Il est quelque chose comme 7h du mat’. Un plan séquence d’une petite minute nous fait traverser le rez-de-chaussée de la maison, au sol jonché d’objets et d’aliments divers, allant de la fourchette tordue en décapsuleur jusqu’aux DVDs – ayant manifestement servi à couper le saucisson –, en passant par de nombreux cadavres de bouteilles, le tout pataugeant dans une mono-flaque d’alcools renversés, de la superficie de l’étage.
Les cadavres de bouteilles ne sont pas seuls : on retrouve çà et là quelques corps endormis, l’un sur un canapé, l’autre à même la flaque, à moitié nu et couvert de graffitis. D’autres tiennent encore assis voire debout, et rigolent vaguement en regardant des vidéos sur leur téléphone, une cigarette menaçant à tout moment de tomber d’entre leurs doigts ou leurs lèvres.
Notre Anthony sommeille encore, semi-accroupi sur le sol de ses toilettes, la tête reposant sur un genou relevé, son fidèle filet de bave s’écoulant paisiblement le long de sa jambe.
Le téléphone sonne. Léger silence général, tandis que certains se réveillent, dont Anthony. Comme personne ne décroche, le répondeur se fait une énième fois entendre dans toute la maison :
« Antho ? C’est Marc ! Je rentre de soirée, j’ai trouvé un moyen de m’incruster là où allait Thomas hier au final ! … Et tu devineras jamais avec qui je suis là : Marine ! Je l’ai trouvée avec Romane à la soirée, et du coup elle m’a demandé si je pouvais la ramener… Elle savait pas que t’étais complètement coincé aux chiottes, ha ha ! … Donc là on est en route, et on devrait arriver d’ici quinze minutes, douze si je fais vite. Tiens bon mec ! Te fais pas dessus ! »
Pendant que la population à l’étage du dessous semble s’agiter et quitter peu à peu les lieux, notre cher Antho rayonne faiblement, pour la première fois depuis un moment, malgré des cernes bien marqués et un œil qui tarde à s’ouvrir. Il les referme finalement tous les deux et s’allonge précautionneusement de côté, en souriant.
Le plan reste fixé sur lui quelques secondes pour signifier qu’un certain temps défile. Puis tout à coup, la porte d’entrée s’ouvre dans un grand fracas. Le son distinctif des escarpins de Marine résonne au loin dans la cuisine, rapidement suivi d’un *BOUM* mélangé à un *PLOUF* (un *BLOUMF*, quoi) – Le sol étant plus qu’humide. On entend alors rugir au loin :
« ANTHONY !!! … C’EST QUOI CE BORDEL ? TU TE FICHES DE MOI OU QUOI ?! »
Anthony devine le visage de Marine s’empourprer tandis qu’elle essaye de se relever en glissant dans des gestes maladroits – ce qui ne semble pas affecter notre gars outre mesure. Une seconde personne entre alors dans la cuisine :
« Ouhla ! Il s’est passé des choses, ici ! … Ben alors, qu’est-ce que tu fiches par terre Marine ? Tu léchais le sol ? »
« Roh, la ferme. Aide-moi à me relever, toi. »
« … ANTHO ! », crie Marc un instant plus tard. « T’es là ?! »
Notre héros est à présent debout contre la porte, et prend son souffle avant de sortir sa réplique préparée à l’avance :
« Oui ! Je suis encore coincé là-haut ! Sortez-moi de là et je vous raconte tout, mais par pitié faites vite : les chiottes sont bouchées depuis hier aprèm’… Donc si vous avez bien suivi, j’ai pas pu démouler quoi que ce soit pour m’occuper en vous attendant… »
Marine monte l’escalier aussi vite que le lui permettent ses talons hauts, dérapant une marche sur deux. Marc la suit d’un pas plus feutré. La première citée traverse rapidement le couloir et se poste face à la porte des toilettes. Après quelques instants silencieux – le temps que Marc arrive à son niveau –, elle se décide à lâcher en un souffle, d’un ton aussi doux que la colère qu’elle semble contenir en elle est grande :
« Quelle que soit ton explication, je t’écoute. »
« Tu ne veux pas me faire sortir av… »
« Non. »
… Marc brise finalement le silence palpable qui s’était installé, durant lequel Antho cherchait par où commencer :
« Je t’avoue que j’arrive pas trop à situer comment t’as pu te ré-enfermer dans ces chiottes après avoir organisé une teuf en bas. Et puis franchement, j’aurais pu t’incruster à notre fête aussi tu sais, pas la peine de faire une contre-soirée… »
~ Ellipse ~
Écran noir. Se font simplement entendre le bruit du verrou tourné et celui de la porte qui s’ouvre dans un grincement beaucoup trop prononcé – mais ça fait style.
