Les pas de la descente d’escalier résonnèrent en lui comme des coups de marteau dans la moelle épinière. Il poussa la porte de sa chambre et réveilla ses frères d’un gémissement à peine exagéré.
— Qu’est-ce que t'as ? demanda Léon dans le noir.
— Une mauvaise rencontre, répondit Thomas.
Léon craqua une allumette et approcha un cierge.
— Sainte-Marie mère de Dieu, qui t’a fait ça ?
– Bonne question.
Il se tourna vers le morceau de tôle polie qui leur servait de miroir pour découvrir son reflet. Des coulées de sang séché lui zébraient le bas du visage et remontaient jusqu’à sa nuque sous le col déchiré de sa chemise. Une fois déshabillé, Georges daigna l’approcher pour inspecter ses plaies. D’après lui, l’empreinte de mâchoire sur son cou aurait pu être celle d'un ours. Les perforations semblaient cependant peu profondes, la bête n’avait pas mordu pour tuer. Thomas leur expliqua en détail comment il avait observé un étranger s’introduire dans une portion cachée de la bibliothèque avant de se faire repérer et immobiliser par une créature inconnue.
— On aurait dit qu’il lui parlait et… et qu’elle lui obéissait. Elle ne m’a peut-être pas serré très fort, mais c’était suffisant pour me paralyser, comme… du poison. J’ai mis un moment avant de pouvoir bouger et me trainer jusqu’ici.
— Le dressage, ça existe, dit Georges.
— C’était plus que du dressage… dit Thomas le regard perdu.
Le comportement de la bête et de son agresseur l'intriguait. Et cette manière qu'il avait eu d'aboyer...
— Ça s’est arrêté de saigner, intervint Georges. C’est propre maintenant, mais il faudrait te faire désinfecter à l’infirmerie.
Léon acquiesça, il finit de serrer un bandage de fortune avec un tissu et une écharpe avant de poursuivre :
— J’vais aller chercher m’dame Lebel et passer réveiller Borne quand même pour le prévenir qu’tu t’es fait attaquer, on sait jamais, s’il est toujours dans les parages.
— Madame Lebel, chuchota Thomas en esquissant un sourire.
Quelques minutes plus tard, la jeune infirmière, sa trousse de soins et le concierge déboulèrent dans la chambre, essoufflés. Ils manquèrent de rester coincer en essayant de franchir la porte en même temps. Elle était aussi fine qu’il était gros et aussi belle qu’il était laid. Des taches de rousseur marquaient ses joues rosies par l’effort et ses yeux bleus dépassaient tout juste sous une chevelure ocre bouclée qu’elle n’avait manifestement pas eu le temps de mettre en ordre. La seule femme attirante de tout l’orphelinat d’après Thomas. Les soins et traitements qu’elle leur imposait avaient repoussé les autres pensionnaires, mais pas lui.
Borne commença par les sermonner sur l’horaire tardif avant de laisser Thomas s’expliquer. Il répéta l’histoire qu’il avait racontée à Léon et George sans mentionner la section cachée ni de la bête qui l’avait attaqué. La relation entre l’étranger et sa créature était pour le moins troublante et leur coordination trop précise. Il espérait bien éclaircir une partie de ce mystère lui-même. Il découvrirait peut-être le motif de leur présence en visitant la pièce secrète avant tout le monde.
Borne finit par les quitter en pestant, sa lampe torche faiblarde et son jeu de clé à la main. Ils l’entendirent maugréer dans le couloir, insultant les escaliers qu’il lui faudrait monter pour atteindre la bibliothèque. Léon renvoya quelques curieux qui s’étaient aventurés jusqu’à leur chambre, réveillés par le vacarme.
L’infirmière s’appliqua à désinfecter avec douceur les plaies de Thomas, lui faisant presque oublier la piqure électrique de l’eau oxygénée sur son cou.
— Tu dis qu’on t’a frappé à la nuque Thomas ? l’interrogea-t-elle.
— Oui, avec un objet, je suppose.
— Hum… ces plaies sont étranges. Tu es sûr de ne rien avoir d’autre à me dire ?
— Non, c’est allé si vite.
— Bien… tu ferais mieux de passer du désinfectant sur les plaies pendant quelques jours tout de même.
Thomas tenta d’acquiescer, mais son cou enraidi ne bougea pas. Mme Lebel terminait son pansement quand Borne réapparut dans la chambre, plus boiteux que jamais.
