Le 19 décembre,
A mon très cher Robert,
Mon époux, je sais que vous n'appréciez guère les lettres que vous jugez intérêt, mais je ne peux m'empêcher de vous écrire en ce jour, car je me fais grandement du souci. Attitude de bonne femme direz-vous, j'anticipe déjà vos réactions dans l'espoir que vous continuiez votre lecture.
Il se passe ici d'étranges choses : la nuit le silence règne. Un silence oppressant que rien ne semble pouvoir troubler. Pourtant soudainement, des cris retentissent sans que je ne puisse en déterminer la présence. Parfois aussi, j'ai l'impression d'entendre quelqu'un marcher à l'étage et descendre les escaliers. Bien sûr, je sais parfaitement que les maisons anciennes sont sujettes aux grincements et autres sons malgré tout, je soutiens qu'il s'agit de quelque chose de beaucoup plus effrayant.
Je vous en conjure mon ami, écourtez ce voyage et revenez au plus vite.
Votre dévouée Sarah.
Le 20 décembre,
A mon aimé,
Je vous écris alors même que vous n'avez pas reçu la première lettre mais cela me permet d'apaiser ma nervosité. Aujourd'hui, j'ai voulu sortir de la maison malgré la mauvaise grippe qui s'est invitée. Pourtant une fois devant le portail, je fus incapable de faire le moindre pas. Un mauvais pressentiment me rongeait. C'était comme si je ne devais pas quitter les lieux de peur qu'un malheur me guette.
Je n'ai pu que rentrer dans notre demeure. J'ai préféré ne pas tenter le diable, sait-on jamais ce qu'il pourrait arriver.
Comme si j'avais besoin de cela : les bruits continus de me torturaient. Combien de fois me suis-je éveillée en sursaut, de peur qu'un inconnu soit entré dans le confort de notre maison. Celle que j'aime et que j'ai pris tant de plaisir à décorer est devenue maintenant une prison pour moi, où je ne m'y sens même pas en sécurité.
De grâce, revenez dès l'instant où vous lirez cette lettre.
Votre tendre Sarah.
Le 21 décembre,
Mon cher Robert,
Je me dois de vous décrire la situation dans laquelle je me trouve : coincée à la maison, la peur au ventre. J'ai beau regarder par les fenêtres, je n'aperçois aucun de nos voisins. Ce qui n'est pas pour me rassurer.
J'ai la bête impression que tout est contre moi. Je me rassure néanmoins, en me disant que dès votre retour, nous rirons tous deux de mes pitoyables inquiétudes. En attendant, il ne me reste qu'à prendre mon mal en patience et me couvrir. En effet, cette fichu grippe se refuse à partir. J'espère être remise pour votre retour.
Avec amour.
Sarah.
Le 21 décembre,
Robert,
J'ai beau savoir que je vous ai écrit cela ne me rassure pas. Mettre cette lettre dans la boite accrochée à notre portail s'est déjà révélé difficile pour moi. Tout ce fait sombre dehors, et aucun signe de vie ne me parvint des alentours. Je ne peux m'empêcher de craindre le pire.
Irais-je poster cette lettre ? Sera-t-elle ramassée par le facteur ?
Dans les deux cas, je l'espère.
Affectueusement,
Votre Sarah qui vous attend.
Le 22 décembre,
Robert,
Je me sens épuisée. Était-ce hier encore que je vous écrivais ? Je ne sais plus. La fièvre m'empêche de réfléchir correctement.
La fatigue et la lassitude se font bien présentes. Parfois l'idée me traverse l'esprit que plus jamais, je ne vous révérais. Comment en suis-je venu là ?
Je m'étonne moi-même en me regardant dans le miroir. Cette vieille femme est-ce vraiment moi ? Le temps n'a pas été clément et ne m'a pas épargné ses blessures.
Que direz-vous en me voyant ?
Mon aimé, j'ai tant besoin de vous en ce jour funeste.
Sarah.
Le 22 décembre,
Cher époux,
Cette fois, je le sais c'est la fin. Le solstice d'hiver sonnera mon glas. En mon dernier jour de vie, j'ai tant de chose à vous dire. Je vous ai aimé envers et contre tout. Même si vous m'avez laissé dans cette demeure autrefois glorieuse, et qui sera maintenant mon tombeau.
Je vous ai aimé même si pour cela je devais renoncer à ma famille. Je pensais que nous nous suffirions l'un à l'autre. Avais-je tord ?Peut-être... Mais l'heure n'est pas aux regrets. Mon cœur s'est-il épuisé trop vite en de vaines batailles ?
Je n'aurais sûrement jamais la réponse à mes questions. Avez-vous seulement pris la peine de jeter un coup d'oil à mes lettres ou les avez-vous mise à la poubelle sans même les décacheter ? Avez-vous tant à faire que vous ne pouvez penser à moi qui souffre ?
Mais cela n'a plus d'importance, à présent. Était-ce ma faute ? La vôtre ? Celle d'un ou d'une autre ? Pour moi, cela ne veut plus rien dire.
Je crois qu'on finit par arriver à un moment de sa vie ou plus rien n'a de réels importances. C'est mon cas et je ne le souhaite à personne.
Néanmoins, je veux que tu saches qu'en cet instant, c'est d'abord à toi que je pense. Peut-être que cela te flattera ou indifférera qu'importe.
