Les meubles étaient vieux et poussiéreux. Personne ne vivait ici assez longtemps pour en faire danser les flocons dans l’air.

— La chambre d’ami est au fond du couloir à droite, après la salle de bain, ajoutait-il sans conviction.

Puisque je n’avais pas desserré les mâchoires depuis qu’il s’était convaincu de m’apporter son secours, je me faisais un plaisir de garder pour moi mes pensées sombres du moment.

Je l’entendis s’affairer, bruit de vaisselle, il déposa sur une table basse des tasses de céramique peinte, de formes colorées, tribales, une large théière qu’il garnit d’une généreuse poignée de feuilles rouges.

L’eau chaude cadençait un « bip » courroucé. Channyr se précipita vers le thermopulseur pour y prendre le récipient qui l’attendait.

La théière fumait d’un parfum puissamment épicé.

— Vous comptez me dire ce qui vous est arrivé ?

Son sourire me voulait du bien. Il s’était gardé de rire de ma position malaisée sur le pouf bas me servant de siège. L’ancien cuir avait largement été reprisé en polymère teinté. Un œil exercé repérerait aisément la différence entre la matière éternelle et le vieux cuir fatiguant avec les années.

— Vous saviez que nos ancêtres, quelques millénaires auparavant, se contentaient d’une parabole d’acier, savamment orientée vers le soleil pour chauffer n’importe quel contenant. Pas une once d’électricité ou de puissance radio, seulement le rayonnement de leur étoile.

Il répond trop vite.

— Vous êtes une survivaliste ? Ça m’étonne de vous. dit-il, cette fois son sourire gagne à être moqueur.

La moutarde me monte si vite au nez qu’elle s’exprime sans filtre.

— Je suis ce que j’ai besoin d’être.

La discussion étant terminée avant d'avoir commencée, nous voilà avec nos tasses brûlantes et aucune idée de comment reprendre.

Channyr prend son courage et tout à coup, son ton me semble trop compatissant, trop affable. Celui d’un psy ou d’un gourou…

— Sahar, je ne suis pas votre ennemi. Vous avez besoin de parler. Ne vous murez pas à l’intérieur de vous-même.

— Me murer à l’intérieur de moi-même… Vous avez sûrement lu ça sur le réseau, je me trompe ?

Je pensais qu’il se vexerait et qu’il n’insisterait plus.

— Joker ! Je dois protéger mes sources !

Nos rires s’entrechoquèrent. Il m’avait désarçonnée. Je pouvais enfin le remercier de me recevoir chez lui. Nous étions deux inconnus l’un pour l’autre. Et pourtant, je me trouvais chez lui à panser mes plaies.

En y réfléchissant, ce n’était pas prudent. Une jeune femme, pour un peu qu’elle ne soit pas complètement laide, aurait tout à craindre d’aller chez un presque inconnu.

Peut-être devrais-je lui expliquer que j’ai dû passer un certificat d’autodéfense et de survie en milieu hostile avant de pouvoir rejoindre l’équipage de ma sœur. Ou bien je suis assez hideuse pour ne pas me soucier des risques ?

Il sirotait le breuvage, deux yeux vifs dépassaient de la tasse. Channyr scrutait mes réactions.

— Vous avez entendu parler de la catastrophe sur Ventris IV ?

Il acquiesça, n’ajouta rien.

— Je crois que la Mérawen a organisé la destruction de la planète.

Il leva ses sourcils si hauts qu’ils fusionnèrent avec la racine de ses cheveux.

— C’est une grave accusation, ça.

— Je n’ai aucune preuve. Seulement des conjectures.

Il me semblait d’une gravité nouvelle. Pour un historien, les conjectures sont recevables si elles ont une chance d’être prouvées un jour. Pour un juge, il faut prouver pour poursuivre.

— Que comptez-vous faire ?

— Je n’en sais rien.

Médiocre réponse.

— Vous n’avez pas un début de réponse ?

L’évidence, le point central de mes émotions à cet instant :

— Quitter la Mérawen.

De nouveau, sa réponse fuse.

— Vous avez une idée de ce que vous ferez ensuite ?

