Nuit paisible. Les flammes éclairent la forêt de reflets mordorés. Le parfum des guimauves grillées enchantent les narines des gamins et se mêlent à la fragrance épicée des sous-bois.
Quand Big Mama arrive sur le lieu de la veillée, un joyeux désordre règne. Elle lance une bûche sur le brasier. Une gerbe d’étincelles, portée par l’air chaud, s’envole vers les hauteurs de la clairière. C’est le signal. D’un seul corps, les enfants cessent leurs gesticulations et leurs mimes, s’assoient autour du feu. Ils restent immobiles, attentifs.
Avec des mouvements lents et incisifs, Big Mama commence son histoire.
Prenez garde à la Perce-oreille.
Un frisson parcourt l’assistance. De ses mains expressives, Big Mama continue.
Il était une fois trois amis. Je les ai bien connus, ils étaient mes élèves il y a très longtemps. Lucie était une petite fille charmante et vive, à l’imagination débordante, mais téméraire. Quand une idée lui traversait l’esprit, rien ni personne ne l’arrêtait. Gidéon, son meilleur ami, avait une personnalité plus effacée. Crédule et influençable, il gobait toutes les affabulations de Lucie. Or, elle s’était mis en tête une idée terrible. Que les cache-oreilles ne servaient à rien.
Sûre de son effet, Big Mama marque une pause. Les plus jeunes, effrayés, portent leurs mains à leurs oreilles. Ils s’assurent que leurs précieux caches sont bien en place.
Un jour, après les cours, Lucie retrouva Gidéon dans la forêt.
- Hier soir, avant de dormir, j’ai enlevé mon casque.
- Quoi ? Mais t’es dingue. Tu sais bien que c’est dangereux d’”écouter”, lui répondit-il.
- Pfff. Qu’est-ce qu’on risque ? Se faire emporter par la Perce-oreille ? Tu y crois, toi, à ces histoires ?
Dans un geste tout de même un peu curieux, Gidéon lui demanda :
- Et alors, c’était comment ?
- Incroyable. La maison, elle est vivante en fait. Elle…elle “parle”. Tu veux qu’on essaie ?
- T’es sûre ?
- Mais oui. Regarde les oiseaux, ils n’ouvrent pas leurs becs que pour manger. Je suis certaine qu’ils ont des tas de secrets extraordinaires à nous révéler.
Malheureusement, la Perce-oreille se trouvait dans les bois elle aussi. Elle vit la discussion des enfants et quand ils enlevèrent leurs cache-oreilles, elle commença son envoûtement. Très léger au début. Elle ne voulait pas les effrayer. De légères vibrations entrèrent dans les oreilles de Lucie et Gidéon. Ils les trouvaient fantastiques et, après 5 minutes, se promirent de recommencer la semaine suivante.
C’est ainsi qu’ils prirent l’habitude de se retrouver, le vendredi après les cours, dans les bois, pour braver l’interdit. Puis, trois par semaine. Puis tous les jours. Chaque fois, la Perce-oreille était là, cachée, guettant dans l’ombre. Chaque fois, elle recommençait l’envoûtement, des vibrations de plus en plus fortes, de plus en plus intenses. Les deux enfants ne mangeaient plus, dormaient mal, toujours à l’affût de la moindre occasion d’”écouter”. Leurs notes à l’école devenaient médiocres et je m’inquiétais mais il était déjà trop tard. La Perce-oreille avait fait son oeuvre.
Un soir, comme les enfants enlevaient une nouvelle fois leurs casques, elle sortit un objet maléfique, une guitare. Elle en pinça les cordes. Lucie et Gidéon se retrouvèrent ensorcelés.
Un délicieux sentiment d’effroi s’emparent du public. Les petites poitrines autour du feu se soulèvent, la respiration suspendue. Les yeux grands ouverts s’accrochent aux doigts de Big Mama.
