Chapitre 1

Par Nascana

 

La jeune fille relut encore une fois les consignes de la rédaction « Écrire un événement extraordinaire ». Un énoncé qui pouvait paraître simple, mais laisser trop de liberté à son créateur. Elle mordilla le bout du crayon en réfléchissant. Hors de question de se lancer à la légère.

 

De l'autre côté de la table, son amie Julie paraissait dans la même situation qu'elle.

 

-Tu vas écrire quoi ? finit-elle par demander.

 

L'autre releva la tête de sa feuille.

 

-J'aimerais bien commencer par une journée ordinaire. Style, on va à l'école et il se passe un truc…

 

-Quoi comme truc ?

 

-Je cherche encore. Il pourrait y avoir un fou qui détourne le bus pour braquer la banque.

 

Une idée bien loin de celle de la jeune fille.

 

-Et toi ?

 

-Je sais pas. Je me disais qu'un groupe d'élève pourrait trouver une nouvelle créature.

 

-Ça serait historique ?

 

-Non.

 

-Ça serait quoi comme nouvelle créature ?

 

-Un truc jamais vu et ils lui donneraient un nom.

 

-Tu veux dire une créature qui n'existe pas ?

 

Julie appuya fortement sur la dernière partie de la phrase.

 

-Oui.

 

-Mais comment tu vas la décrire, si elle n'existe pas ?

 

-Je ne sais pas. On pourrait dire que c'est un mélange de plusieurs créatures existantes.

 

-Du coup, elles seraient mortes et découpées ? C'est gore.

 

La jeune fille soupira.

 

-Mais non, elle ne serait pas morte. Ça serait une créature vivante avec des caractéristiques propres. Un truc jamais vu.

 

-Mais ça n'existe pas ! souffla l'autre avec violence.

 

-Justement c'est extraordinaire !

 

-C'est surtout n'importe quoi ! Comment veux-tu avoir une bonne note avec ça ?!

 

-C'est toujours plus cohérent que détourner un bus plein pour braquer une banque !

 

-Oui, mais ça, ça peut arriver !

 

Le silence se fit entre les deux filles.

 

-Si tu veux écrire des bêtises, libre à toi, reprit Julie. Mais ne viens pas te plaindre si tu as une mauvaise note.

 

La jeune fille soupira. Ici, on n'avait jamais le droit de parler de choses qui n'existaient pas. Sinon les autres au mieux, se moquaient, au pire, vous prenaient pour une folle. Pour quelqu'un comme elle, qui rêvait de choses étranges, c'était difficile au quotidien.

 

Elle se souvenait de son enfance, lorsqu'elle avait voulu raconter la vie d'un enfant dans une tribu. Tous les adultes lui avaient demandé de laquelle il s'agissait et si elle s'était bien renseignée sur les mœurs en vigueur. La difficulté de la recherche l'avait fait abandonner. Là, où elle voulait créer, on lui avait imposé la rigueur de la réalité. Chacun de ses élans de créativité se voyait ainsi réprimé.

 

Les seules créatures ayant dominé leur planète étaient les humains. Les seuls animaux qu'elle pouvait utiliser dans ses récits étaient ceux qui existaient. On ne pouvait pas imaginer de nouvelles traditions, constructions, façons de vivre.

 

Pour sortir du quotidien trop dur, il restait l'historique, mais là encore, il fallait prendre garde à ce que tous les éléments soient cohérents. Si tel n'était pas le cas, il lui faudrait changer pour rétablir la vérité.

 

Pourtant pour elle, les choses qu'elle inventait présentaient un intérêt. Elle pouvait rajouter un souffle épique à l'aventure, permettre de réfléchir sur une situation différente de celles qu'ils vivaient au quotidien.

 

Malheureusement, elle vivait entourée de personne à l'esprit étroit et avait l'impression que personne ne la comprenait.

 

Tant pis, la jeune fille écrirait sa propre histoire. Une histoire extraordinaire : avec des créatures fantastiques, des monstres puissants, des guerres qui n'étaient même pas réelles, des peuples qui n'avaient jamais foulé cette terre…

 

Bien sûr, il lui faudrait faire un choix, mais elle trouverait. Après tout, elle avait tout le week-end devant elle.

 

 

***

 

 

Le lundi, elle rendit sa rédaction sans répondre aux questions des autres qui voulaient savoir ce qu'elle y relatait. Ça serait son secret. Il n'y aurait que son professeur qui pourrait la lire, ainsi le jugement serait moins difficile à supporter.