— Vous n’auriez pas fait des études de psychologie avant d’entrer à la Fédération ?

— Touché !

Il repose sa tasse et pour ne plus avoir l’air d’un psy en pleine séance, il quitte le canapé. Il est assez grand pour que l’exercice soit un petit exploit de souplesse. Le voilà juché sur un pouf, jambes croisées. Je ne peux m’empêcher de remarque que son pantalon remonte sur ses tibias, révélant les commissures d’un tatouage ancien.

D’un regard, il m’enjoignit à répondre.

— Si je vous pose ces questions, c’est qu’elles feront partie de celles auxquelles vous devrez répondre. La Mérawen…

Il s’interrompt et regarde le ciel se parer de rose. Les journées sont courtes sur Sémiramis.

— Quitter ce travail, ce serait aussi quitter vos proches, je me trompe ?

— C’est bien plus que ça.

Le voilà qui grimace, la position doit lui être terriblement inconfortable. La conversation s’éteint, d’une part il ne peut pas aller plus loin dans la confidence sans moi et de l’autre, je n’ai pas envie de parler de mes relations avec ma sœur et mon père avec lui. Channyr reste un membre de la fédération, un proche de Valère qui, aujourd’hui, m’a déçue. J’ai besoin de m’éloigner de ces gens.

— Vous avez faim ?

Si subite, la question m’arrache un hoquet de surprise. Il sourit :

— Mangeons un morceau et prenons du repos. Enfin… Je dois repartir pour une conférence à l’autre bout de l’Archipel. Promettez-moi de ne pas manger toute la crème glacée sans moi, d’accord ?

— Je ne peux rien promettre aujourd’hui…

Ce fut une soirée tranquille, il reparut dans la nuit et bien que je proposais de me rendre utile à lui faire une boisson chaude. Il m’enjoignit de retourner dormir et jamais il ne s’avisa autre chose. Le lendemain matin, je le remerciais et allais trouver le spatioport pour le chemin du retour.

 

 

Et quel retour ! Mon appartement dévasté. La serrure magnétique avait sifflé comme de coutume, la porte s’était grande ouverte pour révéler le désastre. Mes vêtements jonchaient le sol, mes livres étaient éventrés, retournés, gisants comme autant de papillons morts après l’orage. Les tiroirs pendaient mollement et les tapis eux-mêmes avaient été soulevés. Je constatais bien vite que rien ne manquait. Mes bijoux encore là, même ceux soigneusement conservés que ma mère n’avait pris avec elle.

L’ouragan n’avait rien emporté avec lui. Stupeur, je compris que quelque chose de plus précieux encore aurait pu disparaître.

Je claquais la porte à serrure et verrouillais à double tour derrière moi. Louvoyant parmi les débris de ma vie, je gagnais l’espace cuisine où mon propre thermopulseur trônait de toute sa hauteur contre le mur. J’entrepris aussitôt de le désincarcérer du mur. Juste derrière, le coffre-fort était intact. Je m’en serais effondrée de soulagement.

Mon cœur battait la chamade, je trouvais à mon cou l’unique clef pour l’ouvrir, le genre de clef qu’on ne copie pas aisément. Il y eut un bruit de succion quand l’air pénétra le petit habitacle et dans la lumière bleutée de mon thermopulseur en veille, je comptais mes carnets de notes. Pas un ne manquait. Je refermais et puisque visiblement le voleur n’avait pas trouvé de quoi l’intéresser, je supposais que mes carnets étaient à l’abri. Mais pas la clef. J’optais aussitôt pour la glisser dans un paquet de farine trouvé dans un placard. Le thermopulseur remis à sa place, il était bien le seul à y être…

La panique passée, j’étais au milieu d’une catastrophe dont la coïncidence me frappait en plein ventre. Je m’accroupis au milieu de ma vie sinistrée. Les larmes ne vinrent pas. La colère non plus. Je me sentais comme ballottée dans la tourmente, le cœur en berne et la cervelle en grève.

