C'est Noël Mamie

Par Agathe
Notes de l’auteur : Ce texte a grandi en même temps que moi. Ce sont des souvenirs et des ressentis récoltés durant 15 années que j'ai essayé de retranscrire.
J'espère qu'il vous plaira, et qu'il ne sera pas trop personnel ! Bonne lecture ;)

Depuis aussi loin que je me souvienne, c’est toujours la même rengaine à noël. La famille arrive souvent au compte goûte deux jours avant le 24 décembre, et la maison de mamie prend vie petit à petit. Les lumières des chambres à l’étage s’allument les unes après les autres, et se remplissent des affaires de chacun et chacune, laissant le présage d’un joyeux bordel organisé dans les jours suivant. Dans le dortoir au bout du couloir, comme d’habitude, les lits y sont tous alignés de manière régulière, tous ayant une table de chevet, une lampe pour la lecture, et des draps propres de couleurs différentes, que mamie a préparé avant notre arrivée à tous. L’atmosphère se réchauffe, le fond frais qui saisi lorsque l’on rentre par la porte d’entrée est chassé par un feu dans la cheminée, il commence à y faire bon vivre. Alors, tout commence doucement à s’agiter, la cohabitation pour au moins quatre jours des individus tous aussi atypiques les uns que les autres, se met en place. Des échanges, presque timides après 6 mois à ne pas se voir, éclosent, les oncles et tantes demandent des nouvelles des études, des derniers petits copains et copines, des ami.es, de la musique, de la vie en général. Les matins suivants sentirons le pain grillé et le café chaud.

Dans cette grande maison protectrice de silences, de secrets gardés, de sourires patients, remplissant parfois les pièces d’un mystère et d’une nostalgie douce, apaisée et apaisante, comme ancré et figée dans une autre époque où la vie serait si simple à vivre, rien n’est laissé au hasard. Dans ce grand brouhaha, petits et grands prennent leur place à tour de rôle. Tous, inconsciemment ou consciemment, sans exceptions, savent quel part au dialogue ils doivent prendre. Pour éviter toute querelle familiale à noël, je me passerais de faire le portrait de chaque personnalité que l’on retrouve dans cette lignée, mais il est agréable de retrouver chaque année, pour quelques heures, un peu de ces personnes que l’on oublie parfois, quand on est prit par le quotidien de la vie. Car, tous sont complémentaires, et ne se ressemblent pas. Certains sont rationnels, d’autres non. Certains classiques, d’autres non. Certains s’épanouissent dans le baroque, d’autres dans le rap, ou le hard rock voire le punk. Certains sont plus discrets que d’autres. Certains, sont animés par le second degré, faisant tourner les globes oculaires d’autres, geste par lequel est évoqué un désabusement de l’ironie du jeu de mot utilisé à outrance. Alors, même si longtemps il a été difficile de voir qu’elle place il fallait s’attribuer dans cette tribu aux personnalités fortes, le point commun des certains et des autres, le plus puissant probablement, est l’amour rassemblé sous le même toit, sous la maison d’or et de fleurs, sauveuse des cœurs.

C’est comme ça que la magie de noël prend vie. A noël, le moment le plus important est le soir du 24. Lorsque mamie part à la messe, accompagnée souvent de la plus grande des sœurs, ou bien de quelques petits enfants qui ont encore la foi, les petits plats sont mis dans les grands, les tenues de fête sont sorties, le sapin illumine la pièce, les discussions résonnent à tue tête dans la cuisine, et retentissent dans le couloir. Cuisine dans laquelle les bouteilles de vins sont discutées, laquelle pour quoi. Le chapon ? Le foie gras ? Non le dessert. Les sœurs s’affairent, l’oncle ouvre les huîtres, la cousine discute avec l’autre oncle un peu fort, le frère et la cousine piquent des chips discrètement et partent en courant. La buée sur les fenêtres témoigne d’une chaleur presque étouffante, qui est le mélange de la vapeur du four et de la condensation des respirations communes. La table recouverte d’un bull-gomme jaune est assaillie par des piles d’assiettes, des couverts en argent, et quelques restes qui certifie que l’on a préparé soit des haricots verts, soit des pommes, soit un autre aliment inconnu du bataillon. On pourrait croire à une danse orchestrée pour que rien ne se rentre dedans, pour que chaque plats sorte comme il faut à telle heure, s’enchaînant presque naturellement, alors que tout à été prévu au moins deux jours à l’avance. Quelques blagues insolentes fusent, dans quelques instants, on passera au salon pour déboucher le champagne, et le coca.

