Ce que disent nos yeux

 

Au milieu d’un champ immense, illuminé de couleurs joyeuses, une jeune femme brune, souriante, admire un oiseau bleu.

Vos yeux vous diront que cette jeune femme vie sa vie dans la plénitude et vous en resterez là. Vous vous sentirez admiratifs, envieux, jaloux peut-être… ? Parce que vos yeux ne vous auront pas tout dit.

En fait, cette jeune femme brune, c’est Marie. Et vous n’avez rien deviné de sa souffrance. Vous n’avez rien vu de son lourd passé.

Moi, depuis mon enfance, mes yeux et mon cœur ne font qu’un. Alors je vais vous raconter ce que mon cœur m’a donné de voir à propos de Marie.

***

 

Marie se lève et descend les escaliers en chantant une petite comptine : « Un éléphant qui se balançait… ». Elle entre dans la cuisine et sa mère l’accueille avec un sourire angélique. Pendant qu’elle s’installe, sa maman lui dépose un grand verre de lait, une assiette avec deux tartines de confiture aux fraises, sans oublier le petit bisou sur son front, qui signifie « Je t’aime, ma fille ».

Son père arrive, tenant dans ses bras un nourrisson de 3 mois. Elle se lève et court vers eux pour faire un petit câlin au bébé. Ses yeux brillent d’admiration pour son petit frère. Et son père lui dit : « Ma princesse, termine ton déjeuner, je vais bientôt te conduire à l’école. »

***

Elle joue joyeusement dans la cour avec ses camarades de classe lorsque deux gendarmes pénètrent dans la cour d’école. Une maîtresse va à leur rencontrent. Après une brève discussion, ils entrent dans le bâtiment de l’école. La petite fille ne sait pas qu’elle vit ses derniers instants de joie, de bonheur, et que sa vie va basculer dans le néant.

 

La cloche sonne pour prévenir que le temps libre est terminé, qu’il faut reprendre l’apprentissage. Les élèves forment un rang par deux. Marie a toujours son sourire angélique.

 

Pendant que les élèves s’installent, la directrice entre dans la classe en regardant tristement la maîtresse : elles savent toutes les deux que la nouvelle va bouleverser la vie de la fillette. La directrice prie Marie de la suivre jusqu’à son bureau et, lorsqu’elle ouvre la porte, un gendarme tourne en rond : il se demande comment annoncer une nouvelle aussi terrifiante à un enfant de 7 ans. Le second gendarme est assis en face du bureau de la directrice. Une chaise vide se trouve juste à côté de lui. Son comportement est impassible, sans doute qu’il a un cœur de pierre et souhaite vite en finir avec cette histoire pour pouvoir rentrer chez lui.

 

Marie se demande pourquoi les gendarmes sont présents dans le bureau. Son regard angoissé se tourne vers la directrice, qui lui sourit en disant : « Tu veux bien d’asseoir sur cette chaise ? » en désignant l’endroit du doigt. Le gendarme se penche vers la fillette et lui annonce que ses parents et son petit frère ont perdu la vie dans un accident de voiture. La petite fille, en larmes, commence son voyage vers le néant.

***

Marie est devenue une jeune adolescente de 15 ans et n’est plus que l’ombre d’elle-même. En 8 ans, elle a connu des placements dans des familles d’accueil qui étaient très aimantes mais où elle n’a jamais trouvé sa place. Pour finir, elle a dû être placée dans un foyer, avec d’autres jeunes qui ne vivaient plus dans leur famille pour diverses raisons.

Un jour, à l’aube de ses 25 ans, elle a croisé le chemin d’un jeune homme châtain, qui vivait sa vie au gré du vent. Il était vraiment l’opposé de la jeune femme. Et ils vivent une romance à l’apparence parfaite, comme dans les films romantiques. C’est, en tout cas, ce que les autres pensent lorsqu’ils croisent le couple.

