Chapitre 1

Mon très cher ami,

Cette journée hivernale s’est déroulée comme toutes les autres : une désagréable humidité qui amplifiait le froid s’engouffrant sous les manteaux et soulevait des tourbillons de neige floconneuse. Aussitôt qu’ils touchaient le sol, ils se transformaient en cette infâme bouillasse brunâtre dans laquelle tu sais que je déteste patauger, mais j’y étais bien obligée, il fallait que je rentre du travail.

C’est là que le j’ai rencontré, à deux pas de chez moi : une petite silhouette frêle comme un oiseau, un corps recroquevillé rouge comme un diablotin avec de grands yeux dorés et de petites oreilles en pointes, un pantalon de toile et un gilet de cuir sans oublier le bonnet à pompon blanc aussi rouge que sa peau. Je l’ai emmené, il n’a pas résisté.

J’ai cru qu’il avait froid, en réalité, il avait trop chaud. Contre une énorme bûche glacée, sa langue s’est déliée : c’était un elfe du Père Noël mais « pas ces lutins en carton-pâte de centre commercial, non un vrai elfe, comme ceux de la Terre du Milieu, en moins pittoresque ». Un Eclaireur. Les Bonnets Rouges comme on les appelait là-bas. Toute l’année, il habitait au Pôle Nord, tout simplement parce qu’il y faisait nettement meilleur. N’est-ce pas un peu incongru pour une créature de feu que de préférer vivre dans le froid ? Pas d’après lui. L’existence des Bonnets Rouges assurait la protection de la fabrique du vieux barbu, qui ne l’était pas tant que cela d’ailleurs, mais ça c’était une autre histoire. La chaleur qu’ils dégageaient faisait fondre la couche de neige superficielle plongeant le pays du jouet dans un brouillard semi-éternel. Semi parce qu’à l’occasion de Noel, il disparaissait en même temps que les Bonnets Rouges.

Leur mission les menaient partout dans le monde sous leur forme miniature, économie d’énergie obligeait, ils sillonnaient  les villes telles des lucioles féériques pour illuminer rues, sapins et maisonnées. Ils sont des Eclaireurs. Figure-toi que c’est à eux que l’on doit toute cette magie de Noel. Mais, celui-là avait eu un problème. La chaleur de notre ville l’avait surpris, et ses mains moites avaient glissé du lampadaire où il était accroché. Quelques mètres plus bas, sa tête avait cogné le bitume presque gelé. Une belle bosse plus tard, il m’avait aperçu trop tard pour se cacher. J’ai rigolé, puis hésité et finalement je l’ai testé : si son histoire était vraie, il n’avait qu’à me la prouver. Ce qu’il a fait à ma bougie m’a suffi. Une telle dextérité… c’était simplement merveilleux.

Il y a quelque temps, je me demandais où était passée la magie de Noel, cette candeur qu’enfant que je ressentais, cette excitation qui me faisait sautiller partout à l’approche des fêtes. Je crois que je l’ai retrouvée, jamais elle ne s’est perdue. J’avais juste un peu trop fermé mes yeux de jeune adulte.

Il m’a proposé de m’emmener dans le Grand Nord, et tu sais quoi j’ai accepté : il parait que là-bas il y a toujours du travail et même s’il y fait presque toujours froid, même s’il y neige tous les jours, c’est l’endroit le plus chaleureux du monde.

Mon très cher ami, tu auras sans doute compris que je t’écris cette lettre pour te dire au revoir. Porte-toi bien.