Une fois l’apéritif servi, avec tous les verres remplis au même niveau, les assiettes de toasts sont passés par les plus petits des cousins, rôle que chacun d’entre nous a eu à tenir. Comme il n’y a jamais assez de place, certains se retrouvent le cul dans la cheminée, ou assis sur des chaises. Mamie, matriarche impériale aimée, assise au milieu, pouvant voir tout ce qui se passe, surveille et contrôle la situation. Elle écoute les verres trinquer, les cliquetis des appareils photos qui se mettent en branle, vérifie que chaque verre est bien reposé sur le plateau et non sur la table presque neuve. Et garde surtout à l’esprit que son foie gras ne doit pas attendre, parce que sinon il va fondre. Les parts seront bien présentées dans les belles assiettes de fête, avec du pain d’épices, un peu de confiture de figue, et de la salade pour se donner bonne conscience face au repas pantagruélique du réveillon. Car surtout, c’est ça le plus important à noël, c’est de passer des heures à table.

Lorsque j’étais petite, la seule obsession que nous avions était de s’échapper le plus vite possible de cette chaise en osier qui vous piquait les fesses. Si c’était le soir, on montait vite l’escalier en moquette pour s’amuser à construire des cabanes avec les couettes, courir à perdre haleine dans le couloir du haut, et inventer toute sorte de jeux improbables. Si c’était le jour, c’était constructions de cabanes au fond du jardin, des balades dans le champs du bas, des bagarres pour le vélo vert, et puis parfois aussi des legos perdus loin dans la narine. Des bêtises pas bien méchantes mais bien amusantes pour les enfants que nous étions.

Mais nous avons grandi, et les parties imaginaires ont disparues depuis longtemps, ne laissant même pas survivre la cabane au fond du jardin. Les cousins et cousines préfèrent participer aux débats problématiques qui ont toujours lieu, dans toutes les familles, à chaque repas, dans lesquels on plonge inévitablement la tête la première. Ce noël, entre le fromage et le dessert on parlera du Z, de la culture woke, de la troisième dose, du dernier artiste que l’on doit boycotter, ou de la route que cette fois on a emprunté. Et comme, certains oncles démarrent au quart de tour, on s’en amuse, on provoque, on argumente, et on oublie que c’est la cinquième fois que l’on se ressert du vin rouge.

Mais je crois tout de même que mon moment préféré est le 25 après midi. Après un assoupissement dans les canapés trop mous et trop vieux pour rester en place sous les fesses seulement dix petites minutes, c’est le grand moment où l’on va décider où est ce qu’on va aller se promener. Des petites tensions apparaissent, et personne ne veut décider de la destination finale. Il y a encore, et toujours, le grand débat autour de saint Malo, où il est trop compliqué de se garer un jour de noël, alors on proposera Saint Briac, Saint Lunaire, Dinan peut être, pour finalement terminer à Dinard sous la statue de Hitchcock. Peu importe l’âge que l’on a, on demande toujours si tout le monde est bien couvert : « tu y vas juste avec cette petite veste ? » « quelqu’un a vu mes gants ? « maman est ce que je dois mettre une écharpe ? » « oui j’y vais que en sweat c’est bon », « Non, c’est dans ces chaussures là que je suis le mieux pour marcher ». La galère, qui dure la plupart du temps une bonne trentaine de minutes, continue avec le nombre de voiture que l’on prend «  deux est ce que c’est assez ? » « Trois peut être c’est mieux ? » « Oui mais si certains veulent rentrer plus tôt pour préparer le repas de ce soir ? », « On prend laquelle des nouvelles voitures cette année ? », « ah, les cousins veulent être ensembles, bon ..» « Moi je m’en fiche »

« Mais finalement, on va où ? ».