La Perce-oreille se prépara à emporter les deux malheureux amis dans sa tanière, pour les dévorer tout cru. À ce moment-là, le jeune Jonas passa dans les bois. Voyez-vous, Jonas était un enfant distrait et il ne prenait pas grand soin de ses affaires. Ses livres étaient toujours écornés au coin et les mines de ses crayons brisées par de nombreuses chutes.
Quand Jonas vit Lucie et Gidéon s’aventurer dans la forêt, il voulut les rejoindre. Comme d’habitude, il avait mal noué ses lacets. Il s’entremêla les pieds et tomba au moment même où la Perce-oreille sortit son instrument magique. Son cache-oreilles, mal entretenu et déjà rapiécé, se cassa. Vous avez cru qu’il pourrait les sauver ? Non. La maladresse est un défaut aussi grave que la témérité ou le manque de caractère. Tous trois disparurent et on ne les revit plus jamais.
Avec ce geste brutal, Big Mama termine son histoire. Les enfants se lancent des regards furtifs, retiennent leur souffle encore un instant, vérifient la solidité de leurs cache-oreilles.
Nuit silencieuse. Les flammes crépitent dans la forêt bruissante.
Cependant, le fait que Jonas soit puni pour sa maladresse me semble injuste. Selon cette notion de la morale, les enfants dyspraxiques, pour ne citer qu’eux, seraient condamnés. Ça laisse songeur.
Quoi qu’il en soit, j’ai eu du plaisir à lire ces trois textes de ta belle plume.
Coquilles et remarques :
— Ici aussi, il y a des majuscules abusives. Dans les titres d’œuvres qui commencent par un article défini, on met une majuscule au premier mot, aux noms propres, au premier nom commun et aux éventuels adjectifs qui le précèdent, (« Le Petit Chaperon rouge », « Le Vaillant Petit Tailleur » ou « Les Fleurs de la petite Ida »), sauf si l’auteur veut mettre deux personnages ou deux notions au même niveau [« La Belle et la Bête », « Le Rouge et le Noir »).
— Le parfum des guimauves grillées enchantent les narines des gamins et se mêlent à la fragrance épicée des sous-bois [Le parfum (...) enchante (...) et se mêle.]
— Prenez garde à la Perce-oreille. [Il faudrait écrire « Perce-Oreille » ou « perce-oreille » ; la seconde option est préférable, sauf si c’est un surnom ressenti comme un nom propre.]
— Gidéon, son meilleur ami [Normalement, c’est « Gédéon » s’il est francophone ou « Gideon » (sans accent aigu) s’il est anglophone. D’ailleurs, si les personnages sont anglophones comme le suggère le nom « Big Mama », la graphie « Lucy » serait plus logique aussi.]
— Ils les trouvaient fantastiques et, après 5 minutes [« cinq minutes » en toutes lettres serait préférable.]
— Puis, trois par semaine. Puis tous les jours. [Pourquoi mettre une virgule avant « trois » ?]
— La Perce-oreille avait fait son oeuvre [œuvre ; ligature]
— Un délicieux sentiment d’effroi s’emparent du public [s’empare]
— pour les dévorer tout cru [tout crus ; « tout » ne s’accorde pas parce qu’il a valeur d’adverbe, mais l’adjectif « crus » doit s’accorder]
— et tomba au moment même où la Perce-oreille sortit son instrument magique [sortait ; concordance des temps]
J'avais déjà lu ta précédente histoire.
Celle-ci est tout aussi bien et très originale. Elle me fait penser aux histoires que l'on se racontait quand nous étions en primaire mais en mieux.
Le fait que la guitare devienne un objet maléfique est amusant, je n'y aurais jamais songé. ^^
Au plaisir de lire la suite.
A bientôt.
Je trouve que cette histoire manque un peu de fluidité (notamment quand c'est Big Mama qui raconte) mais je voulais la publier dans les temps. J'aimais bien l'idée d'un monde où les sons seraient considérés comme dangereux (mais le sont-ils vraiment ?) et où la musicienne serait une sorte de Croque-mitaine présentée ainsi aux enfants pour qu'ils restent bien sages et ne se mettent surtout pas à écouter.