Point de vue ébloui d’Anthony, toujours planté sur le carrelage de sa petite cellule. Face à lui, un Marc entre la surprise et la pitié, et sa Marine, armée d’un couteau.
« Euh… C’est pour quoi, ton arme blanche, là ? »
« C’était pour faire tourner le verrou de l’extérieur, crétin. Mon père a déjà sorti mon petit frère plein de fois de la salle de bain ou des toilettes comme ça. »
Notre héros met un pied dehors, baille un grand coup en étirant tout ce qu’il peut, et sourit en dévisageant de ses yeux crevés de fatigue ses deux acolytes :
« J’suis content de vous revoir, les gars. … Mais si ça vous dérange pas, faut que je visite les toilettes du bas et que j’aille dormir après… »
« Tu rigoles ?! », s’exclame Marine. « OK, d’après ton histoire, rien n’est de ta faute – et encore, le coup du serpent, faudra me le prouver –, mais si tu crois que ça va excuser ton comportement depuis les deux derniers mois, tu te berces d’illusions mon garçon ! T’as cru que j’allais nettoyer toute la merde en bas toute seule pendant ta sieste ? »
Marc regarde avec intérêt le mur à sa droite, et Anthony écoute le chant des oiseaux en jetant un œil plissé à travers le velux.
« Et faudra peut-être penser à appeler les flics pour signaler l’intrusion non ? Et faire la liste de ce qu’on s’est fait voler. »
« Le problème c’est qu’il n’y a pas eu effraction… La porte d’entrée était ouverte… », glisse doucement Marc.
« ALORS C’EST DE MA FAUTE, C’EST ÇA ?! » Marine ne se contient plus : « Écoute-moi bien Anthony. Ça fait un bail qu’on se connaît, un bail qu’on s’est mis en couple, mais ça ne fait que quelques mois qu’on vit ensemble et voilà où on en est : la baraque n’est pas en flammes mais presque, tu passes ton temps à rien branler, et on en arrive au point où Romane a toujours son lit de fait dans sa chambre d’amis, vu que je finis chez elle environ trois fois par mois ! Tu penses pas que c’est l’heure de grandir, de jouer l’homme de temps en temps ? J’ai l’impression de tout faire, tout le temps, que rien t’intéresse… En fait j’ai l’impression d’avoir affaire à un môme. Un môme qui dit jamais merci pour rien, à qui j’achète des fringues mais qui s’en torche allègrement, un môme qui joue H24 sur son téléphone et qui se coince tout seul dans les chiottes ! Voilà ce que t’es : un gamin. Et j’ai pas fini ! (Anthony avait commencé à avancer en direction de l’escalier, lui tournant le dos ainsi qu’à Marc qui se demandait ce qu’il faisait encore là) – La première chose que tu vas faire après avoir coulé ton bronze, c’est prendre une serpillière, un seau, et te sortir les doigts du cul ! Parce que moi, je commence sérieusement à en avoir par-dessus la tête. Et je te le dis cash : tu-me-casses-les-… »
La logorrhée de Marine s’interrompt subitement. Le son de sa voix est assourdi et recouvert par une musique quelconque, au goût du monteur, que l’on remercie.
Marc contemple maintenant ses chaussures, en sifflant discrètement. Notre Anthony, lui, ne fait pas l’affront de sourire face à Marine tandis que le trio traverse la maison, mais au fond de lui, il se fiche bien de tout ça. Pour l’instant, se mêlent en lui le simple bonheur de pouvoir étirer les bras des deux côtés sans toucher les murs, puis celui de savoir qu’il aura sous peu un bon repas – sur place, ou au resto avec Marc, dans le cas où Marine pète toujours sa durite.
Mais surtout, notre Anthony sourit en lui d’avoir enfin compris qu’il ne l’aimait plus, sa Marine.
Et d’avoir trouvé, du fond de ses chiottes, la meilleure façon de lui dire « ciao ».
. . .
-> C'est pas Anthony qui dirait ça plutôt ?
Bon bah merci je me suis bien amusée ^^
On voit bien le point de vue masculin tout de même puisqu'Anthony ne se remet même pas en question xD
Ce n'est pas le dernier chapitre c'est ça ?