— Il n’y avait rien… ni personne, cracha-t-il au milieu de ses respirations haletantes. Tu es sur… d’avoir été agressé… par un étranger ?
— Oui, je ne me suis pas blessé tout seul…
— Attention aux bobards Avril… je vais devoir faire… un signalement au commissariat… tu m’as tout raconté ?
— Je ne mens pas, mentit Thomas.
— Mouai, on verra.
Borne jeta un œil aux compresses tachées de sang puis au cou de Thomas.
— Rien de grave ? demanda-t-il à l’infirmière.
— Non, il s’en remettra. Juste un mauvais coup, dit-elle en souriant.
Elle fixa Thomas dans les yeux, ou peut-être à travers, directement dans son crâne, pour mieux lire ses pensées. Aller savoir de quoi elle était capable.
— Tant mieux, il lui reste… du pain sur la planche là-haut, souffla Borne.
Un rictus immonde anima son visage. Il toisa Thomas d’un regard vitreux, sa salive moussait au coin des lèvres. Il allait en rajouter une couche quand Mme Lebel le coupa.
— Allez, maintenant, tout le monde au lit.
Elle mit Borne dehors et referma la porte.
Thomas s’allongea avec précaution, la nuque toujours sensible. Il tenta de se calmer tout en répondant aux questions que Georges et Léon lui chuchotaient dans le noir. Ils ne trouvèrent aucun sens au murmure dans l’ombre et s’endormirent tous avec les mêmes interrogations. Qui était l’étranger ? Mais surtout, que venait-il chercher au fond de la bibliothèque ?
+++
L’agitation de la nuit ne manqua pas d’attirer la curiosité des pensionnaires le lendemain. Thomas passa sa matinée à mentir pour justifier son pansement et le vacarme nocturne dans les couloirs. L’après-midi fut marquée par la visite à l’atelier de deux inconnus accompagnés de Borne. Képis sur la tête, uniformes bleu marine, arme de poing au flanc, jambières et chaussures en cuir… des agents de police. Ils s’approchèrent de Thomas sur les indications du concierge. Par un procédé mystérieux, ils lui lancèrent un regard à la fois sévère et blasé puis l’emmenèrent dehors pour l’interroger sur sa soirée de la veille, un cahier à la main. Il ressortit la version qu’il avait donnée à Borne. Les agents levèrent des sourcils perplexes en entendant les paroles de l’étranger. Ils les notèrent dans leur carnet sans faire de remarque. Après quelques questions sur l’apparence et l’accent de son agresseur, ils laissèrent Thomas rejoindre la selle sur laquelle il avait bien avancé.
La séance terminée, il traversa le parc à la recherche de Saka, inspectant, non sans mal, ses cachettes une à une dans les vieux chênes. Une partie de son agilité avait disparu en même temps que la souplesse de sa nuque. Il finit par tomber sur Saka, perché sur une branche dans une des positions dont lui seul avait le secret.
— Te voilà ! dit Thomas
— Oui moi, répondit Saka, l’air désabusé. Seul chat parlant, papa de autant d’imbéciles.
— Quoi ?
— J’ai retrouvé partie de mes enfants, ils sont aussi bêtes que autres chats, très décevant.
Il leva la tête et tourna ses oreilles vers Thomas.
— Qu’est-ce dans ton cou ?
— C’est une longue histoire, viens.
Thomas lui raconta tout, en détail, sur le trajet vers l’orphelinat. Saka, lui, avait passé la nuit dans les quartiers environnants sans apercevoir ni intrus ni créature suspecte. Il sembla aussi dérouté que lui devant les actes et les paroles de ce duo mystérieux.
Ils retrouvèrent finalement Georges et Léon qui trépignaient devant l’entrée de la bibliothèque en fin d’après-midi.
— Je suis rentré plus tôt exprès, lâcha Georges. Je reste ici, par contre. Je veux un compte rendu détaillé de vos découvertes toutes les cinq minutes compris ?
— Oui chef, répondit Thomas en tournant la clé dans la serrure.