 

-Je parie que tu as écrit n'importe quoi, lui souffla Julie.

 

Elle ne répondit rien, mais lui signifia d'un geste que son avis lui était égal. C'était d'ailleurs vrai, la jeune fille savait comment était sa voisine et ne ressentait pas le besoin de son approbation. De toute façon, elles ne resteraient pas fâchées longtemps.

 

Petit à petit, tout le monde oublia la rédaction pour se concentrer sur le travail à faire. Quand vint la récréation, tous avaient d'autres soucis.

 

 

***

 

 

Le lendemain, le professeur leur distribua les rédactions corrigées par ses soins. Il en lut d'abord deux, sûrement celles qui avaient été jugées les meilleures. Ensuite, l'enseignant leur fit part de ce qu'il attendait d'eux.

 

Rien de transcendant, pensa la jeune fille. Évidemment, la sienne n'en faisait pas partie.

 

Une chose la surprit pourtant. On ne lui rendit pas sa copie. A la place, le professeur lui demanda de venir le voir à la fin de l'heure.

 

Julie lui lança un regard effrayé.

 

-Tu crois qu'il va convoquer tes parents ?

 

La jeune fille haussa les épaules. Elle n'en avait pas la moindre idée, mais elle espéra que non. Elle ne tenait vraiment pas à se faire repérer encore une fois.

 

 

***

 

 

La jeune fille s'avança lentement. Elle n'avait qu'une envie : être ailleurs. Pourtant si elle se trouvait dans cette situation, c'était entièrement de sa faute. Il lui fallait assumer les conséquences de son geste.

 

-Monsieur ?

 

-Je t'attendais. Je voulais te parler de ton devoir.

 

Elle s'en doutait.

 

-Il ne ressemble pas vraiment à ceux des autres, je pense que tu en as conscience.

 

Elle hocha la tête.

 

-Je vais avoir une mauvaise note ?

 

-Non. Nous allons discuter ensemble et ensuite, tu me referas un autre devoir, d'accord ?

 

C'était toujours mieux que de voir ses parents convoqués à cause de son comportement.

 

-Tu sais, tu es très spéciale.

 

-Parce que je pense à des choses bizarres ?

 

-Non. Tu fais partie des rares personnes qui arrivent à imaginer des mondes. C'est une grande qualité, même si cela n'en a pas l'air.

 

La jeune fille le regarda sans vraiment comprendre.

 

-Je vais t'expliquer quelque chose. Ce que tu as écrit, c'est de la fantasy.

 

-Ca a un nom ?

 

-Oui, mais peu de gens le connaissent. Je vais t'expliquer : autrefois, beaucoup de gens écrivaient des histoires sur des mondes inconnus, des créatures fantastiques, et des héros qui faisaient rêver les autres par leurs aventures. Seulement, un jour, les humains se sont rendu compte que ce qu'ils croyaient être des êtres imaginaires, étaient réels. A partir de ce moment-là, ils se sont mis en quête de ces personnes et animaux. Lorsqu'ils en trouvaient, ils se mettaient à les harceler. Suite à cela, toutes ces créatures incroyables se sont réunies pour trouver une solution.

 

-Ils l'ont trouvée ?

 

Pour la première fois, la jeune fille était intéressée par une histoire qui sortait de l'ordinaire.

 

-Oui, ils ont tout simplement, effacé la mémoire des humains et ont fait disparaître les histoires. Depuis, les gens que nous connaissons n'imaginent plus rien d'irréel. C'est comme une sorte d'effet secondaire. Mais toi, tu es quelqu'un de spécial. Tu peux discerner ce que d'autres ne peuvent voir.

 

-C'est vrai ?

 

-Oui. C'est pour ça que je me propose de te faire découvrir d'autres mondes. Bien sûr, mieux vaut éviter d'en parler aux non-initiés. Je pense que tu t'en doutes.

 

Elle hocha la tête. Le professeur lui sembla différent soudainement. Est-ce que ses yeux avaient toujours eu ce reflet doré ? Et sa peau, avait-elle toujours été si pâle presque transparente ? L'espace d'un instant, elle perçut quelque chose qu'elle n'avait jamais vu. Qui était réellement son enseignant ?

