Les photos des annonces immobilières sont souvent trompeuses. Une fois qu’on se rend sur place, on se rend compte que les pièces sont plus petites, que la peinture des murs, qui semblait récente, date d’au moins dix ans, que les sols sont tachés. Mais pour cette maison-là, c’était différent. Les images publiées sur le site d’annonces immobilières reflétaient assez bien la réalité – le photographe n’avait ni abusé du grand-angle ni des filtres numériques. Et tout était impeccable : on voyait que les propriétaires précédents avaient pris soin des choses. Les choses, justement, il y en avait encore des tas, exactement comme si la maison était toujours habitée.
— Quand est-ce qu’ils vont enlever tout ça ? demande François à l’employée de l’agence.
— Ils sont partis à l’autre bout du monde, et ils ont tout laissé comme ça. À croire qu’ils étaient poursuivis par la police !
L’employée se fend d’un petit rire auto-complaisant mais les visiteurs, eux, restent impassibles. Elle a l’habitude. Ça fait partie de son métier de se montrer enjouée coûte que coûte, même avec les clients ronchons. Néanmoins c’est un équilibre à trouver, car trop de gaité peut sembler suspect. Elle ajuste donc le tir et reprend d’un air sérieux :
— Je pense qu’on ne va pas les revoir de sitôt parce qu’ils ont donné une procuration à notre agence pour les actes notariés. Si vous voulez acheter la maison, je vous conseille de jeter ou de vendre ce qui ne vous plaît pas, et de garder le reste. Tout est en très bon état, remarquez. Et ils ne demandent aucune reprise. Vous êtes gagnants ! Mais décidez-vous vite, j’ai d’autres acheteurs potentiels.
On se décide donc, avec, finalement, un prix négocié à la baisse – en dépit des soi-disant acheteurs potentiels. La maison est habitable tout de suite mais Claire veut des meubles à elle, un intérieur qui lui ressemble, une déco originale qu’elle aura pris le temps de concevoir ; pas question de se contenter de l’existant. François lui fait confiance depuis toujours. Il adore ce que Claire adore, il trouve qu’elle a bon goût. Lui, la déco, ce n’est pas trop son truc.
Juste avant le déménagement, un camion Emmaüs arrive et embarque sans discrimination tables, chaises, literie, vaisselle, bibelots, livres, enfin tout ce que les anciens propriétaires ont laissé. La seule chose que Claire ne veut pas changer – et heureusement car ça serait difficile – c’est le parquet. Un beau parquet de chêne qui couvre toutes les pièces de la maison, exceptées la cuisine et la salle de bain.
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Claire et François prennent quelques jours de vacance vers la mi-avril pour emménager, et notamment repeindre les chambres du premier étage. Quelle idée d’avoir mis cette couleur anthracite partout, commente Claire, qui, comme son prénom semble l’avoir prédestinée, n’aime pas les ambiance sombres. Colette découvre sa future chambre repeinte en blanc et n’en revient pas d’avoir une pièce aussi grande pour elle toute seule. Elle a hâte de pouvoir y installer toutes ses affaires : ses jouets, ses habits, ses livres et, un peu plus tard, son nouveau lit commandé pour l’occasion. Tout ça la change tellement de l’appartement parisien, et même, en un mot, de sa vie d’avant. C’est comme une grande aventure. Ses copains vont lui manquer bien-sûr, mais, maintenant qu’il y a de la place, on lui a promis qu’elle pourrait inviter qui elle veut pour venir passer le week-end ou les petites vacances. Et puis Colette est une petite fille très sociable et facile à vivre. Les parents sont certains qu’elle va rapidement se faire de nouveaux amis à l’école.
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Ça y est, on peut passer une première nuit dans la maison, malgré l’odeur de peinture fraîche qui imprègne encore l’atmosphère et les cartons qui traînent un peu partout. Pour l’instant Colette doit dormir sur un simple matelas posé au sol, mais elle s’en fiche. Ce soir-là, sa mère a toutes les peines du monde à la mettre au lit car elle est excitée comme une puce. Elle danse sur le matelas en chantant n’importe quoi, en faisant des mines de rock-star. Claire renonce à lui imposer quoi que ce soit, se disant que son petit jeu finira bien par la fatiguer. Quant à elle, l’idée de danser ne l’effleure absolument pas. La journée a été longue et exténuante, et elle a juste envie de sombrer dans le sommeil. Elle se glisse sous les draps et vient se blottir contre son mari à moitié endormi. Le contact de son corps la stimule, malgré la fatigue. Elle ne peut pas s’empêcher de le caresser jusqu’à ce qu’il devienne dur. François abdique parce que c’est un grand jour, alors il faut marquer le coup. Elle jouit vite, heureusement, et lui ne traîne pas non plus. Tous deux s’endorment ensuite instantanément, le sourire aux lèvres.
Vers deux heures, Claire se cramponne au garde-corps d’un hors-bord qui claque sa coque contre les vagues d’une mer démontée. Secouée dans tous les sens, elle finit par perdre l’équilibre et va passer par-dessus bord quand son cri la réveille. Elle ouvre les yeux dans la pénombre, voit son mari assis au bord du lit, le visage éclairé par la lueur bleutée de sa tablette.
— Tu fais quoi ? C’est toi qui m’a poussée ?
— Mais non ! Il y a eu une secousse…
— Une secousse ? Comment ça, une secousse ?
