Vastes sont les plaines obscures de ma conscience, assez vastes pour que s'y réfugie la présence furtive qui s'ébat quelquefois à la frontière de ma raison.
Je l'entr'aperçois du coin de ma lucidité, quand elle vient me défier des battements aériens et silencieux de ses ailes veloutées. Papillon ivre, phalène aveugle, elle se heurte aux murs de mes paupières à la tombée du sommeil. Elle répand son aura d'obscurité entre les remparts de mon esprit, précipitant dans le chaos tout ce qu'elle effleure, mes rêves, mes pensées, ma raison. Puis elle s'éloigne, en ne laissant derrière elle qu'un sillage de ténèbres et de peur : non pas la saisissante frayeur qui bouscule le cœur et l'âme avant de s'effacer quand le danger s'éloigne, mais cette angoisse profonde, douceâtre, avec laquelle il faut apprendre à vivre comme avec un double impotent de soi-même.
Pour tenter d'appréhender cette insaisissable entité, je lui ai donné un nom :
Papilio Noctis.
Papillon de nuit.
Deux mots d'une langue éteinte qui la transcendent, la revêtent de mystère, révèrent son habit de nuit, la parent d'une grâce infinie, mais qui ne sont aux final que verbe mort s'accrochant à une créature funeste...
Superbe ironie. Si appropriée.
Quand je chercher à me saisir d'elle, elle s'écarte, se dérobe, s'enfuit pour mieux revenir me tourmenter, à l'instant où je pense l'avoir enfin condamnée à l'exil. Pour l'éloigner de moi, j'expose chaque instant de ma vie à l'assaut brûlant de la pleine lumière. Je ne peux plus marcher sous le manteau saturnien d'un ciel piqué d'étoiles, ni sous les rayons pâles d'une lune incertaine, ni dans la noirceur grisâtre d'un couloir trahi par le filament d'une ampoule brisée. Seuls le soleil implacable, la lumière glacée d'un néon, la lueur crue d'un halogène peuvent repousser cette présence frémissante et me donner l'illusion que, comme les vampires des légende, elle se dissipera en poussière sous leur morsure.
Nyctophobie. Peur de la nuit. Crainte des ténèbres qu'elle habite et qu'elle hante... Mais Papilio Noctis n'est pas une parabole de la nuit qui nous enveloppe chaque soir de son linceul pour nous plonger dans sa petite mort, elle n'est pas Hypnos, ni son redoutable frère Thanathos, ni la cohorte de monstres qui les escorte.
Papilio Noctis est mon reflet, non celui de mon corps, ce double optique qui nous renvoie notre vision inversée. Papilio Noctis est le négatif de mon âme. Papilio noctis est mon ennui, ma souffrance, ma violence, ma terreur, mon désespoir.
Papilio Noctis est ma folie.
Tous les monstres grouillant dans la boîte de Pandore de mon esprit, je les ai un jour rassemblés dans cette unique silhouette palpitante, en un ultime effort pour éviter qu'ils ne m'absorbent tout entier.
Papilio Noctis.
Ma part d'ombre.
Quel nom magnifique pour une Ombre Papilio Noctis.
Je trouve que tu nous offres là une très belle analyse des peurs qui trainent quelque part dans la nuit, dans notre tête. C'est l'image du négatif qui m'a le plus marquée. Je trouve ça vraiment très bien trouvé *o*
Encore une fois, un superbe texte, Bea. Peu importe qu'il soit noir. C'est pas incompatible, pas vrai ? :P
Merci beaucoup, Sej ! :)
Bien écrit, même poétique.
Nascana
Papilio Noctis... être fragile et erratique, ou créature si puissante qu'il suffit d'un battement d'aile pour retourner notre raison comme un gant ?
La boîte crânienne, parabole de la mythique boîte de Pandore, en voilà une comparaison forte de signification.
En tout cas, quoi qu'il puisse y avoir dans ta tête, Beatrix, cela s'en ressent jusque dans ton imaginaire, et le teinte de cette profondeur dont j'ignorais encore la source avant de lire ce drabble.
Un fameux texte, brumeux parfois, mais authentique et captivant. Mon premier coup de coeur de Février ! Qui sait si ce papillon de nuit ne vient pas juste se réconforter dans sa propre solitude, au contact de ta lumière intérieure =)
Enjoy !
Spilou
Merci beaucoup en tout cas ! :)
Pourtant, c'est très beau, ton texte est très cohérent et dénote quelque chose de vécu, du moins touché du doigt. J'aime bien cette façon de voir les angoisses nocturnes et tout ce qui tourne autour de sa part d'ombre. Pour moi, c'est très réussi.
Biz Vef'
Le paradoxe mort/attrait est très intéressant, parce qu'au fond c'est un paradoxe qu'on retrouve souvent. Les ténèbres sont effrayantes mais mystérieuses, et tout le monde aime le mystère. J'aime beaucoup aussi l'ambivalence, la "part d'ombre" qu'on essaie de combattre mais que tu présentes comme un être infirme, donc dont on doit sans cesse prendre soin.
Beaucoup de blabla pour dire que c'est un gros coup de coeur en fait, bravo =D
En tout cas, merci pour ton commentaire, cela me fait toujours plaisir de savoir que mes textes peuvent-être appréciés ! ^^
Vu ton style d'écriture, tu n'as vraiment rien à changer.
J'aimerais écrire comme toi.
Enfin bref, bravo pour ce texte.
Je dois aussi t'avouer que je l'ai moins aimé que les autres.