 

Elle chassa cette idée de son esprit. Pour le moment ce qui l'intéressait c'était la fantasy.

 

La voix de son interlocuteur la tira de ses réflexions.

 

-Bien. Nous en reparlerons. Par contre, tu comprends bien que tu dois refaire ce devoir.

 

-Est-ce que je pourrai les rencontrer un jour ? murmura-t-elle pleine d'espoir.

 

-Je ne sais pas. Ces êtres extraordinaires se cachent. Il est possible que tu en connaisses déjà, mais que tu ne le saches pas. Après, on ne sait jamais de quoi la vie est faite.

 

La jeune fille acquiesça. Elle avait maintenant la certitude que son professeur lui cachait son origine réelle. Cela faisait beaucoup de détails à intégrer pour une seule journée. Mais au moins, elle savait à présent qu'elle n'était pas seule et que la fantasy existait.

 

Son espoir était à présent de pouvoir rencontrer ces êtres surnaturels. Quand ils le voudraient, ils pourraient lui dire. Elle avait tant envie d'en savoir plus sur eux, de comprendre comment ils vivaient, comment ils voyaient les humains. Qui sait ? Peut-être pourrait-elle même voyager et découvrir leur monde.

 

Elle sourit au professeur, avant de partir sans ajouter un mot de plus, malgré son excitation. La jeune fille ne pouvait lui dire qu'elle avait percé à jour son secret. Elle attendrait qu'il lui en parle de lui-même.

 

Ainsi en rentrant chez elle, elle prit une feuille et commença à écrire. Ce qu'elle écrivait n'était pas pour son devoir, non c'était quelque chose de plus grand. Une histoire merveilleuse où elle mettrait tous les événements qu'elle avait envie de lire. Bien sûr, cela ne serait pas facile à faire mais elle gardait espoir. Peut-être pourrait-elle faire découvrir le texte à son professeur ?

 

Il saurait sûrement la guider dans sa quête de la fantasy. En tout cas, elle ferait de son mieux et n'abandonnerait pas. Elle avait un nouvel objectif dans sa vie et s'y tiendrait.

 

Depuis sa naissance, son monde avait été privé de fantasy, maintenant qu'elle l'avait découverte, elle ne laisserait plus personne la lui retirer.

 

 

 