Il poussa les portes et guida Léon et Saka jusqu’à la zone où il avait été immobilisé la veille. Il remarqua tout de suite que la poussière avait été tassée, piétinée autour des taches de son propre sang sur le sol et dans les allées. Les policiers, songea Thomas. Bon courage pour distinguer les traces laissées par la créature maintenant. Saka retroussa les babines et renifla à la recherche d’une odeur spécifique, en vain. Ils progressèrent alors jusqu’au fond pour retrouver l’échelle là où l’inconnu l’avait utilisé la veille. Thomas la gravit vers l’emplacement approximatif de la section mobile et chercha au milieu des livres.
— Je ne vois rien, dit-il. Pas de mécanisme.
— Tu t’souviens d’avoir vu ou entendu une poignée ou un truc dans l’genre ?
— Non, pas vraiment, mais je ne suis peut-être pas au bon endroit, il faisait sombre.
Saka grimpa sur l’échelle avec une aisance féline, jusqu’aux pieds de Thomas puis continua son ascension toutes griffes dehors sur le pantalon et la chemise de Thomas pour se percher sur son épaule.
— AÏE, lâcha Thomas, ça fait mal !
— Ha bon ? Massage pourtant très apprécié par notre espèce.
— Mais je n’ai pas de fourrure pour me protéger, moi !
— Bonne remarque.
Saka se mit à humer la bibliothèque
— Il y a vent qui passe entre les planches ici, dit-il.
— Je suis bien au bon endroit, dit Thomas. Je l’ai vu se jeter contre la paroi, je vais essayer de faire pareil. Tu peux te mettre dessous pour me rattraper au cas ou Léon ?
Celui-ci s’exécuta, la mine renfrognée. Thomas jaugea la distance et prévint Saka :
— Accroche-toi
Il bondit depuis l’échelle pour s’appuyer de tout son poids sur la structure de l’étagère. Il agrippa tant bien que mal un rebord, mais la prise se déroba et il lâcha. Il pensait chuter jusqu’à Léon, mais le mur venait de pivoter et il s’affala de l’autre côté sur une surface poussiéreuse en bois. Il retrouva Sakka perché sur le pommeau d’un magnifique escalier, dans une lumière éblouissante, comme si la manœuvre avait été pour lui un jeu d’enfant.
— Tu devrais travailler équilibre, dit-il en affichant ce qui ressemblait bien à un sourire.
— J'ai mal au cou... et je ne suis pas loin des capacités maximales de mon espèce, je pense, répondit Thomas avant de se relever, cachant d’une main le soleil rasant qui lui brulait les yeux.
Une fois sa vue accommodée, il inspecta l’espace devant lui. Des fenêtres crasseuses en arc de cercle couvraient les trois murs opposés sur l’extrémité haute, laissant progressivement tout le bas de la pièce se noyer dans l’ombre. Toutes les ailes du château se terminaient de cette façon. Pourquoi n’avait-il pas remarqué l’absence de ces fenêtres en encorbellement au fond de la bibliothèque ? Le mur de livres cachait forcément un espace, comme un double fond. L’escalier en rond, finement décoré, longeait les murs et descendait beaucoup plus bas qu’il n’aurait dû vers une salle en demi-cercle tapie dans l’obscurité. Chaque marche était un peu moins éclairée que la précédente, comme un escalier reliant le paradis à l’enfer, imagina Thomas. Les traces de bottes imprimées dans la poussière confirmaient que l’inconnu de la veille avait été le seul visiteur depuis des années. Les contours d’une grande table en demi-lune entourée de fauteuils aux dossiers hauts semblaient émerger du fond. Thomas se décida à descendre quand un bruit le surprit derrière lui. Le mur bascula à nouveau projetant Léon à ses pieds dans un mouvement de grâce comparable au sien.
— Et chiotte, peuvent pas faire des portes secrètes avec des poignées bon-sang ? pesta Léon.
Thomas l’aida à se redresser et remarqua, en levant les yeux, l’ingénieux mécanisme permettant à la bibliothèque de pivoter. Un axe de rotation métallique scellé dans les fondations au-dessus de la section tournante. Une pierre gravée surplombait le tout. Il se concentra pour en déchiffrer l’inscription sous les toiles d’araignées.
— Concile Mollomant, lut-il tout bas.
Léon observa le mur mobile et le linteau à son tour avant de demander :
— Concile quoi ?
— Mollomant… tu as déjà entendu ce mot ?
Léon secoua la tête, l’air perplexe.
— Bon, j’ai prévenu Georges qu’on avait trouvé l’entrée avant d’te r’joindre. Il trépigne. Y a quoi ici ?
— Aucune idée. Viens, on va voir.
