-Il est 23h45, tu es prête ?
La mère de famille jeta un regard au miroir du salon, sans se soucier le moins du monde de moi. L'espace d'un instant, je me pris à la contempler impassible, elle avait choisit ce naturel que certains dénigraient. Les cheveux lâchés, les yeux et les lèvres à peine maquillés sans doute ce qui lui paraissait le plus convenable. Reculant, elle observe sa robe. Sans nul doute, sa préférée, car usée par les lavages fréquents. Malgré cela, la couleur et la forme sont toujours présente quoiqu'estompée, mettant en valeur son corps et sa taille fine.
-Je suis prête ! m'annonça-t-elle.
-Il va falloir nous mettre en route.
Prévenant, je lui rappelais ce qui devait être fait cette nuit.
Ouvrant un tiroir, elle en tira une lettre.
-Je vais la mettre dans la cuisine pour eux, pour demain quand ils se lèveront.
Sa tache accomplie, elle se dirigea vers la porte d'entrée. Je suis sur ses talons, elle ne partira pas sans moi, je le sais.
-Il te reste encore dix minutes, si tu veux.
Je me dois de la rassurer.
La femme d'âge mûr secoua la tête.
-Il faut que j'aille nourrir les poissons, soupira-t-elle. J'ai oublié. Les voisins m'ont demandé et j'ai oublié.
Était-ce là, son véritable vœux avant...
Levant les yeux sur sa maison, elle la contempla comme si c'était la dernière fois qu'elle la voyait. Inconsciemment, sa main se porta à son cœur.
-Merci d'être là, pour moi, murmura-t-elle.
-C'est mon rôle, je suis là pour ceux qui en ont besoin.
-J'en ai besoin. Parce que j'ai peur !
-C'est normal. Il n'y a rien de honteux à avoir peur.
Elle hocha la tête.
-Je n'en ai parlé à personne. J'ai fais comme ça devait être fait.
Cette femme avait l'air si fière d'elle, si fière de son silence. Elle attendait en quête d'approbation, je ne pouvais qu'être prévenant avec elle, c'était la moindre des choses.
Un coup d'œil sur ma montre et il était déjà temps de se mettre en route.
-Il est 23h58. Les poissons t'attendent.
Elle le savait mais elle avait peur.
-Je serais derrière toi, je marcherais dans tes pas.
Il me faut la rassurer.
Concentrée, elle se mit en route. Fixant ses pas, elle voulait franchir l'obstacle pour arriver de l'autre côté. C'était comme un jeu d'enfant, si elle gagnait le trottoir d'en face, sa vie ne serait plus la même. Rien ne pouvait l'arrêter.
Rien sauf peut-être ce qu'elle n'avait pas vu.
Une lumière dans la nuit, un bruit strident qui la paralyse et c'était déjà la fin. Une masse de de taule la percuta violemment. Son corps s'envola sous le choc. La chute n'en fut que plus brutal. Elle s'étala sur l'asphalte, sûrement incapable de dire si elle avait mal ou non.
-23h59.
Je devais lui dire. C'était mon devoir.
A genoux près d'elle, je vis qu'elle souriait.
-Merci, me murmura-t-elle.
-Minuit !
Je dois le faire, je dois énoncer la sentence.
Minuit, et sa poitrine ne se soulevait plus, ses yeux était devenus vitreux mais son sourire restait peint sur son visage, sincère.
-Si tous les clients pouvaient être comme ça, la vie des anges de mort serait bien plus simple, dis-je en lui fermant les yeux. Connaître dès la naissance l'heure de sa mort, ne permet pas à tout le monde de l'accepter aussi facilement que toi. Dommage !
Mais il est déjà temps de repartir. Un autre client m'attends quelque part.