Ce qui nous fait avancer

— Allez encore ! Frappe plus vite ! aboya Jeffrey en arrêtant un direct du gauche au visage.

Je ne déchantais pas, envoyant coup après coup, durant de longues minutes, malgré le fait que mon professeur, inlassablement, bloquait chacune de mes attaques d'une seule main.

Depuis plusieurs semaines maintenant, j'avais le droit, aussi souvent que possible, à une session d'entraînement musclée. Cela me donnait une vigueur et une force dont j'avais tant besoin. Avec le temps, Jeffrey était devenu plus qu'un ami, un grand frère. Il m'écoutait quand je déprimais, quand je n'arrivais pas à quelque chose, mais il était également là dans mes moments de joie. Il m'entrainait non seulement à me battre, mais également à la vie.

Il restait quasiment impassible quant à la volée de coups que je faisais pleuvoir sur lui, et qui ne rencontraient que ses blocages.

— Allez Marcus, je devrais avoir besoin de mes deux bras ! Assure tes poings, continua-t-il en riant.

Fatigué de cette véritable humiliation, je décidai de lancer ma jambe dans un mouvement circulaire, certes mal assuré.

Jeffrey fut pris au dépourvu, mais ne perdit rien de cette étonnante rapidité. Après un bref recul de son buste, il saisit de sa seconde main ma cheville au vol, et tira d'un coup sec. Complétement déséquilibré, je continuai ma rotation, emporté dans mon élan, et finis dans la poussière.

Le grand jardin situé à l'arrière de notre maison en ce temps-là, discret car entouré de hauts murs de pierres, était idéal pour nos leçons particulières. Seuls empiétaient une table et des chaises de jardin en bois, largement défraichies par les années, et quelques lys blancs en bordure de terrain. Tout le reste était et devait être une arène de combat.

Mon mentor s'approcha de moi en souriant et me tendit sa main pour m'aider à me relever.

— Ce n'était pas le but de l'exercice tu sais ?

— Je sais, mais je me suis quand même vautré, même en trichant, fis-je avec frustration.

— C'était très bien tenté, me répondit Jeffrey, ce qui égaya ma surprise. Il ne faut jamais se laisser encadrer par des règles que tes adversaires ne respectent pas. Si j'avais été moins rapide, tu m'aurais bien eu ! Tiens sur tes jambes la prochaine fois.

— En parlant de ça, comment fais-tu pour être si rapide ?

— Je m'entraîne souvent et je mange des légumes verts, rétorqua l'intéressé sèchement.

Quelque chose le préoccupait, je le voyais bien. Mais impossible d'en apprendre plus. Alors qu'on se préparait, j'avais cru voir une larme perler de ses yeux.

– Ce qu'il faut retenir d'aujourd'hui, c'est qu'il faut choisir soi-même, non seulement les règles selon lesquelles on se bat, mais aussi ses propres combats. Ne laisse jamais d'autres décider pour toi, c'est compris ?

— Bien reçu, chef.

Il me sourit.

***

— Alors les bagarreurs ? Pas trop de bobos ? se fit entendre une voix familière alors que nous rentrâmes dans la maison.

— Si cela continue grande sœur, je vais connaître par cœur chaque relief de notre jardin à force d'être tombé dessus.

— Je crois que je commence à apprécier ces cours particuliers, répondit Léa en souriant.

— Ho heu... Ce n'était pas si terrible je te rassure Léa ! fit Jeffrey en passant sa main dans ses cheveux d'un air gêné. Marcus fait beaucoup de progrès ! Je ne maltraite pas ton frère non plus.

Celle-ci rit de plus belle.

— Je sais, je vous regardais par la fenêtre en fait. Ça me fait une distraction pendant mes pauses...

— Tu nous épies depuis plus d'une heure, rétorqua Marcus.

Léa Vermont rougit, ce qui est d'autant plus visible que cela brisait le contraste qu'on affectionnait tant, avec ces cheveux noirs de jais.

J'éclatai d'un rire insouciant, Jeffrey resta interdit.

