Si je vous dis Casse-Noisette, vous répondez...?
Le ballet de Tchaikovsky ? Je vois que nous avons parmi nous de fins mélomanes... L'histoire de E.T.A Hoffman ? reprise par Alexandre Dumas ? Pas mal... mais vous pouvez faire mieux... Le dessin animé de Barbie ? Non... Vous gelez...
Tout le monde connait l'existence du Casse-noisette magique qui danse avec Clara dans le ballet le plus célèbre de cette période de l'année mais qui s'est demandé comment était apparu le premier CasseNoisette ?
Je vous entends d'ici :
-Un type a dû décider que fabriquer des casse-noisettes lui rapporterait plein d'argent et a ouvert une usine...
Eh bien non... La légende est bien plus belle... Vous voulez l'entendre ?
Allons-y... Notre histoire commence dans les Monts métallifères, en Allemagne... Dans cet environnement où la dureté de la nature n'égalait que celle du travail des hommes dans les mines, vivait un paysan appelé Jurgend Grüpper....
On ne vous dira pas comme d'habitude que le héros de cette histoire était un séduisant jeune homme qui vivait dans une pauvre cabane... En vérité, c'était plutôt le contraire : 8 Jurgend était plutôt un vieux monsieur ronchon qui vivait dans la plus jolie maison du village... car notre paysan grognon n'était pas pauvre du tout... Il était même très riche et possédait des terres, des bêtes et pas mal de richesses... Mais comme cela arrive souvent, c'était un affreux radin… (Vous avez vu Picsou ? Imaginez Grüpper sans bec de canard...).
Le soir de Noël, Grüpper n'invitait jamais personne (les fêtes, c'est cher et il faut inviter plein d'amis ce qui n'est nullement pratique lorsqu'on n'en a pas....).
A chaque réveillon, notre grippe-sou ronchon fermait ses volets pour ne pas voir les fenêtres illuminées des gens du voisinage qui fêtaient Noël en famille et s'adonnait à son seul plaisir : casser des noix... (Ben quoi ? Il adorait les noix et on a les passions qu'on veut dans la vie, non, mais!).
Malheureusement pour notre déprimant ami, il ne savait pas les ouvrir et pour goûter une seule de ses petites friandises, il devait manquer s'ouvrir la main une centaine de fois avec son couteau...
Un soir de Noël, Grüpper essayait comme à l'accoutumée d'ouvrir ses fichues coques lorsque la pendule le fit sursauter. Le couteau ripa entre ses doigts et acheva sa course dans sa paume... Déçu, blessé, Grûpper prit alors une décision qui devait marquer les siècles à venir... (quoi, tout ça à cause d'une noix ? Vous avez vu ce que Newton a fait avec une pomme ? ).
Le lendemain, notre homme fit appeler le héraut du village et lui fit part d'une étrange requête... Ce dernier se gratta la tête et alla voir le bourgmestre pour confirmation.
— Bah...Pourquoi pas...? En ces temps troublés, cela devrait distraire tout le monde.. et si on peut soutirer un peu d'argent à ce vieux grigou..
L'après-midi même, l'ensemble du village put donc entendre une bien curieuse proclamation :
— Oyez, oyez, braves gens...! Toute personne qui sera capable de trouver un moyen rapide et sûr d'ouvrir les noix du sieur Grüpper recevra de sa part la somme de 100.000 marks et sa reconnaissance éternelle...
— Je me fiche bien de sa reconnaissance, chuchota Jan Müller, le bûcheron. Mais ces 100.000 marks feraient bien mon affaire... — Ne rêve pas, lui répondit son ami Tüpper Wartz, le menuisier, cet argent est à moi...
Dès le lendemain, des dizaines de voisins plus ou moins proches, tous devenus inventeurs en une nuit se pressaient devant la porte du vieil homme.
Et, jour après jour, la mascarade s'installa.
Jour 1 : — Vous êtes sûr que cela va marcher ?
— Comme sur des roulettes! Faites confiance à ce bon vieux Jan Müller !
— Mais je ne vois pas en quoi bûcheron et inventeur sont compatibles...
— Je ne suis pas ingénieur mais ingénieux! C'est le plus 10 important... Voyez.. Je place cette noix ici, je lève ma hache et...
— Ma table !!!!!
— Bah... Ce n'est qu'une petite entaille de rien du tout... enfin... maintenant que vous en avez deux, vous pourrez aussi vous en servir de console pour y poser un vase à l'entrée.... Cela se fait beaucoup à Berlin...
Jour 2 :
— J'ai appris votre mésaventure avec mon ami Müller... Avec moi, cela ne sera pas la même chanson...
— Je ne vois pas en quoi un menuisier est plus adapté qu'un bûcheron pour trouver une idée pour...
— Vous allez voir... C'est tout simple... Je sors une noix que je pose sur la table et ma scie...