Si l'on te demande ce qui s'est passé tu pourras sans mal évoquer ma folie : les bruits que j'entends, l'enfermement dans lequel je vis depuis que mes proches ont disparu, et ma peur de l'avenir m'ont réduit à néant. Une excuse toute trouvée pour une femme laissée par son mari, trop prit par ses affaires ou par d'autres événements.
Je ne veux pas qu'on chante mes louages. Je ne veux pas non plus qu'on pleure sur mon sort. Je ne demande rien de plus que l'oubli. Voici mon souhait : disparaître ainsi tu pourras refaire ta vie.
Adieu à jamais, toi que j'ai aimé.
Votre triste Sarah.
Et sur sa tombe, on pouvait lire :
« Sarah Motier, partie trop tôt, à l'âge de vingt-cinq ans.
A ma chère Sarah, emportée trop jeune par la maladie. Je t'ai tant aimé, ton dévoué Robert, qui attends avec hâte de pouvoir te retrouver : toi qui a bercé ma vie de ta tendre folie. »
Pauvre jeune femme ! Si délaissée, à l'abandon. Je te le secouerais, moi, ce Robert qui n'a pas su être là !!!!
J'imagine qu'on est à l'époque des belles robes et des grands châteaux, des crinolines et des carrosses. Comment ne pas y tomber malade et de mourir de solitude ?!
Dommage que tu n'aies pas été éligible, ton texte est vraiment très beau.
Biz Vef'
Oui, c'est une sorte de XIX° siècle.
Je suis contente que le texte t'est convaincu.
Nascana
C'est le deuxième texte que je lis de toi, après le concours d'Halloween :) Je retrouve avec plaisir ta plume très délicate. Certaines petites fautes d'inattention traînent par-ci par-là, ce qui ralentit parfois un peu la lecture. Mais cela n'empêche pas ton texte d'être joliment mené.
Cette correspondance à sens unique était très triste. On se balance un peu entre fantastique et folie douce, on ne sait pas trop qui est réellement cette Sarah. Elle paraît très sympathique alors que Robert paraît être tout son contraire. C'est peut-être uniquement à cause des seules interventions de Sarah, qui ne nous font partager qu'un unique point de vue sur leur relation. Finalement, le sort de Robert me semble d'autant plus triste qu'il avait l'air de vouer une véritable passion à sa jeune épouse...
Bravo pour cette jolie correspondance :)
Robert n'est pas antipathique, je te rassure. C'est juste que les pensées de Sarah tourne en boucle et du coup, ça donne des résultats étranges.
Merci pour ton passage.
Nascana
Quoi qu'il en soit, je suis contente d'avoir lu ta participation à ce speedwriting, tous les textes sont tellement différents que c'est quand même un grand plaisir de tous les découvrir :)
Merci pour ta lecture.
Nascana
Je ne sais pas s'il s'agit d'une interprétation personnelle de ma part, mais j'ai de l'antipathie pour Robert : pour moi, il aurait pu être là pour aider sa femme et, au final, sur son épitaphe, il met sa mort sur le dos de la maladie... nnnon mais ! ><
Merci pour cette lecture et à bientôt !
Liné ~
Nascana
Bravo !
La lente agonie de cette femme abandonnée était vraiment très bien rendue, très progressive : en peu de mot tu nous offres une sacré histoire !
L'épitaphe de fin me paraissait presque en trop du coup ; sortir des lettres pour assurer à la fin qu'elle était aimée c'était presque dommage (bon c'est super personnel). Mais j'avais commencé à me dire que des années et des années étaient passés, alors qu'elle n'avait que 25 ans à la fin.
Ah et d'ailleurs dans sa dernière lettre elle passe soudain du vouvoiement au tutoiement : comment se fais-ce ?
Mais sinon, très chouette texte, vraiment !
Pour la dernière lettre, je voulais montrer la colère en changeant de ton (après, je sais pas si c'est très réussis).
Je voulais faire en sorte qu'on est l'impression que beaucoup de temps passe alors que non en fait.
Nascana
C'est joliment mené, cela dit. Ta pauvre narratrice se retrouve tellement embourbée dans sa folie qu'elle ne voit même plus ceux qui l'entourent. Bien joué :)
Nascana
Bravo pour ce beau texte et pour ta participation !
Nascana
Une question me trotte dans la tête, plutôt que de lire ces lettres Robert n'était-il pas à ses côtés tandis qu'elle lui écrivait comme si il était très éloigné d'elle. J'ai plutôt l'impression que Robert la veillait mais qu'enfermé dans sa maladie, elle ne le voyait pas.
Merci pour ton passage.
Nascana
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C'est vraiment un beau texte, bravo Nascana !
Merci pour ta lecture.
Nascana
Un joli texte !
Nascana
Nascana
Pauvre Sarah, abandonnée à son triste sort et si vite disparue, sans même avoir revu ni lu ni entendu son tendre et cher. Sa solitude, ses appels, me crèvent le ventre, c'est un bien beau texte. Félicitations
C'est une jolie ambiance, très XIXe siècle, à la limite de l'étrange, qui règne dans ce texte. Dans le fond, tout se déroule en si peu de temps...
Elle est triste cependant, cette fin qui arrive en quelques jours, accompagnée par ce sentiment d'isolement. Et très émouvante.
Bravo à toi !
Nascana
En plus, qui nous dit qu'il n'a répondu à aucune de ses lettres ? On ne peut pas en être vraiment sûr, mais en tout cas tu ne nous montres pas ses réponses s'il réponse il y a. ^^
Merci pour ta lecture.
Nascana