Celle qui nous aime

Par Elf

- Et voilà ! s’exclama joyeusement Luce.

Elle posa son pinceau recouvert de peinture sur le parquet, et inspecta, les yeux plissés, la canne de Signore Raffinato. Désormais bleue, elle contrastait avec la pièce de l’auberge monochrome. Les meubles en vieux bois, malgré la présence de Piccola Luce, gardaient un ton grisâtre, trop de personnes moroses avaient dû laisser des traces indélébiles. L’aventurière releva ensuite son visage vers son compagnon.

- Ça te plaît ?

- C’est coloré.

Un petit sourire aux lèvres, Luce répliqua :

- J’aime les couleurs.

Signore Raffinato fit mine de réfléchir, le sourcil gauche haussé.

- Elle me plaît.

Le regard de Luce s’éclaira tandis que son sourire s’agrandissait.

- Youpi ! Je suis si contente que tu commences à voir des couleurs !

Le garçon s’approcha et effleura du bout du pouce la joue de son amie, les yeux pétillants de malice.

- Vous avez de la peinture.

Il montra son doigt constellé de bleu. Elle rit doucement puis attrapa le pinceau.

- J’ai dit que j’aimais la couleur !

Elle éclaboussa sa figure de peinture. De petites taches azur apparurent sur son nez et sur ses pommettes. Les lèvres scellées, elle retint un gloussement en observant l’air ahuri de son compagnon.

- Vous êtes…

Il n’eut pas le temps de trouver un adjectif adéquat qu’un large trait bleu fendait son visage. Les yeux écarquillés, il prononça lentement :

- Vous. N’avez. Pas. Osé…

- Si ! Et tu es très charmant. Ça ajoute de la gaieté.

- Vous avez osé.

Piccola Luce fronça les sourcils, perplexe. Une moue remonta à son nez.

- Est-ce si dérangeant ?

Un silence accueillit sa question, pendant que Signore Raffinato demeurait abasourdi, et perdu. Comment réagir à tant de joie ? Comment se faisait-il que ses yeux discernent d’autres couleurs ? Comment être si léger ? Comment effacer le gris d’un cœur abîmé ? Puis, ses lèvres se retroussèrent timidement.

- C’est… n’importe quoi, dit-il avec un accent de rire.

Luce se détendit.

- J’ai décidé d’éliminer le gris, il faut bien commencer par soi ! Et par toi !

Signore Raffinato contempla la pièce et Piccola Luce au centre. Le sol avait été comme soudainement vernis et le bois se brunit. Les objets prenaient des teintes chatoyantes. Et Piccola Luce paraissait irradier d’une aura éclatante de couleurs, comme un arc-en-ciel l’entourant. Le cœur du garçon battit plus fort quand une certitude l’enveloppa : le gris pouvait vraiment être annihilé.

 

Quand la canne de Signore Raffinato fut sèche, les deux compagnons se mirent en route. Le chat Sorriso se glissa dans leur sillage et le hibou Titano les suivit par voie aérienne. Des sapins bordaient le chemin de terre, et des oiseaux chantonnaient au rythme de leurs pas sereins. Piccola Luce réajusta son sac à dos, inspira profondément, puis sifflota pour accompagner la mélodie de la forêt. A ses côtés, Raffi observait le paysage, et malgré sa mine encore soucieuse – que la peinture rendait quelque peu comique – semblait s’être atténuée au profit d’une lueur douce dans son regard sombre. Ses cheveux filasses dansaient au gré d’une brise agréable, et ses vêtements trop grands se gonflaient d’air. Les brindilles craquaient sous ses bottes boueuses, alors que Luce les évitait en sautillant. A chaque bond, elle devait tenir son chapeau, et quand elle oubliait, il roulait par terre. Son rire cristallin s’envolait et elle accourait pour le récupérer avant que Sorriso ne l’abîme de ses griffes. Au bout d’un certain temps, Titano rejoignit le haut-de-forme de Signore Raffinato pour s’endormir. La forêt se fit plus dense, et l’on apercevait seulement des fragments du ciel. Il semblait que des teintes bleuâtres s’y étaient installées pour de bon là-haut.

Sur le sentier, il se dessina bientôt de minuscules silhouettes. C’était des enfants paraissant déboussolés. Une petite fille aux couettes blondes avait la lèvre inférieure tremblotante, des larmes ruisselaient encore sur le visage d’un garçon habillé de bleu marine, et le dernier marchait recroquevillé sur lui-même. Ils pilèrent net quand ils aperçurent Luce et Raffi.

- Bonjour ! sourit l’aventurière.

Ils restèrent silencieux, la dévisageant avec des grands yeux ronds.

- Je suis Luce, et voici Raffi. Vous êtes perdus ? Vous cherchez quelqu’un ?

Cette dernière interrogation les firent tous sangloter.

- Ouiiii… gémit le garçon en short vert.

- Oh…

Un air désolé se peignit sur le visage de Luce.

- Je vais vous aider.

- Comment tu vas faire ? grimaça l’autre garçon en essuyant ses larmes.

- Pfff. C’est pas possible, rétorqua la fille.

Elle tentait d’être agressive, les poings sur les hanches, mais dans chaque geste se retranscrivait sa douleur.

- Dites-moi vos noms, proposa Luce en s’agenouillant à leur hauteur.

Le garçon habillé de vert s’approcha.

- Je m’appelle Affeto. Lui, c’est Lacrime, et…

- Je suis Ahi.

Luce hocha la tête et prit la main d’Affeto. Il s’y accrocha de toutes ses forces.