Épuisée de tout, j’abandonnais sac à main et manteau à même le sol. D’un geste rageur, je débarrassais le canapé de ce qui l’encombrait. À cet instant précis, le bras sur les yeux pour les cacher à la lumière, je décidais que ces trois derniers jours n’existaient plus. J’allais m’endormir et pendant quelques heures, tout ça n’aurait pas eu lieu.

 

 

L’heure matinale m’arracha un gémissement de rage dès que mes yeux s’ouvrirent. Le plafonnier éteint avec la venue du petit jour par les fenêtres, je me trouvais en plein soleil à une heure où les gens heureux dorment encore.

Mes pieds heurtèrent le chantier sur la route de la salle de bain. L’eau chaude avait eu le mérite de m’ouvrir les yeux. À la lumière du soleil, l’appartement était une épave.

J’entrepris d’appeler l’assureur. Ce dernier me fit patienter suffisamment longtemps pour que j’en termine mon petit déjeuner avant qu’il ne me réponde enfin.

Une voix féminine, jeune et visiblement amusée, me répondit.

— Je voudrais signaler un cambriolage.

— Madame, pourriez-vous me confirmer votre profil et vos coordonnées ?

Je confirmais, utilisant les trois mots clefs de déverrouillage vocal de mon dossier. La jeune femme parlait sans caméra, elle avait l’allure d’une icône en gris sur noir sur mon écran. Une icône qui semblait rire tandis que ma situation était au troisième dessous.

— Avez-vous contacté le groupement de sécurité de votre quartier ?

— Pas encore.

— Bien. Je note qu’un incident a eu lieu à votre domicile. Mais je ne peux pas faire plus sans la confirmation des autorités. Pouvez-vous évaluer les dommages ?

— Heu…

— Madame, votre police d’assurance n’indemnisera que sur la base de matériels volés lors du cambriolage et sur fourniture des preuves de possession avant le cambriolage. Pouvez-vous évaluer les dommages ?

— Et bien, ça va être compliqué, ils ont cassé des meubles et retourné mon appartement, mais rien ne manque, du moins, rien d’évident. Mon matériel est toujours là et mes bijoux également.

— Dans ce cas, Madame, ce n’est pas le bon service. Vous pouvez obtenir un dédommagement de…

Je coupais la voix riante aussitôt. L’assurance ne ferait rien du tout, puisque rien ne manquait. Comme la veille, je m’assis au milieu des gravats, me demandant bien quoi faire de tout ça. Peut-être tout jeter, tout simplement, non ?

L’interphone sonna, le moniteur mural affichait le visage de ma sœur. Radieuse dans un tailleur rouge et noir. Elle avait l’allure d’une veuve noire. En cet instant, je la détestais. Plus que jamais, cette déesse venue du ciel pour jeter un œil à mes déboires me hérissait le poil. Si seulement je pouvais lui casser le nez… Pour une fois dans ma vie, je souhaitais être celle qui sait comment faire un coup de pied retourné, plutôt que celle qui déchiffre des hiéroglyphes sur des poteries vieilles de trois mille ans.

Elle entra dans l’appartement, le regard scandalisé.

— Mais qu’est-ce que… Sahar, pourquoi t’as fait ça !

— Quoi ?! m’étranglais-je. Tu crois que je suis responsable de ce chantier ? J’ai été cambriolée, n’est-ce pas évident ?!

Son sourire sarcastique en disait long sur ce qu’elle pensait. Elle lorgnait sur la pièce avec une moue dégoûtée.

— Qui cambriole une historienne ? Tu as planqué des fossiles rarissimes dans un coffre sans en parler à papa ?

— Non. Ils n’ont rien volé.

Elle fut stupéfaite.

— Attends, tu t’es faite cambrioler ou pas ?

— Je suis rentrée hier soir et j’ai trouvé mon appartement comme ça. Que veux-tu que je te dise d’autres ! m’emportais-je en jetant sans ménagement son manteau dans le placard du vestibule.

Les cintres étant éparpillés par terre, je ne ferais pas l’effort d’en ramasser un pour elle.

— C’est bon, du calme. S’ils n’ont rien volé, c’est bien, non ? En même temps, ce n’est pas comme si t’étais bien payée.