À mesure qu’ils descendaient, la lumière se faisait plus rare et le grincement des marches plus inquiétant. Léon prenait appui sur le garde-corps et pestait après la poussière qui rendait le bois glissant. Saka progressait en une série de bonds agiles, égal à lui-même. C’est dans l’obscurité que Thomas perçut le sol plat et pierreux sous ses pas. Le contraste entre la lumière intense en haut et la nuit qui régnait ici lui semblait surnaturelle. Le temps que sa vue s’accommode, il distingua sur les dossiers des fauteuils, des sculptures animales tordues qui l’observaient comme des statues. Deux sièges du côté plat de la table, huit de l’autre. Deux chandeliers aux bougies rabougries trônaient au milieu, ils encadraient une gravure difficile à voir. Thomas se tourna vers Léon qui peinait sur les dernières marches.
— Tu as tes allumettes ?
— M’en reste deux, t’es où ?
Thomas lui attrapa la main et le guida jusqu’à la table et alluma les cierges qui pouvaient encore l’être. Ils découvrirent non pas une, mais deux gravures dans le bois, débarrassées de leur couche de poussière il y a peu. À droite, une sorte de cerbère, une tête de chien de face, entourée de deux autres de profil, pas tout à fait identiques. À gauche, une tête de cheval à la crinière animée par de petites silhouettes équines en trompe-l’œil. Un blason en forme de bouclier encadrait chaque dessin. La lumière oscillante leur donnait presque vie.
Les murs nus, parcourus d’ombres menaçantes, servaient de décors. Aucun meuble de rangement, aucun tiroir, aucun livre. Un silence profond et une discrète odeur métalique mélangée à la fumée des bougies les accompagnaient. Ils suivirent les traces de l’étranger, il en avait laissé un peu partout sans se concentrer sur une zone en particulier. Ils fouillèrent à la recherche de tout et n’importe quoi, une section cachée, un livre, des inscriptions, nimporte quel signe. Rien.
Thomas sentit monter un sentiment de déception, de tristesse. Il était peut-être venu trop tard. Aucun indice pour l’aider à identifier son agresseur ou ses motivations. À quoi pouvait bien servir cette pièce ?
Saka bondit sur la table.
— Ça sent la mort mais il n’y a rien ici, dit-il.
— Il n’y a plus rien, rectifia Thomas.
— Qu’es vous dites ? demanda Léon.
— Cet endroit a dû être vidé il y a longtemps. L’étranger n’a rien emporté qu’il ne puisse camoufler sous un manteau en tout cas.
Léon acquiesça en observant les fauteuils
— C’est flippant ici, c’est quoi ces chiens et ces chevaux qui nous r’gardent ? C’est un genre d’réunion de chasse à courre ?
— Aucune idée. On fouille encore une fois et on rejoint Georges, il doit commencer à s’inquiéter.
Après une dernière inspection, ils éteignirent les chandeliers et remontèrent l’escalier. Thomas se perdait dans ses pensées, laissant glisser sa main sur les pierres froides du mur. Il voulait vraiment retrouver la piste de cet étranger et sa créature. Plus il repassait les évènements dans sa tête plus il se demandait si le binome de ses agresseurs n'étaient pas ce qui se rapprochait le plus de Saka et lui. Comment savoir ce qu’ils étaient venus faire ici ?
Une lumière moins forte qu’a leur entrée les accueillit en haut. Dehors, la nuit tombait. Thomas leva la tête et ouvrit grand les yeux, ébahi. Il ne l'avait pas remarqué a l'arrivée de Léon mais il se retrouvait, nez à nez avec la portion de livres qu’il n’avait pas encore nettoyée. Des livres coincés de ce côté du mur depuis des années. Il leur restait quelque chose à fouiller !
— Il y a peut-être quelque chose la dedans, dit-il à Léon
— J'vais pas beaucoup t'aider avec des livres...
Thomas parcouru les rangées en quête d’ouvrages sortant de l’ordinaire, mais trouva les titres assez ordinaires. Il en feuilleta quelques-uns à la recherche d’annotations manuscrite, mais rien. Léon fouillait dans les rayons à la recherche de n'importe quoi, sans succés. La quasi totalité des livres se trouvaient maintenant sur le sol.
— Bon, Il y a rien ici non plus, dit Léon, je rejoins Georges.