— Ma table !!!!
— Je ne l'ai pas coupée en deux comme un certain incompétent de ma connaissance... et en plus, maintenant, vous avez une jolie démarcation pour qu'un menu puisse tenir debout dans l'entaille.. C'est très tendance dans les grands restaurants de Bonn...
Jour 3 :
— Je suis venue car les étoiles me l'ont dit... J'ai reçu ce don de ma grand-mère, la sorcière guérisseuse de la forêt...
— Le don d'ouvrir des noix ?
— de me faire entendre...
— de qui ? de la noix...?
— (s'asseoit et ferme les yeux) : Chut à présent... Esprit du foyer es-tu là ? Gèle l'air autour de cette noix pour qu'elle casse plus facilement... Je te le demande...
— Euh... Il ne se passe rien, là ?
— Vous croyez que Bonn s'est construite en un jour ? Taisez-vous un peu... Quand les esprits seront prêts, vous verrez..
Jour 4
— Attendez voir, m'sieur... Vous allez voir, je m'en vais l'ouvrir, votre noisette !
— C'est une noix... et je ne voulais que des adultes !
— Vous allez voir... Je suis super calé aux billes... Je prends une autre noix, je vise, je tire... et je recommence... Je vais y arriver... Attendez un peu...
Jour 5
— Sur le champ de bataille, j'ai ouvert des choses autrement plus difficiles... Avec les camarades, on vous explosait une boîte de sardines à dix pas...
— Je ne veux pas qu'elle explose... et un fusil ne me semble guère approprié...
— Vous inquiétez pas... Regardez... Je recule, je vise et je tire... 12
— Ma table !!!
— (se gratte l'oreille, ennuyé): l'angle d'incidence n'était pas bon... J'aurais dû tirer une balle rasante... Mais maintenant, vous avez une balle de fusil bavarois dans le bois de votre table... demi-table... Ça va devenir un meuble historique... Attendez... je recommence... La balle ricocha sur la table et partit à droite, la noix partit à gauche, la balle ricocha sur le mur de droite, la noix sur celui de gauche, noix et balle se croisèrent, hélas sans se rencontrer avant de se ficher dans le mur à deux centimètres de la tête du paysan pour la balle et de retomber par terre pour la noix.
—Vous voulez m'assassiner !
— Mais pas du tout, voyons...
jour 34
Le perron du paysan était vide. La mission “casse-noisette” était un échec... on la classa et on passa à autre chose...
Les mois passèrent... La neige revint... Noël allait bientôt refaire son apparition et Grüpper regardait avec tristesse son gros tas de noix qu'il lui faudrait encore ouvrir avec un couteau au risque d'y laisser un doigt... Au moins, c'était plus sûr qu'avec une hache, une scie ou un fusil... mais la consolation était maigre...
Pendant ce temps, à l'autre bout du village, un drame se jouait dans la maison de Karl Von Jurger, le fabricant de jouets. Sa femme hurlait devant la porte de son atelier...
— Karl ! Ca suffit ! Ouvre cette porte !
—Eh bien, ma commère, lui cria madame Jüpper depuis sa fenêtre... Que vous arrive t-il ?
—Voilà t'il pas que le Karl me fait des siennes ? Il s'est enfermé là-dedans il y a trois jours et pas moyen de lui faire passer une flammenküche ou un verre d'eau...! Il va me faire un malaise !
—Sûr, c'est fâcheux... Vous savez ce qu'il a ?
—Je ne sais pas... La nouvelle de ccette bizarrerie ne manqua pas de faire le tour du village et un public conséquent se massa devant l'atelier...
— Qu'est-ce qu'il fait à votre avis ? demandait Frau Müller.
— 10 marks qu'il prépare des poupées pour nos filles...
— ou des patins pour nos garçons...
— Je prends les paris.. Qui mise sur les patins...?
— Dites... En attendant qu'il sorte, vous n'auriez pas une petite faim...? 3 marks la tartelette... pas cher...
— Une chaise ? Un coussin ? Pour deux marks, attendez confortablement !
Le brave artisan, bien ignorant d'être devenu une attraction touristique de premier ordre continuait sa besogne... Le jour...
— Une boisson ? Une ombrelle ?
Et la nuit...
— Un oreiller ? Une couette ?
Cinq jours et cinq nuits passèrent... A l'aube du sixième jour, un enfant ouvrit un oeil ensommeillé... :
—Regardez! Il sort...! Le brave homme, en effet sortait enfin, porteur d'une boîte des plus mystérieuses...
—A votre avis, c'est quoi ? demanda Frau Werner.
— Trop petit pour être des poupées pour toutes nos filles...
— Il va peut-être faire un concours ?
— Alors ce sont peut-être des patins pour nos garçons ?
—Pourquoi faudrait-il encore donner des choses aux garçons ?