"On voit bien le point de vue masculin tout de même puisqu'Anthony ne se remet même pas en question" : je n'ai rien de plus à ajouter, tu as tout résumé je crois 😂😂
Non ;)
Il y a quand même cette fin de chapitre qui m'interpelle, parce que tu dis qu'il a trouvé au fond de ses chiottes une manière de dire chiao à Marine, et donc il s'est rendu compte qu'il ne l'aimait plus, sauf que... On n'en a rien su ! C'est totalement surprenant, tu n'en as absolument par parlé dans les chapitres précédents. Du coup ça donne un effet changement de direction, mais au final ça rend pas si mal ^^
Bref, je serai là pour l'ultime et dernier chapitre, les mains tendues comme les autres pour le recevoir et le dévorer comme tous ceux que tu as "sortis en salle" XD jusqu'ici :)
Bonne suite et à bientôt !
Fy
Là c'est moi qui suit étonné ! J'ai peut-être été trop implicite à ce sujet 🤔 Je t'invite à relire en ayant en tête qu'il ne l'aime plus trop, sa Marine, et si ce n'est toujours pas évident du tout je me déciderai à apporter des retouches qui seront alors nécessaires ! Et là je m'adresse aux futurs lecteurs de commentaires : si vous avez le même avis : balancez !😙
Content que ça te plaise toujours autant ! It's coming sooooon!!!
à+ 😉😉
Je sais, ça doit faire bizarre d'avoir un commentaire d'une personne, comme ça, alors qu'on n'a pas eu de commentaire d'elle tout au long du récit. M'enfin bref ! Comme on dit.
Je suis d'accord avec tout le monde : c'est drôle, ça explose aux bons moments, certains côtés absurdes donnent au tout une véritable force et on se sent alors emporté par le flot du récit. J'aime beaucoup certains moments parce que le narrateur commente ce qui arrive : "signifie en colère" dont le narrateur donne la réponse en décrivant l'humeur du personnage.
Les descriptions sont extrêmement précises : on saisit rapidement la position du personnage, les situations, les actions.
Je suis moins convaincu par le message, disons... après ce n'est qu'un point de vue et je me doute que ce n'est pas ce que tu recherches. Mais tu vois... je me repose sur Devos qui, même s'il faisait rire par le biais de termes particuliers (courir, par exemple) nous amenait à réfléchir à la société de consommation.
Là, j'ai un problème avec les deux personnages "principaux" : Anthony m'est détestable, personnellement (c'est peut-être voulu) parce qu'il est effectivement toujours posé dans le canapé, ne fait rien, soupire dès que Marine dit quelque chose, ne comprend pas qu'il est certainement responsable, en partie, de la situation.
NB : Je perçois tout de même les critiques du narrateur (comme le fait qu'il n'ait plus de batterie parce que, comme le dit Marine, il est tout le temps sur son téléphone).
Marine aussi est difficile à apprécier : elle ne fait que reprocher, que s'énerver, n'arrive pas à s'ouvrir aux autres, laisse une amie dire les choses à sa place...
Bien sûr, il s'agit d'une situation pour amener le rire et franchement ça ne m'a pas perturbé plus que ça (j'ai souri voire ri souvent durant la lecture) et je ne pense pas que travailler trop leur caractère serait utile (parce que cela tuerait l'effet comique de Marine tenant un couteau).
Franchement, je dois l'avouer, j'adoré ! Je relève des petites choses si jamais tu as envie de retravailler cela. Je pense que ça va dans le sens de ce que vient de te dire Prudence : ils sont vides, effectivement. Mais tout comme elle, je crois que c'est essentiel au côté humoristique du tout.
Félicitations pour ton texte !
Ce n'est évidemment pas un message de ce genre que je veux transmettre - et des commentaires comme celui du Saltimbanque, plus bas, m'ont fait m'apercevoir que j'étais loin d'être clair là-dessus… Mais l'histoire n'est pas finie !^^
Je suis donc soulagé de voir que tu es lucide concernant "notre cher Anthony" 😉 : s'il n'était pas le personnage principal, on n'aurait pas tant pitié pour lui !
Le défi annexe que je m'étais lancé - je ne voulais pas en parler avant d'avoir tout publié, mais tant pis - était de réussir à faire qu'on s'attache à un héro pathétique, et qui ne fait rien de spécial pour le mériter… Je m'attendais juste pas à ce qu'il devienne aussi détestable, pour reprendre tes mots 😅😂 (le titre "Chiottes" s'applique donc à de nombreuses choses dans ce récit, tu remarqueras)
Et t'inquiète, je comprends parfaitement les coms qui n'apparaissent qu'au dernier chapitre posté ;)
Merci encore et à+ !!
Oui ! Je suis impatient de voir la suite, raison pour laquelle j'ai ajouté l'histoire à ma PAL : il faut bien que je sois prévenu, non mais !
Et ne t'inquiète pas, le côté amoral ne m'a pas empêché d'apprécier parce qu'on sent que ce n'est pas un but que tu recherches !
