Dès que je sors de l’école, le vent fait voler mes cheveux châtains. Il traîne derrière lui une odeur de nature qui me chatouille le nez. Papa dit que ça sent la campagne, et maman aime lui répondre que ce n’est pas n’importe quelle campagne. Moi, je pense que, lorsqu’on s’éloigne un peu trop de l’école pour aller à la maison, ça pue un peu trop le crottin de cheval. Je me suis même plusieurs fois demandé ce que ça sentait, la grande ville, comme celle qui accueille la tour Eiffel ou la statue de la dame à l’épée qu’on voit tout le temps dans les films de grands.
— Nina ! Par ici, ma puce !
Je relève la tête, l’esprit encore dans mes pensées. À la sortie, Papa m’attend avec Pierrot, notre beagle. Je regarde à gauche puis à droite, avant de me dépêcher, les joues plus rouges que les tomates du potager.
— Papa, marmonné-je une fois près de lui. Tu pourrais éviter, euh, de m’appeler comme ça devant l’école ?
Ce surnom est ridicule. Une puce, c’est moche, on a vu des photos en cours de sciences. Et puis, les surnoms, c’est à la maison ! Que vont penser les autres ? Leurs parents ne les considèrent plus comme des bébés, à huit ans. Quand Papa comprendra-t-il que c’est la honte ?
Il me frotte les cheveux de sa grande main, gardant l’autre autour de la laisse de Pierrot. Ce dernier vient dans mes jambes, tout fou de me revoir.
— Bien sûr que je pourrais éviter, mais c’est incontrôlé. Tu sais, quand on donne un surnom affectueux, c’est pour exprimer son amour. Et j’ai envie de le faire chaque jour, même devant l’école. Ça n’a pas d’importance, si ?
Je hausse les épaules en guise de réponse, le cartable toujours attaché à mon dos. Nous atteignons la voiture quand, tout à coup, papa me pose une question délicate :
— Tu étais toute seule à la sortie, Nina… Est-ce que tout se passe bien avec tes camarades de classe ?
Second haussement d’épaules. Je fuis son regard, ainsi que celui de Pierrot.
— Oh, tu sais, Papa… J’aime juste être seule, mens-je. C’est plus facile pour retenir tout ce que Madame Fabry nous apprend durant les cours.
Je n’ai aucun ami. Personne ne prête attention à moi. Peut-être que je n’ai pas ma place dans cette école. Pas ma place. Ni là ni ailleurs. Je n’ose pas le dire à Papa, mais même Madame Fabry oublie que j’existe, parfois. Un fantôme au milieu d’une classe de vivants, Casper à la campagne, entouré de gigantesques forêts et de crottin de cheval.
— Ah, c’est pas commun pour ton âge, ça.
Nous montons dans la voiture, Pierrot et moi à l’arrière. J’attache ma ceinture sous le regard du chien. Certaine qu’il me juge, je lui tire la langue.
Appuyée contre la vitre, je réprime un soupir. Le bruit de la voiture gronde contre ma joue. Je ferme les yeux, mon esprit toujours en vacances. Je repense aux promenades avec Maman, Papa et Pierrot. Même que, parfois, nous sautions dans le plus grand cours d’eau de Chorale ! Aussi, durant ces deux semaines, j’ai pu faire de la corde à sauter, courir, bouger et apprendre de nouvelles choses. J’ai même emprunté des livres sur le foot, sans le dire à Maman et à Papa, à la bibliothèque. À chaque fois, je me dis que ce serait peut-être bien que je leur demande leur accord pour en faire après l’école. Seulement, je ne trouve jamais le bon moment.
« Papa ? J’aime beaucoup jouer à la balle. Est-ce que vous pourriez m’inscrire au club de foot de la ville, s’il te plaît ? »
Je rouvre les yeux, me redresse et prends une profonde inspiration avant d’expirer. Mon cœur bat très fort, on dirait qu’il va exploser.
— Papa ?
Soudain, il freine sec. Les roues de la voiture crissent sur le béton, Pierrot et moi sommes éjectés contre les sièges de devant, et papa crie plusieurs gros mots. Je n’arrive plus à respirer tellement j’ai peur.
— Non, mais ça va pas ! Espèce d’inconscient !
Il se retourne vers nous
— Tout va bien ? Tu portes bien ta ceinture, hein ?
Je hoche la tête, les yeux ronds. Mon regard se pose sur Pierrot, qui remonte sur le siège en pleurant. Le pauvre se roule en boule. Nous tremblons tous les deux. Je me retiens de dire à papa qu’il n’a pas le droit de dire des grossièretés. Vu sa colère, il vaut mieux me taire.
Nous reprenons la route. Papa, toujours énervé contre le mauvais conducteur, et moi dans le silence. Je caresse le dos de Pierrot pour le rassurer, mais aussi pour me changer les idées. Je suis un peu déçue que Papa ne m’ait pas demandé pourquoi je l’ai appelé, une fois calmé. Et moi, je ne lui ai rien dit de plus. Pas même lorsque la voiture s’est arrêtée devant le garage de la maison.