Cette nuit-là encore, Guillaume se présenta dans la cuisine où l’attendait sœur Mathilde. Clopin-clopant, sur ses béquilles silencieuses, il apparaissait devant elle comme par magie, le sourire ravageur. Chaque fois, à sa vue, il lui faisait bondir le cœur jusqu’à la gorge. Elle restait sans voix, dissimulant son trouble autant que possible dans ses gestes de cuisinière. Là, les mains enfouies jusqu’aux poignets dans la farine, elle commençait le pétrissage d’une pâte alors que le mousquetaire blessé se fendait d’une courbette courtoise sans la quitter des yeux. Tous deux, ils réaliseraient un plat ; une tarte, une tourte ou autre chose, peu importait du moment qu’ils le faisaient à deux. Dans le secret d’un couvent endormi, un homme prenait rendez-vous avec une délicieuse cuisinière : une jeune femme cachée sous un habit de nonne.
Il abandonna ses béquilles contre la cheminée et clopina autour de la table pour s’approcher de la jeune converse. Dans la pénombre, à peine éclairée de quelques bougies et des lueurs dansantes du foyer, il troussa les manches de sa chemise, fin prêt pour tenir sa promesse tout autant que ses envies. Après tout, c’était bien lui qui l’avait suppliée de lui apprendre quelques recettes d’elle.
La douce et rassurante présence de Guillaume tout contre son dos lui faisait s’agiter des papillons dans le ventre. Ses avant-bras se hérissèrent irrésistiblement de chair-de-poule quand il allongea ses bras musculeux tous près des siens, ses mains de guerrier ajoutées aux siennes se mêlaient à la pâte en des gestes désordonnés, lissant, poissant, adhérant, boulottant, entre chaque doigts de l’un ou de l’autre comme une danse de charme improbable. Guillaume jouait de ses gestes équivoques, à la troubler plus que de raison ; il s’amusait à lui faire oublier son habit qui les séparait. Mais elle tenait bon ; Dieu les observait.
La chaleur de leur corps en action, leur souffle saccadé, leurs gestes accordés, la pâte se laissait affermir autant que leur cœur s’enflammait dans l’action, en s’harmonisant, insufflaient leur amour silencieux. La matière prenait amour. La farine vibrait de leurs émotions partagées. L’alchimie culinaire prenait soudain vie. Jamais pâte n’eût profité d’autant d’énergie positive. Si Dieu pouvait approuver cela... Peut-être la magie est-elle là ! ... savoir donner... Dieu donne à l’homme la possibilité d’aimer, mais lorsqu’on a juré de l’aimer Lui...
La pâte devint boule. Une boule blanche et ronde, marquée des empreintes de vingt doigts entremêlés. Elle trône, magnifique, sur la table farinée. Guillaume prit Mathilde par les épaules, doucement, et la fit tourner face à lui. Quand il prononça ces paroles, son regard brun et ardent plongé dans le sien, la jeune nonne n’en crut pas ses oreilles.
- De tous les jupons que j’ai troussé à la cour, de toutes les femmes que j’ai possédées, plus belles et désirables les unes que les autres, Mathilde, pas une fois je n’ai joui avec autant de plaisir qu’à pétrir une pâte ainsi avec vous. Merci.
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Hé oui moi aussi je pérégrine et c'est une histoire très mignonne que je rencontre ici. <br />
Bon,bon il va falloir que je me plonge plus loin dans ta cuisine littéraire.
Merci pour ton gentil commentaire et je suis contente que ça t'ai plu. Si le coeur t'en dis, tu peux lire la version longue, bien sûr.
A bientôt sur le fofo, Dio !
Biz Vef'
Dorénavant je promènerai toujours avec un ou deux kilos de farine sur moi, on ne sait jamais...
(Je ne sais plus où j'ai lu tes doutes au sujet de l'écriture, mais alors là, je ne comprends pas du tout pourquoi. En tous les cas, moi, j'y étais dans cette cuisine de nonne !!! J'en transpire encore !
Tu m'as fait beaucoup rire avec tes petits kilos de farine en prévision. Je suis contente que petit drabble t'ai plu. Et encore, tu n'as pas lu la grande histoire ! Là, je réutilise mes personnages pour un petit bonus plutôt tendre. J'avoue que j'ai beau triturer la cuisine dans tous les sens mais je n'arrive pas la dissocier de l'amour. Alors, résolument, mes personnages s'y plongent avec un délice non dissimulé. Enfin, pour l'épisode du couvent si. Parce que c'est interdit d'éprouver un tel amour en ces lieux, hélas...
Merci d'être passée par là, Aranck et je te dis à très vite sur le fofo.
Biz Vef'
On retrouve toute la philosophie du roman dans ces 500 mots où l'énergie entre les êtres se mêle à la magie gastronomique, où sensualité et spiritualité se confondent.
Je suis si contente que tu continues d'écrire à travers les drabbles et ton journal de bord ! Réserve-nous d'autres surprises comme ça !
J'apprécie toujours retrouver mes personnages et leur faire vivre des petites choses qu'on n'a jamais dites sur eux. Si un autre sujet de drabble se prête à mes personnages, ce sera encore avec plaisir.
Merci à toi.
Biz Vef'
On se demande qui aura l'honneur de déguster leur tourte avec tout ça. C'était surprenant. Oui, inattendu et agréable à lire ^^
Remarque, en d'autres temps, ils auraient sûrement fait un malheur avec leurs pizza dans leur camion ! Lol !
Qui aura l'honneur de déguster la tourte ? Pour toi, c'est une tourte, alors ? Va pour la tourte ! Les autres sœurs la mangeront le lendemain en croyant que Mathilde l'a faite toute seule. Elles vont tellement l'aimer qu'elles vont se demander s'il n'y a pas quelque chose de diabolique là-dedans ! Eh oui, les plaisirs sont blasphémateurs dans un couvent... brrrr !
Surprenant ? Je ne sais pas, mais ça me fait plaisir que tu dises ça. Contente que ça t'ai plu.
Biz Vef'
Bien retranscrit.
Nascana
Biz Vef'
Un très joli moment de lecture. :)
Biz Vef'