Tous les yeux sont fixés sur moi, braises dans la pénombre. Captive de ce cône de lumière, je les vois à peine. Ils attendent que je me mette à nu, couche à couche, feuille à feuille.
Le premier gant est doré, un peu décousu à l'index. Il tombe mollement à mes pieds.
Le soleil se déverse par la fenêtre du préau, emprisonnant des particules de poussière dorée. C'est le premier jour de classe. Je demeure en retrait, étrangère à cette foule qui scelle ses retrouvailles. Il se tient à l'écart, étranger Lui aussi, mais je n'ose L'aborder.
Le second gant, rouge-brun, flotte un moment avant de rejoindre son compagnon.
Le sac de livres pèse lourd sur mes épaules, l'épaisse couche de feuilles entrave mes pas. Il marche devant moi, sous les tourbillons fauves, parka verte et cheveux couleur d'automne.
Mes mains se portent vers le crochet de ma jupe fendue, qui résiste un peu sous mes doigts. L'étoffe légère, moirée d'argent, glisse le long de mes jambes pour se répandre au sol.
Il pleut. La salle de classe est plongée dans l'ombre. Mon esprit engourdi ne comprend plus les paroles du professeur. Je Le regarde à la dérobée. Se sentant observé, Il se tourne vers moi... Je baisse aussitôt les yeux vers ma feuille, les joues brûlantes.
Mes bras se portent dans mon dos ; je tente de prêter un peu de grâce à ce geste inconfortable : les pressions cèdent aisément et le caraco d'un gris soyeux atterrit près de la jupe.
Un froid mortel embrase l'air, dévore mes poumons. Je glisse sur le sol gelé, quand une main me retient. Je lève la tête et rencontre Ses yeux brûlants. Mes doigts gantés de laine se referment sur les Siens... Je ne veux plus les lâcher.
Je replie lentement une jambe pour ôter une chaussure pailletée, d'un blanc glacé. Après la première, la deuxième. Je les envoie auprès de la pile d'étoffe soyeuse.
Je serre entre mes mains un mug brûlant ; par la fenêtre, les flocons tourbillonnent. De l'autre côté de la table, Il me sourit. Quand la neige cessera de tomber, je devrai partir... Je souhaite qu'elle ne s'arrête jamais.
Il ne reste que ma guêpière, fermée par un cordon que je fais coulisser à travers les œillets, avec des gestes un peu malhabiles. Enfin, l'enveloppe baleinée, d'un vert tendre, libère mon corps...
Le lit est profond, comme un océan. Un oiseau chante au dehors. Je respire Son odeur, qui se mêle à celle des draps, musquée et florale. Je me fonds dans sa douce chaleur...
Ma toute dernière pièce de vêtement est rouge. Couleur du feu, ou du sang, peut-être. Je la fais lentement glisser le long de mes jambes avant de la lâcher sur le tas dépareillé de mes habits de soirée.
C'est le dernier jour d'école ; la chaleur est implacable. Je me tiens seule sous le préau. Il part sans un regard. Je me sens vulnérable, comme nue sous le regard des autres. Dépouillée de mes plus beaux souvenirs...
...Nue, aussi nue qu'au jour de ma naissance, le corps et l'âme exposés au grand jour.
A vrai dire quelle importance. Ce qui compte c'est la poésie des temps. <br />
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Bravo Béatrix
Beatrix, tu m'étonnes chaque fois que je lis un de tes drabbles.
Est-ce la petite fille qui un jour, une fois grande, se trouve à faire un streaptease ? Deux époques, en tous cas, deux instants, deux situation radicalement différentes et pourtant c'est pour se trouver dépouillée d'une partie de soi-même, laissé en souvenir. Joli parallèle.
Bravo, c'est excellent.
Biz Vef'
En fait, je voyais plutôt le streep-tease comme métaphorique, mais je pense que chacun y apporte ce qu'il veut. Dans mon esprit, c'est plus une lycéenne qu'une petite fille, mais sa relative jeunesse peut expliquer l'impact que cette histoire malheureuse peut avoir sur elle.
Je suis contente que tu aies aimé, d'autant que je doutais énorémemnt de ce texte ! ^^
J'ai bien aimé la description de cette femme axée sur les couleurs des quatre saisons. Son passé en italique intrigue. C'était très poétique !
Enjoy !
Spilou
La symbolique est superbe dans ce drabble. Les couleurs qui font référence aux saisons, les saisons qui apportent des souvenirs, les souvenirs qui font revenir aux vêtements... La construction de ce drabble est très réussie. Ce ne sont que des bribes de souvenirs çà et là, mais on voit vraiment une image de former, se colorer...
J'aime <3
Quand je pense que je doutais totalement de ce texte... comme quoi... :)
Dans mon idée, ce sont plutôt de grands ados. Et pour la fin... à part le fait qu'elle se soit retrouvée seule (les mecs sont comme ça, parfois), et qu'elle se retrouve émotionnellement à nu... il n'y a pas vraiment plus, je pense.
En tout cas, je suis contente que tu ais aimé ! ^^
Et différent de ce que j'ai déjà lu de toi, ce qui me permet de découvrir un autre aspect de ta plume. Il y a la femme qui se dépouille (symboliquement ?) de ses habits et chaque couleur apporte un souvenir heureux/douloureux lié à une saison printemps, automne, hiver, été. C'est délicieusement fluide et coloré, très riche en émotions et en sensations, et c'est toute une histoire que tu parviens à nous raconter en si peu de mots. J'ADORE.
Par contre, ça fait beaucoup de couleurs différentes pour ses vêtements. Est-ce que c'est pour que chaque couleur aillent avec un souvenir ?
Nascana
Merci de ton commentaire. :)
J'ai beaucoup apprécié le contraste avec l'effeuillement de la personne. C'est très original et très bien écrit.
Je n'ai aucun reproche à faire bravo.