Chaque soir, le soleil plongeait de l'autre côté du monde, vers de sombres abîmes peuplés de cauchemars...
Murkheï marchait dans le halo de sa lanterne, qui faisait surgir des ténèbres les pierres blanches balisant le chemin. La masse carrée d'une borne attira son regard : approchant la lumière de sa surface, il distingua la gravure d'un navire, toutes voiles dehors. Un sourire anima ses traits juvéniles : il n'était plus très loin à présent.
Peu de voyageurs se hasardaient sur les routes dans ces heures d'obscurité totale, percée ici et là par l'éclat d'un fanal, d'une fenêtre mal occultée, d'un feu de camp rougeoyant, comme des étoiles piquant l'immensité d'un ciel de nuit. Mais Murkheï ne craignait pas ce monde aveuglé : il avançait, confiant, vers son but.
Bientôt, le chemin de terre déboucha sur une route plus large, pavée de larges dalles disjointes et creusée d'ornières. Le bruit du ressac contre la jetée lui confirma qu'il était enfin arrivé. Sous le flambeau tremblotant du phare, le port apparut, lançant ses pontons dans une mer d'encre.
Posant son paquetage, Murkheï s'assit, les coudes appuyés sur ses genoux, fixant un horizon invisible. Une flottille de navires aux voiles repliés, comme des oiseaux endormis, attendait que le monde s'éclaire pour prendre la mer. Un doux tintement de gréements accompagnait le clapotis des flots. La brise déposait sur ses lèvres un goût de sel. Le Lever ne tarderait plus : il pourrait alors tenter d'embarquer sur un bateau de pêche ou un vaisseau marchand.
Enfin, deux orbes majestueux semblèrent s'élever des eaux, comme s'ils y avaient pris naissance. Leur lumière pâle inonda le port, teintant les vagues d'argent, dévoilant les falaises blanches qui entouraient la crique. De longs chapelets d'étoiles apparurent dans leur sillage comme des traînes scintillantes. Murkheï contempla, émerveillé, le spectacle du lever des deux lunes, éclaboussant de lumière le monde endeuillé.
Chaque soir, le soleil plongeait de l'autre côté du monde, dans un périlleux voyage dont il sortait toujours triomphant, et reparaissait dans toute sa gloire aux premières heures du matin.
Malgré ses membres engourdis par sa longue immobilité, l'adolescent se leva d'un bond en reconnaissant le symbole qu'arborait la proue des vaisseaux, dévoilé par la clarté nouvelle : un soleil en majesté. Ce n'était ni des marchands ni des pêcheurs qui avaient fait relâche dans ce petit port isolé, mais des marins audacieux lancés dans un périlleux voyage, dont peu auraient la chance de revenir.
Chaque soir, le soleil plongeait de l'autre côté du monde, pour reparaître le lendemain... Mais un jour, le soleil n'avait pas reparu.
Et depuis, les nuits illuminées par deux lunes et d'innombrables étoiles étaient plus claires que les jours noyés d'obscurité totale.
Dans quelques heures, les Chasseurs d'Horizon feraient voile vers le bout du monde, à la recherche de l'astre qui les avait désertés, au temps des aïeux de leurs aïeux.
Murkheï releva le menton avec détermination : il partirait, lui aussi, à la recherche du soleil disparu... Il découvrirait cette légendaire lumière d'or qu'il n'avait jamais connu. Chargeant sa besace sur son épaule, il se dirigea vers les pontons.
Je suis admirative de la manière dont tu parviens à nous introduire à un petit gars qui n'a pas froid aux yeux et à un univers aussi fascinant, tout en laissant planer une atmosphère d'attente si délectable... et le tout, dans un texte si court. Vraiment, bravo !
Le soleil a disparu et ils partent le chercher. Mais où peut-il être passé ? Y a de quoi s'interroger sur ce monde et ses habitants ?
Deux lunes à la place du soleil, avant il y avait une seule lune ?
J'aime beaucoup.
Nascana
Il y a toujours eu deux lunes, et il y en a toujours au moins une qui éclaire assez pour que le monde ait au moins un petit peu de lumière. Je sais, c'est scientifiquement impossible, mais c'est un monde magique ! ^^
Tu n'as pas ton pareil pour décrire de manière aussi poétique des mondes étranges et lointains. L'idée d'un monde avec le soleil qui est parti est superbe. Je me trompe ou c'est en rapport avec une de tes ws ?
J'aime <3
Ce n'est pas en rapport avec l'une des mes webséries en cours, mais c'est un monde sur lequel je réfléchis actuellement : je trouvais intéressant de poser un univers où les nuits étaient plus claires de les jours, et d'imaginer tout ce que ça entraînait dans la vie des gens. L'histoire se passe des années plus tard, alors que Murkheï est devenu capitaine. Même si au final je n'écris pas cette histoire, au moins il en restera un petit quelque chose ! :)
J'ai préféré le début où l'on ne sait encore rien de rien, peut-être parce que ça entretient cette aura de mystère, avec la crique sous la lumière nocturne et ces bateaux au loin, et ce perso qui a l'air de chercher ou de vouloir quelque-chose. Ca donnait envie de s'y rendre fissa et de s'y balader avec une lanterne en poursuivant quelque but titanesque (hop, j'y vais)
^^
Merci beaucoup de ta lecture, Jamreo ! :)
T'ai-je déjà dit que j'adorais ta plume toute en poésie ? (oui à chaque fois que je lis un de tes textes je crois, mais c'est pas grave je vais me répéter). J'aime beaucoup, tu n'as pas ton pareil pour brosser un monde complet en quelques mots à peine et c'est toujours un plaisir de découvrir tes textes qui stimulent mon imaginaire.
Bref, très bon texte.
A peluche
Sushi^^
En effet, j'aime bien créer des mondes, c'est très ludique de composer des univers avec des lois différentes du nôtre... et d'imaginer les aventures qui pourraient s'y dérouler ! :) Je suis touchée que ça te plaise ! ^^
c'est très beau. J'aime ces ambiances de port tranquille et ces bateaux majestueux dont en sent la force à travers le clapotis de l'eau et le battement du gréement. Tu fais ressortir tout ça avec simplicité et des mots bien choisis.
Biz Vef'
Mais tu sais, les descriptions, elles racontent leur propre histoire. Elles font naître des images qui évoquent tout un univers. Tu devrais parfois essayer de leur donner leur chance ;).