L'Hiver règne désormais sur la Vallée.
Le vieil homme qui endormait sereinement le monde sous une blanche couverture a été détrôné par un monstre impitoyable. Un Vampire.
Drapé dans son manteau de glace, l'Hiver ne se nourrit pas de la chaleur vibrante de la vie : il se repaît des couleurs du monde. Il vole le bleu du ciel, le changeant en néant blanc et cotonneux. Il se délecte du brun et du vert des arbres, ne laissant derrière lui que des squelettes racornis. Même les grands sapins ployant sous la neige deviennent presque noirs. La nature entière oublie la chaleur, la douceur, la fraîcheur des teintes innombrables qui paraient le monde avant l'avènement de l'Hiver.
Des jours durant, Robin a fui les sbires de l'Hiver, emportant avec lui les derniers vestiges de couleur vers le cœur de la Vallée, pour que ces teintes vives éveillent la nature engourdie : une feuille, un pétale, une plume, un caillou poli par l'eau vive... Vert, orange, bleu, jaune...
Mais les serviteurs de bise et de givre du Vampire l'ont rattrapé, agrippé de leurs serres de glace, dépouillé, laissé pour mort. Ses vêtements ne sont plus que des hardes grisâtres. Le froid a décoloré sa peau, noirci ses lèvres, poudré ses cheveux sombres de blanc. Il titube le long des congères, vers la clairière secrète où bat le cœur de la Vallée.
Là où la rivière murmurait sous les épaisses frondaisons, se dresse à présent une cathédrale de glace. La cascade s'est figée entre les rochers épars ; seul le vent chante sa solitude. La présence envoûtante qui saisissait le cœur de Robin dès qu'il entrait dans ce sanctuaire s'est endormie - peut-être à jamais.
Brisé par son échec, il se laisse tomber sur le sol gelé : il ne mérite pas de vivre. Faisant appel à ses dernières bribes de détermination, il tire sa dague et l'appuie contre sa gorge... La lame brise la peau : un filet de sang s'échappe de l'entaille, se repend au sol.
Rouge.
Il ferme les yeux, conduit la lame plus profondément dans sa chair. Bientôt, le rouge s'échappe à flots de son corps presque roide. Chaque goutte qui tombe sur la neige est une parcelle de couleur qui ranime le cœur de la Vallée. Sa conscience vacillante perçoit son frémissement léger, l'eau qui coule sous la glace, le bruit ténu des herbes qui se défroissent sous la neige...
Tandis que sa vie s'écoule et s'enfuit, la clairière sacrée s'éveille de son lourd sommeil. Robin laisse ses paupières recouvrir son regard et l'emporter dans la douce pénombre du repos. Il a finalement trompé les serviteurs de l'Hiver.
Quand Robin rouvre les yeux, une éternité plus tard, il est blotti au milieu du feuillage qui bruisse autour de lui, en contrepoint du chant de l'eau vive. Les dernières bribes de sa vie ont été déposées dans un corps menu, couvert de plumes brun-gris, de plumes rouges aussi. Un petit oiseau à la gorge ensanglantée, une parcelle de couleur qui saura toujours ranimer la Vallée, quels que soient les efforts du Vampire et de ses sbires pour la dépouiller.
Je suis toujours autant sous le charme de tes textes, poétique et cruel est l'hiver. Mais l'hiver est ainsi insaisissable et impitoyable, et même si sous les assauts du printemps il devra céder, il a pris son tribu.
Enfin tu as une plume superbe et je te tire mon chapeau pour ce drabble très bon encore une fois
A peluche
Shao^^
(Allez, Robin ne meurt pas vraiment : j'ai du mal à faire mourir les personnages, de toute façon ! ^^)
c'était bien écrit !
Enjoy !
Spilou
Merci pour le commentaire ! :)
L'ensemble est superbe. Je m'attendais au début à quelque chose d'un peu glauque mais en fait non, du coup j'ai d'autant plus apprécié =)
Le ton adopté depuis le début, comme pour un conte, colle bien au récit. Et, en fait, même le côté très sanglant de la chose est à sa place. Et puis, le fait que le vampire hivernal soit vaincu par le sang, c'est bien trouvé x)
Et la fin, avec la renaissance de Robin en rouge-gorge, est parfaite *o*
De fait, quand on réfléchit bien, beaucoup de contes de fée de notre enfance sont cruels et/ou sanglants ! ^^ Je ne suis pas certaine que le mien soit tellement pire ! :)
J'aime la description de la vallée.
La façon dont il meurt pour renaitre est surprenante.
Nascana
Merci pour ton commentaire ! :)
Alors ça.... ça, c'est ... c'est .... je suis sans voix.... sans mots, je veux dire.
Voilà qui est atypique. C'est raconté sur le ton d'un conte bien gentil pour les chtit'n'enfants, mais en fait c'est particulièrement sanglant. Féérique, même. Diablement féérique. L'hiver dans ses atours de vampires...
C'est excellent. J'adore.
Biz Vef'
Merci beaucoup, Vef' ! ^^
Un grand bravo.