Chapitre 1

Maman aurait voulu m’accompagner, mais je réussis à la convaincre que j’étais assez grande pour me rendre seule chez le médecin. Je me sentais plutôt bien, ce matin-là, et je partis suffisamment tôt pour être sûre de ne pas arriver en retard. Je passai devant le verger de monsieur Dubois, avant de prendre le raccourci à travers les champs. J’étais déjà venue plusieurs fois avec maman, alors je reconnus facilement la grande propriété du docteur Vincent. Apparemment, il ne travaillait plus ici, et un autre médecin plus jeune l’avait remplacé. Je m’arrêtai un moment pour observer le jardin sur le côté de la maison. Il y poussait toutes sortes de plantes, mais je n’en connaissais aucune qui semblait comestible. Je franchis le petit portail en fer forgé pour rejoindre la porte d’entrée et j’actionnai la sonnette.

Mon cœur se mit à battre de plus en plus vite pendant que j’attendais que quelqu’un vienne m’ouvrir. Maman disait que j’étais malade, et je sentais bien que quelque chose n’allait pas dans mon corps, mais j’avais aussi peur que le docteur Reinhart découvre une maladie incurable. Et même s’il était possible de me soigner, je craignais que le traitement me dérange plus que mes symptômes.

J’étais encore perdue dans mes pensées quand la porte s’ouvrit brusquement. Je crus d’abord que l’homme qui se tenait devant moi était un apprenti du médecin, ou même son jardinier, jusqu’à ce qu’il se présente.

« Docteur Amaël Reinhart. Vous avez rendez-vous ?

- Bonjour docteur… Héloïse d’Ambéliard, c’est ma mère qui a planifié cette consultation pour moi. »

Il s’excusa de m’avoir fait attendre et m’invita à entrer. Il paraissait très jeune pour un médecin ; j’avais l’impression qu’il avait seulement quelques années de plus que moi. Une fois dans la maison, je remarquai qu’elle était bien plus propre et rangée que lors de mes dernières visites. Le professeur Vincent avait tendance à laisser traîner des choses un peu partout, ce que je n’appréciais pas du tout. Je suivis le docteur Reinhart jusqu’au cabinet, où il me proposa de m’asseoir en face de lui. Il sortit un carnet et commença à prendre des notes en me posant des questions.

« Est-ce que vous avez mal quelque part ?

- Non, aucune douleur particulière.

- Très bien. Est-ce que vous êtes souvent triste ?

- Parfois, pas plus que n’importe qui je suppose. »

Il hocha la tête avant de poursuivre.

« Est-ce que vous avez parfois l’impression de perdre le contrôle de votre corps ?

- Perdre le contrôle ? Je ne sais pas… Il m’arrive d’agir de manière impulsive, comme si j’étais poussée par une force extérieure.

- Je vois. Et dans ces moments-là, est-ce que vous ressentez quelque chose de particulier ?

- Hm… Mon cœur bat plus vite, et j’ai chaud. C’est difficile à décrire, comme une tension à l’intérieur de mon corps. »

Je regardais le docteur Reinhart pendant qu’il prenait des notes. Ses gestes étaient à la fois énergiques et habiles. Je me surpris alors à penser qu’il était plutôt attirant, avant de refouler cette pensée inappropriée.

« Pourriez-vous estimer à quelle fréquence vous ressentez ces symptômes ?

- C’est assez variable… Peut-être une fois par semaine, parfois plus souvent. »

Il mordit sa lèvre en soulignant à plusieurs reprises quelque chose qu’il venait d’écrire sur son carnet. Le silence qui suivit m’inquiéta ; je commençai à appréhender l’annonce d’une mauvaise nouvelle. Le docteur reprit enfin la parole.

« Je vais devoir vous poser une question délicate. Quelle que soit votre réponse, soyez assurée que je ne vais pas vous juger. Mon objectif est de vous aider. »

C’était le genre de phrases que les médecins prononcent pour rassurer leurs patients, mais qui ont exactement l’effet opposé. Je me contentai de hocher nerveusement la tête. Je commençais à avoir du mal à respirer.

« Est-ce que vous pratiquez la masturbation ? »

Je n’étais pas sûre d’avoir entendu correctement sa question. Cela n’avait aucun sens. Quel pouvait être le lien entre la masturbation et mes symptômes ? Je restai immobile et silencieuse pendant quelques secondes, tout en le regardant avec des yeux écarquillés.

« Non, évidemment que non. Maman a pris soin de m’avertir des effets néfastes de cette pratique impure. Rien que le fait d’y penser me répugne. »

Le docteur Reinhart eut l’air satisfait de ma réponse, ce qui me rassura un peu.

« Mademoiselle d’Ambéliard, vous serez peut-être étonnée d’apprendre qu’il existe en réalité deux types de masturbation, qu’il convient de distinguer. Le manus polluens est effectivement un péché, contre lequel votre mère vous a manifestement bien protégée. En revanche, ce que l’on nomme manus medicans est une pratique médicale destinée à traiter toute une variété de maux. »

Effectivement, j’ignorais totalement cette distinction. Cependant, je ne voyais toujours pas le rapport avec ma situation.

« Excusez-moi mais… je ne suis pas sûre de comprendre où vous voulez en venir.

