Si on m’avait dit ce jour-là ce qu’il m’arriverait, j’aurais crié à l’imposture, à la manipulation, à la magie noire. J’aurais dénoncé le fauteur et l’aurais cloué au pilori de mes propres mains. Puis, je me serais cachée au plus profond du château pour qu’on m’y oublie, de peur qu’un complice poursuive la forfaiture du diable. Parce que, oui, il s’agissait bien là de l’œuvre du diable. Ce ne pouvait être que cela.
Un matin, au lever du jour, je sentis mes os se rétracter, se tordre, se scinder, ma peau se hérisser et se couvrir de plumes ; on me priva de mon corps. Mes yeux alors, qui ne se lassaient jamais d’amourer mon aimé, s’affûta pour plonger un regard bien au-delà du réel. Je voyais le monde d’une acuité effrayante et là, j’ai compris que l’œuvre du Malin m’avait frappée.
Qu’avais-je fait pour mériter cela ? J’aurais préféré me couvrir de plomb plutôt que de prendre l’air, caresser encore et encore l’homme que j’aime plutôt que de le voir galoper à ma poursuite en levant les yeux vers moi jusqu’à la tombée du jour. Là, comme le pendant de la mienne, une autre malédiction frappait. Alors que je retrouvais des doigts, des mains pour enfin de nouveau embrasser à plein bras mon tendre chevalier, lui se couvrait de poils noirs en hurlant par une gueule pleine de crocs. J’aurais voulu alors ne plus exister, si Dieu entendait mes prières.
Au contraire, chaque matin c’était la même douleur. Les plumes qui couvraient mes bras, ou devrais-je dire mes ailes, s’agitaient sous le vent et une irrépressible envie de prendre l’air me prenait. Quelle terrifiante sensation ! Mes jambes, que dis-je, mes serres puissantes, telles des ressorts, me propulsaient vers le ciel. Ô que c’était grisant, je le confesse ! Libérée de l’attraction du sol, mes ailes déployées battant l’air, m’élevant vers les nuages, plus haut que les montagnes, comme si j’avais toujours su faire cela. Comme si j’étais née naturellement faucon. L’instinct. La première fois. Oui, le regard plongeant, pouvant détailler le moindre brin d’herbe tout en planant, éprouvant la portance, l’air et sa matière subtile, le rongeur tapis, la branche idéale sous le couvert des bois, le prédateur embusqué, le geste, les virements de bord, les perspectives sans cesse plus affûtées, même le cri qui sortait de mon bec, oublieux des mots humains, tout me faisait éprouver une terrifiante sensation de liberté. Ô joie !
Mais l’instant d’après, mon regard dépourvu de larmes se perdait à retrouver mon chevalier. L’être si cher pour qui j’aurais volontiers voulu n’avoir jamais connu cette liberté-là. Je dois avouer que de toute ma vie je retiendrais cette première fois, en secret, les ailes déployées au-dessus du vallon, suivant le bel étalon noir et son cavalier, comme étant diaboliquement jouissif. Mais surtout ne lui dites jamais. Maintenant que je le serre dans mes bras aujourd’hui, la malédiction levée, c’est pour ne plus jamais avoir à les rouvrir.
C'est une très belle histoire que tu nous livre là. ca va te sembler paradoxale, mais je vois cette malédiction plutôt comme une libération. Un arrachement, un déracinement à ce qui nous attache à notre condition.
Enfin c'est ainsi que je vois la chose.
Il y a de ça, c'est vrai. Cette femme est tiraillée entre son amour pour son preux chevalier qu'elle ne voudrait quitter pour rien au monde et cette grisante liberté que procure le fait de voler dans les airs dans la peau d'un oiseau. Notre condition d'humain contre une certaine liberté animale... voilà un choix de vie pas évident, mine de rien.
Merci d'être passé, Dio. Tu fais revivre mes drabbles. Merci !
Biz Vef'
Par contre j'ai relevé trois autres si --> "si Dieu entendait mes prières" et "comme si j’avais toujours su faire cela. Comme si j’étais née naturellement faucon" ... ^^'
Bon, sinon, tu as presque tout juste sur l'histoire de Ladyhawk. Sauf que lui, il se transforme en simple loup. Pas loup-garou. Le jour... la nuit... toussa, oui oui, une vraie malédiction pour ces amants. Je te recommande ce film, Jam'. Il date des années 80, donc c'est assez connoté rock'n roll question musique et dans un univers fantastico-moyenâgeux. C'est assez séduisant et en fait, plein d'humour.
Merci d'avoir apprécié mon texte en tous cas.
Biz Vef'
Très bien décrit, c'est plaisant à lire. On imagine bien ce que peuvent resentir les deux amants. La liberté ou l'amour ?
Nascana
Aaah, liberté quand tu nous tiens, n'est-ce pas !!!... oui mais l'amour, c'est encore mieux. Alors ?!!! Bah oui, quoi, question sensation, ça donne à réfléchir.
Merci d'avoir apprécié, Nascana.
Biz Vef'