De la pointe d’un escarpin, aux talons dont la hauteur était sûrement criminelle quelque part dans la galaxie, Samira repoussa les restes des tiroirs d’une commode.

— Bon, au moins t’es prête ! T’as petit-déjeuné ?

— T’es sérieuse ?

— Papa m’a envoyée te chercher, j’ai un emploi du temps chargé alors, s’il te plaît ma chère petite sœur, prend ton sac, ton manteau et barrons-nous.

— Je dois d’abord prévenir la police.

— Mais ils n’ont rien volé !

— C’est bien ça le problème ! Ils n’ont rien pris. Ça veut dire qu’ils cherchaient quelque chose de précis. Et comme ils ne l’ont pas trouvé, ils pourraient revenir pour l’obtenir.

Ma sœur aurait pu démentir, avec toute l’acidité dont elle est capable. Elle choisit d’en rire. Deux éclats de rire, deux notes aiguës qui me transpercèrent de part en part. Je n’étais pas assez bien pour être cambriolée, pas assez précieuse pour risquer quoi que ce soit à ses yeux.

— Aller, viens ! finit-elle par dire en se relevant. Tu appelleras la sécurité ce soir à ton retour.

Je cédais, car Samira était à quelques syllabes de s’énerver. Elle ne me laisserait pas m’occuper de mon appartement et pour tout dire, elle s’en fichait. Ces objets n’avaient aucune valeur à ses yeux.

 

Dans la voiture, ronflant de sa radio préférée à plein volume, elle fit semblant de s’intéresser à mon histoire. Samira n’était pas du genre à s’embarrasser d’une conversation dont elle se fiche si ça ne lui apporte rien. Aussi, je fus stupéfaite de l’entendre dire :

— C’est quand même bizarre que des cambrioleurs saccagent ton appartement et repartent les mains vides… Enfin, t’as eu la bonne réaction en faisant immédiatement remplacer ta serrure. Faudrait pas qu’il t’arrive quelque chose. T’as eu de la chance d’être en déplacement pendant leur visite. Vaut mieux pas tomber sur eux en rentrant des courses !

Elle parlait par-dessus la voix du présentateur radio et quelque chose sonnait encore plus faux que je ne l’imaginais dans sa soudaine tentative de discussion. Car Samira ne savait rien de mon déplacement sur Sémiramis.

— Je n’ai pas touché à la serrure. Elle était intacte à mon arrivée.

Ma sœur me jeta un œil rapide, il était sombre. Ce n’était pas le genre d’observation dont elle avait l’habitude avec moi. Quelque chose en coin, comme un danger arrivant de l’est, avait perturbé son champ de vision. J’étais l’ennemi. Tout à coup, ma sœur me rappela qu’elle n’était pas seulement une jolie femme. Elle était une soldate entraînée.

— Attends, t’as une serrure magnétique dernière gen’, on ne pirate pas facilement ce genre de truc. Tu caches quoi dans ton appartement pour que des gens se lancent dans une telle entreprise ?

— Je ne cache rien, je ne sais pas ce qu’ils voulaient. Tu l’as dit toi-même, je ne gagne pas assez pour avoir des objets de valeur. Quant à mes fossiles, dis-je avec cynisme, pas un ne manque à l’appel.

— M’enfin !

Elle avait un tic nerveux quand elle conduisait et que quelque chose l’énervait. Samira pianotait de ses ongles manucurés sur le volant. J’ajoutais alors :

— Ils ont retourné les livres, tous, sans la moindre exception.

— Tu avais des livres précieux ?

— Pas du tout. J’ai fait quelques copies d’ouvrages du Muséum, mais ils sont en accès libre au public.

— Bon, ils ont peut-être été dérangés… Tu devrais demander à tes voisins.

Cette façon de temporiser aussi sonnait faux. D’abord, car les cambrioleurs ont retourné l’appartement en entier, ils avaient largement le temps de s’empiffrer de mes quelques objets de valeur. Alors, même s’ils avaient été dérangés, ils seraient repartis avec du butin.

