Une foule immense s'était assemblée au pied de la Tour des Oracles ; hommes, femmes, enfants, vieillards, chiens, chèvres... Des heures durant, ils avaient attendu ; la boule ambrée d'un soleil vieillissant s'était élevée dans les cieux, s'y accrochant désespérément avant de finalement lâcher prise et retomber vers les montagnes desséchées de la faille de Katalup.
La Tour, dans laquelle de profondes fissures se ramifiaient un peu plus chaque jour, ne tenait encore debout que par la volonté du Dixième Oracle. Les neuf autres s'étaient éteints, comme des flammes soufflées par le vent. Le dernier survivant, plus jeune d'une décennie, n'en était pas moins un frêle vieillard, pareil à une feuille desséchée par l'automne. Caché derrière les moucharabiehs, il hésitait à se montrer ; quand il se trouverait sous les yeux de son peuple, il serait contraint de lui annoncer la terrible vérité.
Les signes étaient apparu voilà déjà longtemps, quand la poussière avait commencé à se déposer sur les bâtiments de pierre blanche de Katal-Mathé ; quand plus aucun futur Oracle n'avait été découvert parmi les enfants de la cité ; quand les caravanes avaient cessé d'arriver aux portes de la ville... Mais à présent, il en avait la certitude absolue : Katal-Mathé sombrait dans le néant.
Il se terrait dans les ombres de la tour, adressant une prière muette à ses dieux indifférents, quand il sentit soudain une force vivifiante affluer dans ses membres. L'avaient-ils enfin entendu ? Revenaient-ils sur leur terrible décision d’annihiler un peuple innocent ? Un sourire étira ses lèvres parcheminées. Il se dirigea vers les marches qui menaient au belvédère, ragaillardi à la pensée de transmettre cet espoir aux siens...
Il gravissait les premières marches d'un pas léger, quand ses jambes se dérobèrent sous lui. Il tomba à genoux sur les pierres disjointes, privé de forces. Le Dixième Oracle de la tour rendit son dernier souffle, scellant le destin de Katal-Mahé.
* * *
J'avais retrouvé cette feuille par hasard, en mettant de l'ordre au fond d'un tiroir. Je ne pus réprimer un sourire à la lecture des lignes à la mine de plomb sur une feuille arrachée d'un bloc, plus de vingt ans plus tôt. La cité de Katal-Mahé, la Tour des Oracles... D'où avais-je bien pu tirer tout cela ?
J'avais autrefois décidé de me lancer dans la rédaction d'un roman fleuve situé dans cet univers. Rattrapé par les tracas du quotidien, accaparé par d'autres passions, j'y avais renoncé sans vraiment le réaliser. Tandis que je contemplais ce vieux synopsis, je fus soudain saisi par l'envie de m'y replonger, corps et âme.
Non, je devais me rendre à l'évidence : je n'avais rien d'un écrivain. Je ne possédais ni le talent, ni la constance nécessaire pour aller au bout d'une œuvre d'une telle ampleur. De toute façon, quel éditeur en voudrait ?
Haussant les épaules, je chiffonnai le papier jauni et l'envoyai au fond de la corbeille. J'éprouvais bien quelques regrets, mais il fallait que je passe à autre chose... Après tout, ce n'était pas la fin du monde !
Sniff !
Bien vu, Beatrix, c'est un joli drabble en l'occurence très bien écrit. Pas besoin d'en savoir beaucoup pour comprendre et se représenter l'univers. Peut-être même est-ce un univers à toi que tu as développé par ailleurs... non ? En tous cas, j'ai lu ce petit texte comme on regarde un extrait de film, complètement fasciné avec l'envie de s'enfoncer dans le fauteuil pour en attendre encore plus. Bravo pour ton talent de conteuse !
Biz Vef'
Katal-Mahé a été inventé pour l'occasion, mais c'est tout à fait le genre de monde sur lequel j'écrivais il y a vingt ans. Et l'écrivain lambda aurait pu être moi si je n'étais pas aussi obstinée !!! ^^
Ca me rapelle que les miens ont besoins de moi. Snif ! Ils attendront.
Ton idée est original et pour moi, c'est un coup de coeur.
Nascana
Merci beaucoup, Nascana ! :)
C'est le premier texte que je lis de toi et pour te rassurer je peux d'ores et déjà t'affirmer que tu écris aussi bien que tous les autres. ^^
Ensuite, ton texte. Que dire si ce n'est bien joué. En lisant les premières lignes et soyons honnête toute la première partie, je me suis dit, bof, bien écrit y a pas à tortiller, mais légèrement trop classique et là ... la deuxième partie: le brouillon... ma foi j'ai adoré. Ca me parle ce passage tu peux pas savoir à quel point et dans un sens c'est aussi vraiment très juste... le papier dans la corbeille: la fin du monde... mouais, y a rien d'autre à en dire que ca me parle !!!
A peluche
Sushi ^^
(Rhaaaaaa mais comment je vais faire moi pour choisir un texte dans tout ça c'est carrément impossible, ça va se finir à pile ou face c't histoire de fin du monde ToT)
Et quant à choisir un texte parmi tous ceux qui ont été proposés... mission impossible !!!!
Ca m'a juste tellement rappelé mes propres débuts/fins/milieux d'histoires qui trainent toujours partout et qui sont pour ainsi dire condamnées à ne jamais être écrites.
Et une fin du monde de plus x)
Merci Sej ! :)
J'ai aimé le contraste entre le destin tragique de la cité imaginaire et la désinvolture de son auteur. Comme quoi, des choses très différentes peuvent survenir entre sa vraie vie et ses petits mondes intérieurs, c'est pourtant rare qu'on fasse ce parallèle (et ça pourrait être comique de relever plus souvent le nez de ses grandes batailles pour voir qu'on est juste attablé à un bureau, en slip et chaussettes avec une tasse de thé xD).
Un très bon moment de lecture, vraiment !
Merci pour ta participation !
Merci pour tous ces compliments, je ne sais plus où me mettre !!! ^^ Ce que tu écris m'a bien amusée : il m'arrive très souvent de me plonger par l'imagination dans une scène intense dans les endroits les plus improblables...
Biiiz à toute !
Spilou
Non, c'est original. Mais l'idée m'est venue en pensant aux centaines de synopsis que j'ai écris dans ma jeunesse - je ne me souviens même pas du tiers du quart ! Après, entre métaphore et réalité, c'est un peu au choix de chacun. ^^
Bref un texte court mais très parlant, je crois que je l'aime particulièrement! Surtout pour les descriptions du début, avec la tour, la poussière volante, le soleil qui se lève ... une ambiance très visuelle comme je les aime.
Eh oui les écrivains sont souvent trop sévères envers eux-mêmes ;-)
Merci beaucoup, Jamreo ! :)
Mais à comparer au autre texte de toi que je viens de lire, celui-ci est passable. Peut être dû à la multitude de descriptions. Mais cela n'empêche pas que tu l'as bien écrit.
J'espère ne pas t'avoir véxé par mon commentaire.
Merci de ta lecture !