— Bon... C'est pas tout, mais je vais me doucher avant que Papa ne rentre, dis-je.

Ils étaient tellement drôles que je ne pouvais résister à l'envie de les laisser seuls.

Une fois parti, je n'ai appris par la suite que les évènements que ma sœur a bien voulu me raconter.

Ils sont restés tous les deux à se regarder durant de longues secondes.

— Alors comme ça tu nous espionnais ? finit par prononcer Jeffrey avec humour.

Son interlocutrice se mordit discrètement la lèvre inférieure.

— Le mot est un peu fort je trouve... Je m'intéresse c'est tout.

— Ah...Soit. Tu t'intéresses. Puis-je te demander à quoi ?

À toi.

— Non, certainement pas. Cela ne se dit pas.

— Je comprends, excuse-moi. C'est que, je n'ai jamais eu l'occasion de trop te parler auparavant. Tu étais si distante et maintenant si proche.

— Oh, et vu ma manière dont je t'ai traité la dernière fois, je le conçois totalement. Je suis une mordue de travail, comme tu l'as dit. J'ai eu tort, j'ai mon petit caractère.

Elle sourit timidement en déviant le regard.

— Et qu'est-ce qui a changé et qui a fait que je ne suis plus le garçon insupportable qui fait tomber tes affaires ?

Tu sais très bien quoi.

— Je...je ne sais pas. Peut-être que tu m'es toujours insupportable, sourit-elle.

Jeffrey ria doucement. Il ne savait pas comment aborder la situation. Son manque d'expérience jouait contre lui et il se remémorait très bien la dernière fois où sa fierté et son inaptitude à faire la part des choses. Il opta donc pour la seule solution logique.

— Sans doute, répondit-il. Ecoute, je ne vais pas te déranger plus longtemps, tes parents vont sans doute bientôt rentrer.

— Ils ne rentrent pas ce soir, c'est leur anniversaire de mariage. Marcus a dû oublier.

— Et...Tu ne lui as pas dit ?

— Non. Je voulais qu'il s'en aille. Qu'il nous laisse seuls.

Jeffrey déglutit avec difficulté. Il ne savait s'il vendrait tout pour être ici, ou pour être ailleurs.

— Monsieur Slart, j'ai un gros problème, fit-elle en se rapprochant lentement, et je crois que seul vous, pouvez le résoudre.

Celui-ci resta figé sur place.

— Quel est-il, mademoiselle Vermont ? répondit-il machinalement.

— J'ai une irrésistible envie de vous embrasser.

A ces mots, Jeffrey effectua les deux derniers pas qui le séparait de Léa. Il la prit doucement dans ses bras, eut un petit souffle amusé en réaction à l'inspiration légèrement surprise de la jeune femme et posa ses lèvres sur les siennes.

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robruelle
Posté le 24/10/2020
Et coucou !

Ha ! Le retour de la 1ere personne :)
C'est un chapitre "de repos" héhé. C'est bien une pause dans l'action. Tu alternes bien ca je trouve.
Bon, y a quand même un détail qui donne à penser qu'il s'est passé quelque chose de "pas cool" et qu'on en saura bientôt plus à ce sujet

On se laisserait presque attendrir par la deuxième partie du chapitre
Une amourette classique, mais qui dans ce contexte, prend un gout amer

Pov ptit loulou ... sa recette est autant une clé lui permettant d'ouvrir des portes jusque là fermées qu'une malédiction lui promettant un avenir pour le moins désagréable :(

A bientôt pour la suite !!!
robruelle
Posté le 24/10/2020
Je savais que j'avais oublié un truc :
a chaque fois je me dis qu'il faut que je parle de ce genre de chose en premier, et puis j'oublie :)
"Jeffrey ria doucement." -> ca doit être une coquille car dans le reste du chapitre, il est correctement conjugué. Je le repère bien maintenant, parce que je me suis fait avoir par ce vilain verbe plus d'une fois :)
Kara Warren
Posté le 24/10/2020
Ouais là y aura de la première personne... Même après... Hélas...
Je pensais pourtant avoir tout enlevé de ces coquilles ! J'ai honte...
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