Continue ainsi !
Haha, eh oui, j'ai tout lu d'un coup...
Le coup du serpent a un côté absurde et tiré par les cheveux qui m'a beaucoup plu XD. J'ai aussi adoré la fin de ce chapitre. Ouh la, ça promet...
Petites remarques ... :
-Je trouve que le côté cinéma est une idée super, et je le développerais encore plus, car j'ai la sensation un peu bancale d'une idée bonne mais pas assez poussée. (Est-ce assez clair ?)!
J'ai eu l'impression que l'essentiel était là, mais qu'il me manquait un petit quelque chose en plus pour sentir l'histoire dans un ensemble "solide". Je la vois un peu comme une guirlande. Les chapitres sont les petits triangles de couleurs pétillants et drôles mais qui ne sont pas assez unis entre-eux, un peu "décousus".
-Les personnages m'ont semblés un peu vides (Marine, particulièrement - ce qui est sans doute fait exprès, haha). Mais je crois que ça reste très subjectif. ;-)
En tout cas, bravo, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire cette histoire ^^ (comme l'a dit Grde Marguerite, un véritable page-turner x))
Je te remercie, et je prends note de tes remarques ;)
Concernant le côté scénario, c'est impressionnant comment chaque lecteur/ice a un avis différents là-dessus 😂 Et oui, je pourrais sans aucun doute jouer beaucoup plus là-dessus, voire réécrire l'ensemble du texte en suivant beaucoup plus à la lettre les codes du script de film, mais ça me plairait moins 🤔 j'aime simplement le fait que ça évoque plus précisément au lecteur les images mentales que j'ai lorsque j'écris certains passages ! 😄 En fait je vois ça comme une sauce, que j'utilise plus ou moins selon comment je ressers mon plat.
Je ne suis pas sûr d'avoir bien saisi ton histoire de guirlande en revanche 🤔😅
Et les personnages fades : bordel t'as mis le doigt sur mon complexe avec cette histoire 😂😭 on en reparle une fois le chapitre final posté !!
Merci encore, et à bientôt ;)
Non, j'ai simplement trouvé qu'il manquait une certaine "uniformité" au récit (mais bon tout est subjectif, hein)
Fades ? Mmm... je ne dirais pas cela. Ils sont juste un peu caricaturés, ce qui fait qu'on ne s'y attache pas vraiment. Après ça dépend ce que tu veux nous montrer. ;-)
A bientôt !!
Ce qui me fait penser à une phrase du grand Alfred Hitchcock qui disait quand on lui demandait pourquoi il avait tourné la fameuse scène meurtre de "Psychose" dans une douche : "Imaginez si j'avais choisi les toilettes...".
Je suis moins emballée par le côté vrai-faux "scénario" de cinéma. Ça m'a paru un peu artificiel et m'a refroidie par moments.
J'espère faire d'une manière ou d'une autre honneur à Hitchcock (😂), et j'aime particulièrement sa répartie !
Navré si le coté script/scénar t'a déplu, c'est expérimental et je reconnais que par moments ça pourrait être évité. Le truc c'est que certains gags ne marchent qu'avec ça, et donc je me sens obligé de forcer le trait en rajoutant des "cut." ou autres détails de plan/cadrage qui peuvent paraître superflus, mais qui se révèlent quand même utiles pour maintenir une continuité dans le délire. Je te ferai sûrement pas changer d'avis, mais en tout cas je te comprends et te rejoins partiellement ;)
J'en profite pour me corriger : "la fameuse scène DE meurtre"...
Plus qu'un chapitre, alors ?
Ah, la dispute explosive et le pauvre pote pris entre deux qui aimerait bien se barrer mais qui ne sait pas trop comment…
Du coup, vu le ton général du récit et le fait que l'idée lui vienne de son expérience aux chiottes, je suis très curieuse de savoir ce qu'Anthony lui réserve.
Ouais moi aussi jme demande bien, hehe
À bientôt ! ;)
Au moins il est enfin libéré ! Je pense qu'il ne voudra plus jamais fermer le verrou des WC ou y rester plus de trois minutes ! Quelle histoire !
Vraiment dommage que ça soit si court !
Et c'est pas fini, the last chapter is coming
"qu'il ne l'aimait plus, sa Marine" : Cette phrase paradoxale est si poétique.
Hâte de lire le final !
A+
Merci ! Et à bientôt !
Ça se lit vite et bien. Comme toujours. J'ai hâte de découvrir le ciao d'Antho (et aussi que quelqu'un remette Marine à sa place, parce que là...).
à+ dans les coms de tes textes ;)