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Fannie
Posté le 04/10/2017
Coucou Nascana,
Ce thème est original : tu réinventes en quelque sorte l’origine de la fantasy.<br /> Au départ, avant de me rendre compte qu’on est dans un monde imaginaire, je me suis demandé si tu t’étais inspirée d’une histoire vécue.<br /> C’est dommage que la jeune fille qui est la protagoniste de ce récit n’ait pas de nom. Son amie Julie pourrait une fois s’adresser à elle en disant son prénom, par exemple.<br /> Charmante histoire, qui pourrait avoir une suite... Non ?
Coquilles et remarques :
La jeune fille relue encore une fois les consignes [relut]
un événement extra-ordinaire [extraordinaire ; le mot revient plusieurs fois]
Ca serait historique ? / Ca a un nom ? [Ça ; il faut aussi mettre la cédille aux « c » majuscules]
-Mais comment tu vas la décrire, si elle n'existe pas. [Il faut un point d’interrogation.]
-Si tu veux écrire des bêtises libre à toi, reprit Julie. [Il faudrait une virgule après « bêtises ».]
Mais ne vient pas te plaindre si tu as une mauvaise note [ne viens]
et si elle c'était bien renseignée [elle s'était]
Chacun de ses élans de créativité se voyaient ainsi réprimé [se voyait ; on accorde sur « chacun »]
Les seules créatures ayant dominées leur planète [dominé]
Oui, mais peu de gens le connaisse [connaissent]
autrefois, beaucoup de gens qui écrivaient des histoires sur des mondes inconnus, des créatures fantastiques, et des héros qui faisaient rêver les autres par leurs aventures [Il faudrait enlever le « qui » que j’ai mis en gras.]
ces créatures incroyables se sont réunies ensemble [« réunies ensemble » est un pléonasme ; « se sont réunies » suffit.]
-Ils l'ont trouvé ? [trouvée ; la solution]
Depuis les gens que nous connaissons, n'imagine plus rien d'irréel. [n'imaginent / Il faudrait ajouter une virgule après « depuis » et enlever celle qui suit « connaissons ».]
Est-ce que je pourrais les rencontrer un jour ? [pourrai]
Cela faisait beaucoup de détail à intégrer [détails]
Son espoir était à présent de pouvoir rencontrer ses êtres surnaturels [ces ; ceux-là, pas les siens]
Qui sait peut-être pourrait-elle même voyager et découvrir leur monde ? [Ponctuation. Je propose : « Qui sait ? Peut-être pourrait-elle même voyager et découvrir leur monde. » Ou « Qui sait, peut-être pourrait-elle même voyager et découvrir leur monde ? »]
Ce qu'elle écrivait ce n'était pas pour son devoir [J’enlèverais le « ce » que j’ai mis en gras.]
maintenant qu'elle l'avait découvert, elle ne laisserait plus personne la lui retirer [découverte]
Nascana
Posté le 04/10/2017
Merci beaucoup pour ton message très détaillé. J'ai corrigé le texte grâce à toi.
En fait, je n'ai pas mis de nom volontairement, pour que le lecteur puisse s'identifier au personnage. 
J'ai pas vraiment d'idée de suite. La fin est assez ouverte et du coup, je pense que chacun peut se faire son idée.
Merci pour ton commentaire et ta lecture. 
Nascana
Cliene
Posté le 10/07/2017
Quel thème intéressant ! Tu en as fait quelque chose de très sympathique en tous les cas. J'avoue avoir été un peu déroutée au début de l'histoire et ne pas comprendre pourquoi cette jeune fille ne pouvait pas écrire ce qu'elle voulait... On comprend bien sûr en allant jusqu'au bout du texte.
Quelques petits trucs remarqués au fur et à mesure :
- C'est surtout n'importe quoi ! Comment veux-tu avec une bonne note avec ça ?!:"comment veux-tu avoir"<br />
- Sinon les autres au mieux, se moquaient, au pire, vous prenez pour une folle. : "vous prenaient"  
- Elle se souvenait son enfance,: "se souvenait de son enfance"<br />
- Le lundi, elle rendit sa rédaction sans répondre aux questions des autres qui voulaient savoir ce qu'elle y relater. : "ce qu'elle y relatait"<br />
- Je pari que tu as écrit n'importe quoi, lui souffla Julie : "je parie"<br />
- Il en lu d'abord deux, : "il en lut" ; tu utilises "d'abord" mais on ne voit pas apparaître"ensuite" qui complète l'utilisation du premier
- Elle n'avait qu'une envie être ailleurs. :"elle n'avait qu'une envie : être ailleurs."<br />
- Je vais t'expliquer : autrefois, il y a beaucoup de gens qui écrivaient des histoires sur des mondes inconnus, des créatures fantastiques, et des héros qui faisaient rêver les autres par leurs aventures. : "autrefois, beaucoup de gens"
- Seulement, un jour, les humains se sont rendu compte que ce qu'ils croyaient être des êtres imaginaires, étaient réelles. : "réels"<br />
- Suite à cela, toutes ces créatures incroyables se sont réunit ensemble pour trouver une solution. : "se sont réunies"
- Mais toi, tu es quelqu'un de spéciale. : "spécial"
- Tu peux voir ce que les autres ne peuvent discerner. : l'inverse sonnerait peut-être mieux : "tu peux discerner ce que les autres ne peuvent voir"
- C'est pour ça que je me propose de te faire découvrir des autres mondes. : "d'autres mondes"<br />
- Bien sûr, il vaut mieux éviter d'en parler aux non-initiés. Je pense que tu t'en doutais.: "mieux vaut éviter" ; "je pense que tu t'en doutes" ou bien "bien sûr, tu t'en doutes, mieux vaut éviter d'en parler aux non-initiés<br />
- sir pâle presque transparente ? "si"<br />
- L'espace d'un instant, elle perçue quelque chose qu'elle n'avait jamais vu. : "perçut"<br />
- murmura-t-elle avec plein d'espoir.: "pleine d'espoir"<br />
mais que tu ne le sache pas. : "saches"<br />
Après, on ne sait jamais de quoi est faite la vie : "la vie est faite"
 
- elle ne laisserait plus personne lui retirer.: "la lui retirer"
Ce ne sont que des suggestions, à toi de voir ce que tu veux en faire !
 
Nascana
Posté le 10/07/2017
Merci pour ton commentaire. Je suis contente de ne pas d'avoir trop perdu.
Merci pour la correction. 
Nascana
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