— Pourquoi faudrait-il encore ne penser qu'aux filles ?
— Taisez-vous! Il se dirige vers la maison du vieux Grüpper !
Concentré sur sa progression et visiblement indifférent à toute cette agitation, le vieux fabriquant de jouets continuait sa route en toute sérénité...
Mais le cortège qui traversait le village en étonnait plus d'un...
— Hans ! Qu'est-ce que tu regardes par la fenêtre ?
— Le père Von Jurger a l'air bien pressé...
— Et alors ?
— La moitié du village le suit...
— Quoi? Fais voir ?... Mais... C'est quoi cette boîte...? Mais... ma parole ! Il va chez le vieux Grüpper ! Il faut que je voie ça...
Et la marée humaine ne cessait d'enfler au fur et à mesure que le vieil homme approchait de la maison du payson ronchon...
Arrivé à la porte, il toqua poliment..
—Qui est là ? cria Grüpper depuis l'intérieur...
—Karl Von Jurger... J'ai quelque chose pour vous...
—Entrez...
Alors commença la bousculade car les 354 personnes qui suivaient le vieil artisan voulaient rentrer dans une maison, qui, de toute évidence, ne pouvait en contenir qu'une cinquantaine...
— Laissez-moi passer, dit le bourgmestre..
— Pourquoi cela ?
— Parce que je suis le bourgmestre...
— Non, moi, décida le gendarme...
— Pourquoi ?
—Et si une dispute éclate ?
Pendant ce temps, les enfants s'étaient faufilés à l'intérieur tandis que quelques curieux plus futés se massaient aux fenêtres... Dans le salon, Herr Grüpper regardait Karl Von Jurger ouvrir son étrange paquet...
Une ravissante poupée joliment vêtue des vêtements du dimanche des mineurs des Monts Métallifères jaillit de sa boîte...
Grüpper, tout ému, prit le jouet que lui tendait Von Jurger et plaça délicatement une de ses noix dans la machoire de bois... Les coquilles tombèrent au sol, libérant leur précieux fardeau...
Ravi, Grüpper avait retrouvé ses dix ans et s'amusait comme un petit fou... jusqu'au moment où il croisa le regard d'une petite fille... Pris de remords, il lui tendit son joli cadeau :
— Tu veux essayer ?
Le sourire chaleureux que lui décocha la fillette le ramena au temps béni où il n'était pas encore riche et où il avait encore des dizaines d'amis... Il vit alors pour la première fois ce qu'il avait occulté depuis des années.... Les enfants curieux qui évitaient sa maison et remplissaitent de leurs rires et de leur joie de vivre les autres parties du village... Les habitants, pressés contre ses carreaux, dont certains, qui n'osaient même pas lui adresser la parole, avaient pourtant été ses camarades de jeu...
Grüpper fit un grand signe :
— Entrez ! Entrez vite !!!
Les curieux ne se firent pas prier et on fit rapidement mander un domestique pour acheter un bon repas pour tout le monde.
Quand au fabricant de jouets Karl Von Jurger, il reçut un magnifique atelier flambant neuf... Depuis ce jour, le vieux grigou ne laissa plus jamais son salon vide de visite et mit sa fortune au service du bien-être de la communauté, devenant ainsi un des membres les plus appréciés de la région...
Quant au casse-noisette, il ne quitta le dessus de la cheminée qu'une fois en dehors dees nuits de Noël : le jour où Karl Von Jurger lui cousit un ravissant uniforme rappelant celui des grands officiers que l'on voyait souvent au village, venant se détendre au café entre deux batailles... C'est ainsi qu'il devait séduire le grand auteur E.T.A Hoffmann qui en fit le héros de son histoire... La légende était née...
J'aime beaucoup les contes revisités et celui-ci avec son humour moderne serait parfait à raconter un soir d'hivers à mes enfants. (en plus, nous avons toujours des noix à la maison.)
Après c'est vrai que le vieux gripsous change vite de camps 😅
L'ambiance "vieille école" des contes est vraiment bien retranscrite avec cependant un humour assez moderne ! J'aime bien les commentaires humoristiques du narrateur, mais attention à ne pas en mettre trop, ça coupe un peu de l'histoire. Mis à part ça j'aime beaucoup, belle fin !
Allez c'est Noël, tous les espoirs sont permis dira-t-on !
En tout cas, bravo pour l'histoire, elle se lit d'une traite et j'ai aimé l'histoire des restaurants Berlin, Bonn... (qui aurait peut-être pu être poussée encore plus loin par les autres pseudo inventeur...)
Pour ce qui est de l'écriture en elle-même, elle est très fluide, c'est agréable, mais attention, quand il y a des dialogues, tu ne reviens pas à la ligne quand la parole est terminée. Tu vois ce que je veux dire ?
Sinon, magnifique !