Il s’accrocha fermement à la bibliothèque et Thomas le poussa pour activer le mécanisme. Le mur pivota à nouveau. Assis au mileu des livres, Thomas allait abandonner quand une bizarrerie attira son attention dans un volume d’histoire. En dernière page, il retrouva, comme dans le reste des livres, le repertoire des noms de ceux qui l’avaient emprunté. Une courte liste, au sein duquel, un nom l'interpela. Il l’avait déjà vu dans d’autres ouvrages qu’il venait de survoler. Thomas laissa tomber son volume des mains pour aller inspecter les autres frénétiquement. C’était bien souvent le dernier inscrit !
— Regarde, dit-il à Saka, en montrant la fin de chaque livre.
Un sourire illuminait son visage
— Je sais pas encore lire. Qu’est ce écrit ?
— Son nom ici ! Et ici aussi !
— Qui ça ?
Thomas leva la tête pour fixer Saka, des étoiles plein les yeux.
— J'ignore qui il est, mais il a laissé tous ces livres de ce côté et ils n’ont plus jamais été empruntés.
— Très bien, mais pourquoi tu etre si excité ? demanda Saka.
— Il venait forcément ici, répondit Thomas. C’est ma nouvelle piste ! Il s’appelle Henri Mart. Viens !
Ils poussèrent sur la bibliothèque tournante, bien accrochés cette fois-ci. Thomas attrapa l’échelle au passage avec aisance, Saka toujours perché sur ses épaules. C’était plus simple quand il savait à quoi s’attendre. Il aperçut ses deux frères en bas. Seules les lunettes de Georges dépassaient de la veste usée qui lui recouvrait la tête.
— C’est dingue, dit la veste. Il fallait le voir pour le croire… Je ne reste pas plus longtemps par contre, on sort.
Ils se retrouvèrent dans le couloir, Georges se débarrassa de sa couche de vêtements de protection.
— Alors ? demanda-t-il
— Une pièce bizarre, répondit Léon, un grand escalier qui descend vers une sorte de salle d’réunion, avec des sculptures d’chiens et d’chevaux, mais rien d’autre. Le… concile Mollomant qu’elle s’appelle, c’est ça hein ?
— Ouai, acquiesça Thomas, aucune idée de ce que c’était. J’ai quand même trouvé un nom dans les livres de l’autre côté du mur, Henri Mart. Il revient trop fréquemment dans les listes d’emprunt pour que ce soit un hasard. Il devait faire partie des utilisateurs du concile. C’est notre seule piste.
Thomas posa sur ses deux frères des yeux inquiets. Il hésitait à prononcer les mots qu'il avait en tête. Sa demande remuerait en eux des souvenirs douloureux.
— Vous… vous pourriez peut-être contacter Mr Rivet ? Il semblait avoir le bras long, n'est ce pas Léon? Si ça se trouve, il a accès à des registres ou je ne sais quoi. Il pourrait peut-être nous aider ?
Léon se tourna vers Georges, l’attrapa par les épaules,et posa son front contre le sien.
— On f’ra comme tu décides Jo. Il… il faudra bien qu’on r’prenne contact avec lui un jour non ?
Des larmes commençaient à perlaient aux coins des yeux de Georges qui enleva ses lunettes pour s’essuyer d’un revers de manche.
— Oui… oui… c’est vrai. Mais je ne sais pas si je suis prêt à parler de papa.
— On s’ra pas obligé d’en parler hein.
Georges sembla hocher la tête, le regard humide. Léon le prit dans ses bras dans une étreinte bienveillante. Thomas ne put s’empêcher de les rejoindre. Il avait toujours pleinement partageait leurs joies et leurs peines. Il sentait la plaie de perdre un père se réouvrir comme si elle était la sienne. Il serra de ses bras cet amour fraternel qui était leur seule richesse. Il perçut Saka en train de grimper sur leur dos et de s’allonger autour de leur cou comme s’il voulait les réconforter lui aussi. Thomas tourna la tête pour lui sourire et remarqua les yeux mouillés de Léon. C’était peut-être la première fois qu’il le voyait pleurer, lui, cette force de la nature. Cette vision le terrifia et il les sentit à son tour… les larmes… couler sur ses joues.
Ils restèrent ainsi tous les quatre devant la bibliothèque, immobiles, quelques instants.
Georges brisa le silence en premier.
— Je vais lui écrire, il saura quoi faire et puis… il est temps, oui… il est temps.