— Oui, une secousse sismique, un tremblement de terre, quoi !
— Tu es sûr ?
— Je suis en train de chercher sur internet. J’ai cru qu’un camion me roulait dessus !
— Et moi –
— Je ne trouve rien… Pourtant je l’ai bien senti… Et toi aussi apparemment. Mais c’est peut-être encore trop tôt…
Colette se met à appeler depuis sa chambre :
— Maman ! Papa !
— J’y vais, fait Claire.
Dans la chambre, il y a des livres, des peluches tombés sur le sol, et la lampe de chevet qui a perdu son abat-jour. Colette est debout. Elle vient se réfugier dans les bras de sa mère.
— C’était quoi, Maman ? Toute la maison a remué, comme… comme si un éléphant marchait dessus ! Tout est tombé par terre ! J’ai eu super peur !
— Il y a eu une secousse sismique. Ça peut arriver.
— C’est quoi une secousse sismique ?
— C’est un tremblement de terre, mais en petit. La maison ne s’est quand même pas écroulée, tu vois bien !
— Un tremblement de terre ?
— Oui, c’est ça.
— Ouaaaah ! C’est vrai ?
— Ça en a tout l’air, mais il faut encore qu’on vérifie. Tout va bien maintenant. Recouche-toi, et tâche de dormir.
C'est très vivant, je me suis sentie tout de suite happée dans la scène. L'histoire ne perd pas de temps mais, à mon sens, ça fonctionne très bien.
On se retrouve facilement dans les petites expériences des personnages (les photos d'agence immo...) et ça donne envie de les retrouver dans le prochain chapitre !
Par contre, j'avoue qu'avec les tags, je ne sais pas *du tout* à quoi m'attendre. La surprise sera totale !
Bonne réflexion !
Voilà un début d'histoire dynamique, qui embarque le lecteur. On voudrait vite lire la suite pour voir comment les choses vont se déplier, quelle atmosphère va s'installer. J'ai l'impression, à ton style et à la couverture, que le ton va être un peu léger si ce n'est comique, et je pense que ça marcherait super bien avec le trope de la maison hantée.
J'ai bien aimé les premières phrases qui invitent sans attendre à considérer la particularité de cette maison.
Je me permets de proposer quelques remarques où je pense que tu pourrais gagner en efficacité, du moins selon mes attentes d'un incipit :
- Prendre le temps ! Je trouve que ça va trop vite. J'aurais aimé une description moins expéditive de la maison qui nous aiderait à la visualiser, et qui la teinterait d'une ambiance, d'une atmosphère... Jouer sur les sens, ce qui la rend charmante, inquiétante, etc. Au lieu de lister ce qu'elle contient et de montrer quelles pièces sont revêtues de parquet (un détail que j'ai aimé, et j'en aurais voulu beaucoup plus), parler des couleurs, des sons, des odeurs... Un peu d'hypotypose en bref. Ou de contemplatif.
- De même, les personnages semble à ce stade ne pas avoir de profondeur... On a un portrait de famille très grossier, dans le sens où on ne voit que de gros contours. J'ai l'impression que c'est un archétype, or une bonne histoire, selon moi, se démarque par l'originalité des protagonistes, et ça peut se faire très vite par petites touches. Par exemple, en détaillant des dialogues : est-ce que Claire parle fort ? A un tic de langage ou de gestuelle ? Est-ce qu'elle pose des questions sur la défensive, ou est-elle complaisante, émerveillée comme si elle était trop naïve ? Quelle est sa relation avec François, au-delà du fait qu'ils soient mariés et parents ? On remarque une proximité et une affection toujours présentes grâce au rapport sexuel, mais même si ce dernier se démarque par son caractère expéditif, on a du mal à discerner s'il s'agit d'un trait comique voire ironique de la narration, d'une maladresse de leur part, ou d'un rituel finalement sans réelle affection, etc.
- J'ai remarqué une incohérence au niveau du système temporel : passé puis présent, ça m'a un peu désarçonnée. Il aurait fallu rester sur le passé composé et le présent : "tout est impeccable", "le photographe n'a ni abusé..."
- "Bien sûr" sans tiret entre les deux dans le paragraphe entre astérisques.
Pardon pour le pavé et à bientôt pour la suite !
Ce qui, par ailleurs, n'est pas inintéressant ! Pour continuer dans les confidences, je me suis moi-même fait à peu près les mêmes remarques que toi concernant la profondeur des persos et l'exposition de l'univers de cette maison, de son contexte. Mais ces remarques, elles me sont venues aussi parce que, avec un peu de recul, je me demande si ça ne vaudrait pas la peine de transformer tout ça en roman, je pense qu'il y aurait largement matière à un projet plus long. Même si cette nouvelle, en l'état, est assez longue, je me sens un peu frustré de ne pas avoir développé certains aspects du scénario (il y a une interaction avec les voisins par exemple) et le côté humour aussi, qui reste au second plan (donc je te rejoins, l'ironie et le décalage peuvent tout à fait fonctionner avec un cliché comme celui de la maison hantée).
Le passé puis présent est volontaire, mais disons que c'est "expérimental". J'aime assez les écarts de système temporel, ça contraste le texte, mais il faut que ça fonctionne bien sûr. Si ça gène, c'est chiant !
Ah j'oubliais : bien sûr sans tiret bien sûr !
Et enfin pardon pour le renvoi de pavé !
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