Puis, comme à l’arrivée, à partir du 26, la maison se désemplit doucement. Les dernières parties de belote, de président et de tarot se jouent et les chambres retrouvent de leur calme. Les affaires sont un peu tassées dans les sacs, et on se demande comment on avait réussi à faire tout passer à l’aller, même sans les cadeaux de noël, les pots de confitures et le vin d’orange. On attend dans le hall d’entrée pour dire au revoir à tout le monde, on se dit que l’année prochaine on reviendra, que de toute manière on se voit cet été, ou même avant, à Pâques. Cette année on ne s’embrassera pas, mais le cœur y sera, car on emporte avec soi un peu de cette nostalgie et cet amour évoqué plus haut, rendant la vie un peu plus douce lorsqu’elle devient impitoyable. On s’enverra des messages sur whatsapp pour se dire qu’on est bien arrivés, après trente minutes ou cinq heures de route. Le feu continuera à entretenir la douce chaleur de la maison, laissés par les certains et autres.

Et mamie pourra enfin, tranquillement, regarder son feuilleton.

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Ella Palace
Posté le 12/03/2022
Bonjour Agathe,

Jolis souvenirs que ceux-ci. Beaucoup peuvent s’y retrouver. Ca sent la nostalgie, le petit poids dans le cœur. C’est joli, doux, un peu drôle aussi. Cela a été agréable de te lire 😊

Quelques remarques :

-« Car, tous sont complémentaires, et ne se ressemblent pas », j’enlèverais la deuxième partie de la phrase car si on est complémentaire c’est qu’on est différent.
-« Certains s’épanouissent dans le baroque, d’autres dans le rap, ou le hard rock voir le punk », je crois que c’est « voire ».
-« le point commun des certains et des autres », notre point en commun conviendrait mieux il me semble.
-« Lorsque mamie part à la messe, accompagnée souvent de la plus grande des sœurs, ou bien de quelques petits enfants qui ont encore la foi, les petits plats sont mis dans les grands, les tenues de fête sont sorties, le sapin illumine la pièce, les discussions résonnent à tue tête dans la cuisine, et retentissent dans le couloir », je couperais cette phrase en deux distinctes car elle ne me semble pas cohérente (la première partie n’est pas la même idée que la deuxième)
-« la maison se désemplie doucement », se désempli.
-« car on emporte avec sois un peu de cette nostalgie », soi.

Au plaisir
Agathe
Posté le 06/06/2022
Bonjour ! Merci pour ton commentaire, j'y réponds assez tardivement et j'en suis désolée ...

Merci pour ton retour !
Les fautes d'orthographes sont corrigées, mais certaines tournures de phrases sont faites exprès, alors je les laisse !

Au plaisir
Ewen
Posté le 31/01/2022
Je crois que c'est mon texte préféré parmi ceux que tu as publiés jusqu'ici ! :D
Ça fait teeellement de bien de lire tous ces souvenirs, et je me retrouve dans tellement de détails de chaque paragraphe ! C'en est presque perturbant 😂

J'ai éprouvé une douce mélancolie à la lecture (disons de la nostalgie), mais le fait que ce soit raconté au présent et non au passé fait davantage ressortir ce bonheur, en le rendant plus accessible, et non pas derrière nous/hors de portée.

Petits commentaires et questions en vrac :

• "La maison d'or et de fleurs" : ma-gni-fique <3
• tu as utilisé 2x l'expression "les certains et autres", et je n'arrive pas à savoir si c'est une erreur, ou juste une expression que je ne connais pas 🤔
• Il reste quelques petites fautes par-ci par-là, et des virgules à déplacer, mais c'est de l'ordre du détail.
• J'aime beaucoup le dernier paragraphe, qui nous fait terminer la lecture sur un sourire 😋
Agathe
Posté le 31/01/2022
Déjà merci Ewen 🥰😁
Au début, le texte était au passé, et puis ça le rendait trop mélancolique, presque triste alors j'ai tout remanié au présent
Pour " les certains et les autres", c'est purement une expression néologique ( ouh le mot pédant berk berk ) donc pas d'inquiétude, elle sort de ma tête. Pour le fait qu'elle se répète, je voulais juste qu'il y ai un renvoi à plus haut dans le texte, comme un clin d'œil mais j'ai peur du coup que ce ne soit pas compris 😬
ENSUITE, pour les virgules et les fautes c'est toujours un grand combat pour moi ahahaha, je vais essayer de corriger ça.
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