 

En vérité, Marie ressent un mal-être qu’elle ne peut expliquer. Elle ne se comprend pas. Elle a ce qu’il lui faut dans sa vie : un travail, une maison, une voiture et un homme qui l’aime tant. La société lui a enseigné que le bonheur de la vie, c’est cela. Son compagnon ne la comprend pas toujours : pourquoi sa femme s’enferme-t-elle sur elle-même ? Elle lui a raconté son histoire sans s’attarder sur le sujet de sa famille. Mais elle ne sait pas elle-même pourquoi elle n’est pas heureuse. Son compagnon peut lui poser toutes les questions qu’il veut, elle ne saurait jamais lui répondre, à part peut-être trouver une réponse toute faite. Mais à quoi cela servirait-il ? C’est ainsi qu’elle a bien dû décider de garder son mal-être et qu’elle continue à glisser dans l’obscurité d’elle-même.

***

Un matin d’été, Marie décide de se promener dans un parc pour se retrouver juste avec elle-même. Une dame âgée d’une soixantaine d’années la reconnaît et va à sa rencontre : « Excusez-moi, vous ne seriez pas la petite Marie qui était à l’école Saint-Martin ? » Et celle-ci lui répond avec un air interloqué : « J’étais bien scolarisée dans cette école lorsque j’étais enfant. Cependant veuillez me pardonner, je ne vous remets pas, qui êtes-vous ? » La dame lui sourit : « Ma petite Marie, je suis Madame Duchêne, j’étais la directrice de cette école. Je pense souvent à vous. Dire que vous étiez présente au moment où la scène horrible s’est produite chez vos parents, paix à leur âme !... » Marie décide de couper court à la discussion en prétextant qu’elle a un rendez-vous très important. Tout au long du chemin pour retourner chez elle, elle tremble de partout, avec une impression de suffoquer. Elle se dit : « La directrice est devenue sénile : je n’étais pas présente au moment de l’accident de voiture. J’étais à l’école à ce moment-là ! »

 

Pendant le souper, son compagnon remarque que quelque chose ne va pas et lui pose la question « Mon amour, tu as l’air perturbée. Est-ce que tu vas bien ? », « Oui je vais bien. » répond-elle. Il n’est pas convaincu et ajoute à voix basse : « Ça se voit que tout va bien puisque tu n’as même pas touché à ton assiette. » Marie s’énerve : elle se lève et va dans la chambre à coucher, où elle pleure toute la nuit.

 

Le matin, en buvant son café, Marie décide d’aller au bureau de police pour lire le dossier de l’accident. Elle se dirige vers l’accueil et explique à un gendarme qu’elle souhaite le dossier de l’enquête de l’accident. Le gendarme lui explique que ce n’est pas possible : elle doit d’abord avoir l’autorisation du juge d’instruction. Au moment où elle montre son mécontentement, un homme franchit la porte d’entrée du commissariat. En avançant vers la scène qui se déroule devant à l’accueil, il demande au gendarme ce qui se passe. « Monsieur l’inspecteur, Madame souhaiterait lire le dossier de l’enquête de l’accident de voiture de ses parents et son petit frère qui s’est produit, il y a… » L’inspecteur lui coupe la parole en disant qu’il s’occupe de la dame, et prie celle-ci de le suivre.

Lorsqu’ils s’installent dans son bureau, l’inspecteur confie à Marie qu’il a eu la tâche de lui annoncer le décès de sa famille et qu’il était gendarme à l’époque. Marie se souvient d’un gendarme assis auprès d’elle et qui semblait totalement indifférent à ce qu’on allait lui annoncer. Elle lui demande s’il peut lui en dire plus à propos de l’accident de voiture que sa famille a subi. L’inspecteur est surpris qu’elle parle juste d’un accident et lui explique la procédure qu’elle devrait normalement suivre pour obtenir le dossier. Il rajoute pourtant qu’il se souvient très bien d’elle et qu’un sentiment à l’intérieur de lui, lui a toujours dit de garder une copie du dossier. En effet, ce jour-là, lui aussi avait une raison d’être triste : il se sentait impuissant face à la maladie de son fils de 12 ans, une leucémie aiguë lymphoblastique. Il voyageait entre le travail, la maison et la visite quotidienne à l’hôpital, pour passer un moment avec son fils. Il n’arrivait plus à trouver un sommeil réparateur, depuis l’annonce de la maladie de son fils, il ne fermait même plus les yeux pendant la nuit de peur qu’un jour, l’hôpital lui sonne pour annoncer le décès de son fils. Après avoir ainsi expliqué à Marie pourquoi il avait pu lui paraître aussi insensible à sa situation, il sort le dossier du tiroir de son bureau. En le tendant à Marie, il lui dit : « Je vous conseille de le lire tranquillement chez vous. »

