Ils étaient quatre-vingts. Quatre-vingts proscrits, enchaînés au fond d’un couloir sombre, à creuser la roche pour en extraire le cuivre qui enrichissait leur maître. C’était un travail pénible dans le bruit et la poussière et beaucoup enviaient leurs collègues qui transportaient les seaux pleins de minerai ou les fondeurs qui produisaient les lingots parce qu’eux au moins voyaient le soleil de temps en temps.
Cette bande d’esclaves était surveillée par des gardes qui faisaient régulièrement des rondes. L’un d’eux justement, avait osé affronter les conditions infernales qui régnaient pendant le travail pour faire sa tournée. Il examinait chaque chose en détail, depuis la façon dont ils maniaient la pioche jusqu’à la vitesse à laquelle se remplissaient les seaux, prêts à sévir à la moindre défaillance.
Le plus proche de l’entrée, Meton, surveillait son passage tout en utilisant le pic d’une manière crédible bien qu’en réalité il n’arrachât pas beaucoup de roche à la paroi. C’était un Helariasen, un représentant de ce petit royaume insignifiant des mers du sud. Quelques mois plus tôt, des pirates avaient effectué un raid sur son pays pour capturer des esclaves. Certains d’entre eux avaient été revendus à cette mine. C’est pourquoi il était là. Il avait huit compatriotes avec lui au fond, et trois autres qui assuraient le transport.
Meton regarda le garde-chiourme qui disparaissait au tournant du couloir. La galerie n’était pas longue. Il n’allait pas tarder à faire demi-tour et à revenir. Des cris rageurs leur parvinrent soudain du fond de la mine, suivis de bruits de coups et de hurlements de douleur. Son voisin de chaîne se pencha vers lui. « Je lui crèverai la panse à ce salaud.
— Il faudra attendre ton tour, lui répondit Meton. » Le gardien repassa dans l’autre sens. Sa matraque, qu’il avait accrochée à sa ceinture, était maculée de sang. Il avait mis les tâches bien en évidence, afin que tous les prisonniers les remarquent. Il se dirigeait d’un pas nonchalant vers la sortie. Sa silhouette s’encadra dans la lumière du soleil, le temps pour lui de donner un dernier coup d’œil sur ce troupeau. Puis il se détourna d’eux et disparut à leurs regards. Ils seraient tranquilles pour un bon moment.
Le voisin de Meton put parler plus haut maintenant qu’ils n’étaient plus surveillés. « Ce salaud est responsable de la mort de celui qui occupait ta place avant. Il l’a battu jusqu’à ce qu’il en crève.
— Ça coûte cher un esclave. Comment a-t-il pu en tuer un sans que notre maître le réprimande ?
— Il a mis ça sur le compte d’un accident. Comme d’habitude. » Meton ne dit rien, il n’y avait à dire que des lieux communs. « Je m’appelle Zimoa, du royaume de Diacara. Et toi ?
— Meton, je viens du sud de l’empire Ocarian.
— Pourquoi es-tu ici ? questionna l’ancien prisonnier.
— Pour vol, répondit Meton, on est venu me chercher chez moi pour m’enfermer ici.
— Tu es un voleur ?
— Je n’ai pas dit ça. Je n’ai jamais rien volé de ma vie. Mais la victime m’a identifié.
— Un condamné innocent. Quelle originalité ! » Meton lui adressa un regard agressif qui calma la gouaille de son voisin. « Tu n’es pas de l’Ocarian, reprit Meton, comment es-tu arrivé ici ?
— Je menais une caravane à travers le Cairn quand mon propriétaire est mort. Son héritier m’a vendu à celui de la mine.
— Ton propriétaire ? Tu étais un esclave ?
— Au Cairn, il n’y a que les citoyens et les esclaves. Si tu n’es pas l’un, tu es l’autre. Un étranger qui veut traverser le pays doit donc se trouver un maître pour la durée de son voyage.
— J’avais entendu parler de cette pratique. Je n’y croyais pas avant aujourd’hui. Mais ça signifie que tu es innocent toi aussi. Que tu n’as commis aucun crime sauf à commercer avec un royaume qui marche sur la tête !
— Je n’ai été accusé de rien. Juste vendu. » Zimoa jeta un coup d’œil vers la sortie. « Il faut se remettre au travail, dit-il, si on n’a pas ramassé assez de minerai d’ici ce soir, ils vont nous le faire payer. »
Zimoa leva son pic. Meton l’arrêta d’une main sur l’épaule. « Frappe plutôt ici, lui conseilla-t-il
— Ici, mais c’est hors de la veine, il n’y a que de la roche, pas de minerai.
— Justement. Ils veulent que l’on creuse, on va creuser, mais pas question que cela leur rapporte. Ils n’obtiendront que des pierres sans valeur à se mettre sous la dent.
— Ils ne vont pas aimer.
— Nous ne sommes que de simples esclaves achetés au rabais. On ne peut pas nous demander d’avoir la connaissance des roches.
— T’as pas tort. T’es un malin toi.
— Fais passer aux autres.
— Je vais me gêner » Zimoa se tourna vers son voisin et lui chuchota quelques mots à l’oreille. En un instant le message se répandit jusqu’au fond de la mine. Le travail s’interrompit. « Quand le patron va voir ce qu’on lui expédie, il va être furieux. Il va sûrement envoyer quelqu’un pour voir ce qui se passe.
— Il aura perdu plusieurs jours de production, c’est déjà ça de gagné. Et de toute façon je n’ai pas l’intention d’être encore là lorsqu’il s’en apercevra. » La surprise immobilisa Zimoa en pleine action. « Tu veux t’évader ? » Meton posa un doigt sur ses lèvres pour lui intimer le silence. « Ce soir. Quand nous serons enfermés, je te dirai tout. » Zimoa hésita un long moment. « J’y compte bien, dit-il. » Puis il reprit son travail.