- Qui cherchez-vous ?

- Celle qui nous aime, déclara Ahi.

Ses yeux s’embuèrent. Elle serra ses petits poings sur sa jupe rose.

- Chiciama, finit-elle d’une voix cassée.

Le dernier enfant s’avança, la main dans sa cheveux blonds, tiraillé entre l’espoir et la douleur.

- On s’est perdu. Et on la retrouve plus.

- Et puis peut-être qu’elle ne nous aimera plus… parce qu’on est partis… même si on a pas fait exprès, souffla Affeto en plongeant son corps dans les bras de Luce.

- Ne craignez pas. Si elle vous a aimé, elle vous aimera toujours. Elle vous aimera même plus fort encore.

Ahi se plaça face à l’aventurière.

- Tu es sûre ?

- Sûre.

Un léger sourire effleura le visage de la petite fille avant qu’il ne s’évanouisse.

- Mais… et si on la retrouve pas ?

Lacrime, plus loin, se mit à pleurer silencieusement. Signore Raffinato posa son chapeau – et par la même occasion Titano – puis s’approcha de lui. Un peu gauche, il lui tapa sur l’épaule pour le réconforter. Lacrime l’observa derrière le rideau de pluie de ses yeux puis il s’effondra dans ses bras. Raffi, hébété, serra le garçon contre lui, en le berçant maladroitement.

Luce sourit doucement puis retourna son regard vers les deux autres enfants.

- L’avez-vous appelée ?

- Oui.

- Un peu.

- Pas très fort.

- Tout doucement.

- On avait peur.

Piccola Luce se releva, portant Affeto. Elle attrapa la main d’Ahi qui ne se fit pas prier pour s’accrocher.

- Chiciama ! appela Luce.

Le feuillage ondula sous le vent.

- CHICIAMA ! cria l’aventurière avec Raffi.

Mais personne n’arriva. Les enfants baissèrent la tête, mais Luce ne baissa pas les bras.

- Ahi, Affeto, Lacrime. C’est à vous de l’appeler.

Ahi prit une énorme inspiration. Affeto se redressa. Lacrime toussota.

- CHICIAMA ! s’exclamèrent les enfants à l’unisson.

Quelques secondes silencieuses passèrent puis l’écho d’une ritournelle enfla. C’était quelques notes d’une guitare un peu douloureuses. Puis une longue chevelure d’ébène glissa devant les yeux des enfants. Une femme apparut devant eux, et posant son instrument, elle accourrut. Sa longue robe obscure et ses cheveux noirs faisaient ressortir des yeux d’un argenté presque translucide.

Lacrime se dégagea de l’étreinte de Raffi, Ahi se précipita, et Affeto bondit hors de bras de Luce. Chiciama accueillit ses enfants contre son mince corps.

- Chiciama, murmura Lacrime.

- On t’aime, continua Affeto.

- Et toi, tu nous aimes encore ? demanda Ahi.

Chiciama observa les enfants longuement, un doux sourire sur son visage. Et elle hocha la tête, le regard brillant d’amour.

Puis elle leva les yeux vers Luce et Signore Raffinato. Ses yeux comme l’eau sondèrent lentement les deux compagnons avec une lueur de gratitude. Elle se releva, posa son index sur ses lèvres avec une mine contrite. Elle ne pouvait parler par des mots. Elle n’avait que la musique pour s’exprimer. Alors, sans paroles, elle souleva sa guitare. Ses fins doigts caressèrent les cordes pour qu’une mélodie reconnaissante s’élève. Son regard reflétait de profonds remerciements. A défaut d’avoir la capacité de parler avec ses cordes vocales, les cordes de sa guitare révélaient ses émotions. Piccola Luce entrouvrit les lèvres pour qu’un son angélique se mêle à la musique de Chiciama. Cette dernière essuya une larme émue avant de se tourner vers les trois enfants.

Une mélopée envoûtante, douce, aimante les enveloppa. Chiciama s’élança dans le ciel, Lacrime fusa à sa suite, Ahi s’éleva avec un grand sourire, puis Affeto, après un regard heureux pour Luce, les suivit. Luce les accompagna avec sa voix aérienne. Les fleurs rougirent, les feuilles verdirent, les troncs brunirent, le ciel bleuit, le soleil éblouit, et le gris se dissipa comme une brume matinale.

 

L’air de guitare se dissolut dans le vent, et les quatre silhouettes s’évanouirent derrière les nuages nivéens.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
mariedeloin
Posté le 24/12/2020
("C’était des trop enfants paraissant déboussolés." -->> je ne comprends pas la phrase!
"Une femme apparut devant eux, et posant son instrument, elle accourra" -->> accourut?
"les cordes de sa guitare révélait ses émotions" -->> révélaient)

Trop mignon ce chapitre! Au début j'ai cru qu'elle prendrait les enfants avec elle et Raffi, comme une famille recomposée où chacun soigne l'autre du manque...

La scène avec la musique comme seule communication est émouvante !
Elf
Posté le 27/12/2020
Oh ! Mais j'avais loupé ce commentaire ! XD
Merci de tes corrections, je vais vite modifier ça ! En effet, ma phrase n'a aucun sens XD

Hmmm et bien non. Ça faisait trop de personnes à gérer XD Déjà que j'ai perdu les animaux en cours de route... (faudrait que je corrige ça d'ailleurs :')

Oh, c'est vrai ? J'ai eu du mal à retranscrire tout ça :)
Bisouille :3
Vous lisez