 

 

Arrivées à la Mérawen Corp. Udyr nous attendait à l’accueil. Il discutait aimablement avec l’hôtesse d’accueil, totalement sous le charme de ce bel homme toujours élégant et suintant la richesse par tous les pores de la peau. Peut-être même que l’argent poussait sur ses implants capillaires flambants neufs…

— Ah ! fit-il à notre approche. Sam ! Et Sahar. Tu arrives tard aujourd’hui.

— Quelques soucis à la maison. Tu as besoin de me voir ?

— Oui oui, toutes les deux. Allons dans mon bureau pour parler.

Il salua d’un sourire enjôleur l’hôtesse qui lui tenait compagnie jusque-là avant de nous conduire à un ascenseur privé. Il passa le trajet à vérifier son allure dans le miroir, glissant un « tu es magnifique Sam » quand il la reconnut à côté de lui sur son reflet. Étant juste derrière lui, j’étais invisible.

Son bureau était vaste, un étage tout entier lui était réservé. Plus de trois mille mètres carrés pour un bureau, des bibliothèques et des maquettes pimpantes. Un large calculateur trônait derrière une vitre savamment tapissée de vitrophanie hypnotique. Udyr s’installa à son bureau et il se refusa à parler immédiatement.

C’était son truc. Il se tenait là, les doigts croisés, à vous regarder. Il aimait décider de qui perdait son temps ou non. Après tout, n’était-il pas celui qui payait les salaires ?

Sa secrétaire vint nous apporter des victuailles de vigueur, elle s’excusa en nous quittant.  S’excuser de faire son travail, quel monde étrange que celui des secrétaires, n’est-ce pas ?

Enfin seul, il nous sourit. Non, il me sourit. Son regard posé sur moi comme celui d’un faucon sur sa proie, je sentais que le karma n’en avait pas encore terminé avec moi. Udyr avait pris une décision et elle n’allait pas me plaire.

— Ma chérie, commençait-il. Tu as pris un congé hier, étais-tu souffrante ?

— Fatiguée surtout. J’aurais bien poursuivi aujourd’hui si Samira n’était venue me chercher.

— Oui oui, fit-il sans m’écouter, j’avais besoin de te voir.

Voilà qui était dit. J’étais à son service et rien ni personne ne peut empêcher Udyr de faire venir l’une de ses filles s’il en a décidé ainsi, n’est-ce pas ?

— Tu as appris pour Ventris IV ?

— J’ai vu les infos.

Mon ton neutre n’était pas à son goût. S’attendait-il seulement à ce que je sois autant sur la défensive ?

— Prends un gâteau, me dit Samira qui m’en fourrait un dans les mains. Tu as eu le temps de déjeuner ce matin ?

Samira ne tremblait devant personne sinon dieu-le-père. Il avait ce pouvoir sur elle et jusqu’à hier, il avait ce pouvoir sur moi aussi.

— Sait-on exactement ce qui est arrivé à Ventris IV ?

Ma question fit mouche, car Udyr plissa les yeux. Il connaissait mon historique de recherches de la veille, mes requêtes au serveur central, la consultation des relevés cosmologiques du voyage aller et retour…

— Un croiseur. Un accident, dit-il. Vous avez eu de la chance de quitter cette planète à temps.

— Non, ça allait au-delà de la chance.

— Sahar ! me fustigea Samira, sa main sur mon bras et ses ongles pointus pénétrant ma chair au travers de la toile de mon manteau.

— Un accident, tonna Udyr. Et je suis heureux que mes filles aient su travailler main dans la main sur Ventris IV pour en repartir aussi vite !

Le silence qui s’ensuivit m’électrisa. Je me levais, abandonnant les gâteaux non entamés et les boissons chaudes qui ne me faisaient aucune envie.

— Je suis navrée que tu te sois inquiété, père. Mais aujourd’hui je suis en congés et si tu as terminé, j’aimerais rentrer chez moi et en profiter pour me reposer.

— Assis, dit-il d’une voix blanche. Je n’ai pas terminé.

Debout, je scrutais les ombres sur ses joues, la colère naissante. La seule autre femme à lui avoir ainsi tenu tête l’a quitté des années auparavant. Partie du jour au lendemain sans un au revoir. Elle l’avait abandonné à sa colère permanente, pour s’éviter une vie de malheur à ses côtés. Il ne s’en était jamais vraiment relevé.