- Ne vous inquiétez pas, ce ne sont pour l’instant que des hypothèses. Il faudrait que je vous examine avant d’envisager un quelconque traitement. »

J’acquiesçai avant de me redresser. Le professeur Vincent m’avait déjà examinée à plusieurs reprises, et je savais donc à quoi m’attendre dans un examen de routine. Le docteur Reinhart se leva également, puis il m’indiqua la table matelassée juste derrière moi.

« Dois-je ôter mes vêtements ?

- Il va effectivement falloir retirer votre robe, je vais commencer par examiner votre pouls et votre température. »

Je desserrai délicatement le lacet frontal de ma robe de soie bleue. Cela me prit plus de temps que je ne le pensais, et je regrettai quelque peu mon choix de vêtements pour cette consultation. Le docteur me regardait parfois, mais il n’avait pas l’air impatient. Lorsque j’eus terminé, je retirai entièrement la robe et la déposai sur une chaise. Je déboutonnai ensuite la chemise de lin que je portais en dessous, avant de l’ôter et de la placer sur le dossier de la même chaise. Bien que je n’étais pas particulièrement pudique, il était toujours intimidant de se retrouver presque entièrement nue devant un inconnu.

Le docteur Reinhart me demanda d’abord de m’asseoir sur la table. Il se plaça devant moi et tendit sa main droite vers mon cou. J’étais crispée car j’avais un peu froid. Le premier contact de ses doigts sur ma peau me fit légèrement sursauter, ce dont il s’excusa. Il appuya légèrement sur mon cou pendant quelques secondes, puis il m’indiqua que mon pouls était tout à fait normal. Il mesura ensuite ma température en plusieurs emplacements, avec des instruments que je n’avais encore jamais vus auparavant. Ce jeune médecin m’impressionnait beaucoup, ses gestes étaient toujours si habiles et professionnels. Alors qu'il palpait mon poignet gauche, il brisa le silence qui régnait depuis trop longtemps.

« C’est étrange, votre pouls est plus rapide que tout à l’heure. »

Je levai les yeux vers lui, interloquée. Mon regard se figea dans le sien, et ma respiration accéléra soudainement. Je sentais effectivement mon cœur battre de plus en plus vite. Avais-je fait quelque chose de mal ? Avait-il découvert la source de mes maux ? Mon poignet était encore prisonnier de sa main, et une chaleur envahissante se propageait dans mon corps à partir de ce point de contact. Je retirai brusquement mon bras, qui vint instinctivement se placer devant ma poitrine. Je cessai de regarder le docteur Reinhart, mais ma respiration restait désagréablement incontrôlable. Il recula afin de me laisser reprendre mes esprits.

« Je suis sincèrement désolé, j’espère que je ne vous ai pas fait mal ? »

J’avalai péniblement ma salive avant de lui répondre.

« Non… vous ne m’avez pas fait mal. Je… je ne sais pas ce qui m’a pris. »

Il fronça les sourcils avant de reprendre son carnet pour y noter quelque chose. Je me doutais bien que ma réaction était liée à ma condition, mais j’ignorais si je devais interpréter son expression de manière positive ou non. Il reposa son carnet et s’assit à son bureau pendant que je me rhabillais.

« Mademoiselle d’Ambéliard, je pense que je dispose de suffisamment d’informations pour vous proposer un traitement. Quelques séances devraient suffire. Nous pourrions convenir d’un rendez-vous hebdomadaire, tous les jeudis matins par exemple. »

Même si je ne comprenais pas encore très bien ses méthodes, il s’agissait d’une excellente nouvelle. Le docteur Reinhart allait pouvoir me soigner en quelques semaines seulement. J’acceptai donc sa proposition de rendez-vous hebdomadaire et le remerciai chaleureusement.

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espritdepapier
Posté le 10/04/2023
Hey !
Un premier chapitre riche en informations !
Heloïse a l'air d'avoir du caractère, au moins autant que sa mère, que l'on devine en filigrane sous ses actions.
Le docteur est encore très mystérieux, efficace et jeune, mais on ne sait rien de lui... (personnellement, j'aime les descriptions pour me faire une image mentale des personnages, mais ça dépend vraiment des gens ^^)
Quelques points qui m'ont fait réagir :
- Une jeune femme, supposément malade, de bonne famille, qui se rend SEULE et à pied chez son médecin ? C'est très inconvenant... Pas de chaperon ? (surtout s'il la fait se déshabiller, je ne sais pas à quelle période tu pose ton histoire, mais faire retirer la robe d'une demoiselle seul avec elle... ça me semble si osé :o) (oui, je suis prude quand je lis des romans historiques, cachez cette cheville que je ne saurai voir madame :p)(c'est faux, je suis pas prude, mais j'imagine le Scan-Dale si une jeune femme était retrouvée à moitié nue seule avec un homme ^^)

- Un médecin qui n'a pas de personnel ? personne qui ouvre la porte ? c'est peu commun (mais c'est peut être le but aussi, surtout s'il vient de s'installer ^^)

Je doute un peu de ce bon monsieur et de ses intentions, surtout après les questions qu'il a posé... ^-^
Ce qui ne fait qu'attiser ma curiosité ♥-♥
*Je veux bien la suiiiite si elle existe, je suis curieuse d'en savoir plus*
N'hésite pas si tu veux discuter de ces points plus en détail, ou si tu veux me dire de me mêler de mes jupons plutôt que de regarder sous ceux des autres <3
Des bisous courtois ♥
Manon
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