 

Marie s’installe dans le divan avec le dossier de l’enquête sur les genoux, elle respire profondément et, en ouvrant le dossier, sa main tremble d’angoisse. Sur la première page sont notés les prénoms, les noms et les dates de naissance de sa famille. Ensuite, en prenant la deuxième page, elle lit le titre en gras : « Résultat d’autopsie : Jonathan, né le 3 février 1988 ». D’un coup son corps tremble tellement qu’elle n’arrive plus à respirer calmement, sa vision est trouble… Et voilà qu’elle est propulsée au moment de son réveil le jour où sa vie a basculé dans le néant…

 

La petite Marie se réveille à cause des cris qu’elle entend. Elle descend les escaliers silencieusement. Soudain, elle aperçoit sa mère dans le salon, près du couffin. Elle secoue tellement son petit frère que sa tête ballotte comme une poupée de chiffon. Elle crie : « Petit merdeux, arrête de pleurer, j’en peux plus ». Son père rentre de son travail de nuit à l’usine et constate la scène qui vient de se dérouler. Il se dirige vite vers sa femme et retire le petit Jonathan de ses bras. Il comprend qu’il est malheureusement trop tard pour son fils, il s’écroule sur les genoux en pleurant avec le nourrisson dans ses bras et dit « Qu’as-tu fait, qu’as-tu fait… ? ». La petite Marie va vers son père et il constate que sa fille est là. Il la regarde et dit : « Ma princesse, va manger ton déjeuner, je vais bientôt te conduire à l’école. »

 

Pendant que Marie est à l’école, ses parents prennent la décision de se donner la mort en provoquant un accident de voiture avec le petit Jonathan dans le siège du bébé.

 

La petite marie s’est créé une émotion de rage contre elle-même. Les adultes lui répétaient « Oh, tu es devenue une grande sœur maintenant, tu devras protéger ton petit frère. » Cette petite fille a pensé que ce jour horrible de sa vie, elle n’a pas joué son rôle de grande sœur pour protéger son petit frère. Alors, pour se protéger elle-même, elle a programmé, dans son cerveau, un nouveau récit de ce jour où elle a perdu toute sa famille.

***

Aujourd’hui, Marie a réussi à faire le deuil de son passé et ne se sent plus coupable de la mort de son petit frère. Elle a décidé désormais que l’écriture de sa vie se ferait sur une feuille blanche, et non plus sur une feuille noire.

Oui, aujourd’hui, au milieu d’un champ immense, illuminé de couleurs joyeuses, une jeune femme brune, souriante, admire un oiseau bleu.

 

 

 

 

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mariedeloin
Posté le 19/02/2023
Pffff.....
Que d'émotions à la lecture de ce texte ! Quel destin !
Tu as su me mener là où je ne m'y attendais pas, dans les yeux de Marie, toute une vie.
Manuella.Thx
Posté le 22/02/2023
Merci pour ton magnifique retour. Il me motive de continuer à écrire des textes, en transformant mes difficultés d'orthographe en une force pour avancer.
Ninie
Posté le 31/12/2022
Très touchant.
Ça nous rappelle également que les personnes que l on cotoye ainsi que nos amis famille... On leur propre armure face a leur blessures...
Manuella.Thx
Posté le 31/12/2022
C'est pour ça qu'il ne faut pas juger une personne à rapport à l'armure qu'elle a enfilé. Il faut lire au fond d'elle pour connaître la personne dans son authenticité. 😊🥰
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