— Dans ce cas, viens-en au fait !

Si Samira le pouvait, elle m’aurait sûrement cassé le nez à cet instant…

— Sahar, ma chérie. Assis-toi. Nous devons discuter de votre prochaine mission.

— Je n’ai encore rien trouvé qui soit pertinent. Il n’y aura pas de mission avant un moment. À moins que tu n’aies des informations dont je n’ai pas connaissance.

— Sahar, répétait-il encore, comme si m’appeler par mon nom lui donnait du pouvoir. J’aimerais que tu intègres ta sœur à tes prochaines recherches, dit-il simplement. J’aimerais qu’elle puisse te suivre afin d’avoir les informations nécessaires une fois débarquée sur une planète.

— Attends, si je lui livre mes recherches dès le départ, ça signifie que je n’irais plus sur les planètes.

— C’est précisément le but. Tu es une historienne, pas une aventurière. Il est temps de travailler de façon intelligente ! Comment se fait-il que nous devions pirater ton pad pour que l’équipe soit informée des zones de recherches ? On ne peut pas perdre autant de temps juste parce que tu as décidé d’embarrasser ta sœur !

Ainsi, Samira s’était plainte à papa. Elle venait d’obtenir ma mise au placard.

Il en était hors de question.

La colère me rendit plus silencieuse que jamais, je m’élançais à grandes enjambées vers la sortie.

— Sahar ! Sahar, où vas-tu ?!

Je me retournais avant de passer la porte.

— Tu veux faire des recherches, Sam ? Libre à toi. Fais-toi plaisir. Je démissionne !

La porte de l’ascenseur se referma sur leurs visages sidérés.

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Zlaw
Posté le 02/11/2022
Bonsoir Dodonosaure !


Alors, pour contexte, la scène du retour sur un cambriolage a tapé juste là où il ne fallait pas pour moi, mais ce n'est que crédit à la qualité de ta narration. Le seul détail qui m'embête c'est que Sahar ne pense pas à appeler à l'aide de suite. Certes, rien ne lui a été pris, mais on est quand même rentré chez elle et on a tout saccagé. Elle qui a été plutôt émotive dans les précédents chapitres, la voilà bien calme face à cet évènement pourtant choquant. Un effet de mise en perspective ? Elle n'est pas touchée parce que ce n'est pas aussi important que le reste, pour elle ? Bon, comme je l'ai dit, j'ai sans doute du mal à rester objective sur ce thème.
En revanche, je peux confirmer le manque de tact des gens qu'on appelle - le genre qui vous souhaitent une bonne soirée alors qu'on vient de leur raconter ce qui nous est arrivé. Et je confirme aussi que l'assurance est pathétiquement liée à la déclaration des autorités, qui finalement ne servent qu'à ça, parce que pour une enquête, on peut se brosser. Dans une moindre mesure, je suis néanmoins surprise par rapport au dédommagement des dégâts. Si ses meubles sont abîmés, ça devrait jouer. Moi c'était juste la porte, mais il y avait des lignes dans le formulaire pour d'autre trucs cassés. Enfin bref. Sale histoire pour Sahar, et je compatis à sa situation. Surtout que dans son cas, elle est à peu près sûre que ce n'était pas aléatoire. =/

Samira est de pire en pire. Ça en fait un antagoniste fort, mais parallèlement, ça me la rend aussi un peu unidimensionnelle. Jusqu'ici je la voyais plutôt comme une sœur tout aussi mal à l'aise avec sa cadette que sa cadette l'est avec elle, même si c'est moins visible car elle est plus extravertie, et en fait c'est une pure garce ? Aucune rédemption possible pour la relation sororale ? Disons que ça rend la coupure des ponts plus facile pour Sahar, c'est sûr. Au moins, pas de regret à la détester. ^^

Je note que la mère a été mentionnée plusieurs fois maintenant, d'abord pour ses bijoux, puis pour sa façon d'avoir quitté le père. Je me demande si elle va resurgir.

La démission de Sahar en fin de chapitre, si théâtrale, m'a parue un peu précipitée. Ou en tous cas, stratégiquement risquée. Est-ce qu'elle peut vraiment se permettre d'avoir sa famille à travailler à son encontre ? N'aurait-elle pas pu insister pour être sur le terrain ? Si son expertise est importante, elle a un point de levier. Et s'ils peuvent la remplacer, alors... Elle est mal partie, la pauvre.
Aussi, le père manque doublement de diplomatie, car s'il pensait réellement que c'était la relation entre ses filles qui était le problème, alors il aurait juste pu affecter Sahar à un autre équipage, et affecter un(e) autre historien(ne) à celui de Samira, et le souci était réglé. Et puis, pourquoi l'envoyer sur le terrain en premier lieu s'il n'estime pas que ce soit sa place ? Il se contredit tout seul, ce qui lui fait perdre en crédibilité à mes yeux. Après, ça ne semble pas être son souci premier. Les scrupules ne l'étouffent pas, c'est certain. Lui non plus, pas beaucoup de regrets à l'envoyer paître. Et sinon, elle va bientôt avoir de véritables alliés, cette pauvre Sahar ? xD


À très bientôt !

P.S.: seul coquillage que j'ai trouvé sur ta plage :
"Assis-toi" -> "Assieds-toi"
Dodonosaure
Posté le 24/11/2022
Là, on se rend compte de la façon dont le duo Samira-Udyr traite Sahar.
Elle n'aurait jamais réussi à travailler tranquillement avec son père sur le dos en permanence. SURTOUT si elle souhaite s'essayer à chercher quelque chose d'encore plus exotique et pour lesquels les profits potentiels pourraient-être extraordinaires... ;)

je n'en dis pas plus, ton commentaire correspond à l'état d'esprit que je recherche chez le lecteur à ce moment-là ;)

Quant à l'assurance... Sahar a juste la flemme d'appeler "le bon service" pour être dédommagée. En même temps, vu l'absurdité de son premier appel, elle ne doit pas avoir envie de revivre ça de sitôt.
Dragonwing
Posté le 05/06/2022
Ah, ça, ça soulage !!! Je l'attendais, cette réplique. J'étais un peu pendue aux lèvres de Sahar. 😁 Ça doit faire du bien après des journées aussi pourries.

Vu le comportement de Samira, il est très possible que le cambriolage soit venu de la Mérawen, mais ça ne m'étonnerait qu'à moitié si c'était la fédération, à la place. D'autant que Channyr a retenu Sahar toute une nuit à Sémiramis... (Et je n'ai pas réagi au chapitre précédent, mais s'il est d'habitude en poste sur la planète, ça veut dire qu'il a deux apparts, un sur la lune et un sur la planète ? Et il voyage en première classe ? Ah bah boudiou, c'est vrai qu'il gagne bien sa vie, pour un historien en costume fatigué ! Il n'aurait pas quelques squelettes dans le placard, le bougre ?... A part le chat empaillé cyborg, qu'on n'a d'ailleurs pas vu, je suis un peu déçue.)

Je commence peut-être à voir le mal partout, mais en même temps, Sahar manque sérieusement d'alliés fiables ^^;
Dodonosaure
Posté le 15/06/2022
tu remarques si bien mes indices disséminés ça et là... je vais devoir mieux les cacher... ;)

Sahar paye le fait d'avoir été une "marginale" trop longtemps. Elle n'a pas/peu de proches et supporte une famille terrible.
Elle va devoir faire le ménage 8D commençons par le commencement... Bloquer Samira sur Facebook.
Dragonwing
Posté le 17/06/2022
En même temps je suis une lectrice très attentive à ce genre de trucs 😎 Et puis je trouve ça plus facile de remarquer les indices quand on lit chapitre par chapitre et qu'on s'arrête à la fin de chaque pour réfléchir à ce qu'on vient de lire afin de commenter. Tout ça pour dire, ne planque pas trop quand même, ce n'est pas parce que moi je remarque des choses que ce sera le cas de tout le monde ^^

Ah, il y a encore Facebook dans le futur... zut.
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