Le plus puissant des souverains du monde trônait au cœur d'une salle où se déployait le luxe froid du marbre, du cristal et de l'électrum. Il se dégageait de lui une impression de force et de puissance ; l'âge mur avait paré sa barbe et sa chevelure d'argent, mais son corps sous la tunique de soie demeurait vigoureux et imposant. Son regard évoquait un ciel chargé de nuées.
Un jeune homme pénétra dans la pièce, d'un pas léger :
« Vous m'avez fait mander, père ? demanda-t-il d'une voix soyeuse.
- En effet. Encore une fois, j'aurai besoin de tes talents... »
Le jeune homme esquissa un sourire fataliste :
« Fort bien, père... Sur quoi avez vous jeté votre dévolu, cette fois ? L'épouse d'un roi ? Un trésor bien gardé ? Un palais caché ? Vous n'avez qu'à dire, je saurai vous l'obtenir... »
Un geste d'impatience répondit à sa tirade :
« Rien de tout cela. »
Le patriarche se pencha en avant, son menton reposant dans sa main :
« J'ai toujours eu ce que je convoitais : pouvoir, terres... femmes... Bien des fois, grâce à toi... mais aujourd'hui, il ne me reste plus rien à désirer.
- Voilà qui est regrettable... Mais que puis-je faire pour vous aider ? Vous êtes seul maître de vos envies... »
Les sourcils broussailleux se froncèrent au-dessus des yeux orageux :
« Trouve-moi donc quelque chose qui puisse encore susciter mon désir ! »
Le jeune homme s'inclina, soupirant intérieurement à cette impossible requête : mais il pouvait se fier à son esprit fécond pour se tirer d'affaire...
Le soir même, alors que son père était alangui sur des coussins de soie pourpre, contemplant sombrement le vide de sa vie, il vint lui présenter un petit coffret de bronze doré, admirablement ouvragé.
« Qu'est cela ? gronda son père. J'ai déjà bien assez de coffres et coffrets, bien plus remarquables.
- Ouvrez-le, père », répondit calmement l'impudent.
Sceptique, le patriarche s'exécuta....
... et le trouva vide !
Sa voix profonde s'enfla de courroux :
« Ose-tu te moquer de moi, rejeton indigne ?
- Regardez bien l'intérieur ! »
Il vit alors, gravé dans le fonds du coffret, un seul mot :
« Epithumia »
Il lança le coffret au sol et se dressa avec fureur, les yeux crépitant de colère :
« Quelle est cette plaisanterie ? », tonna-t-il.
Mais son agile rejeton s'était déjà mis hors de portée de sa colère, argumentant de sa voix d'argent :
« Malheureusement, père, ce que vous voulez ne peux se voir ni se toucher. N'est-ce pas ce que vous désirez ? Un désir...
- Pour l'instant j'ai surtout le désir de te corriger !
- Ce qui prouve, père, que vous êtes encore capable de désirer ! »
Même le plus puissant des souverains ne pouvait réfuter cette logique... Le jeune homme s'éclipsa prudemment, pendant que son père appelait son échanson, désireux de noyer sa contrariété dans un flot de libations. Le lendemain, une fois remis de son ivresse, sans doute trouverait-il un nouveau caprice, plus raisonnable peut-être, qui nécessiterait l'aide industrieuse de son fils.
Pauvre roi, les richesses ne sont pas matérielles, elles sont spirituelles.
Est-ce que c'est en rapport avec un autre de tes textes ?
Nascana
C'est vaguement lié à Sublimation... mais plus sur le mode du clin d'oeil ;).
c'est un petit filou, le prince. Filou et astucieux. Hélas, le roi ne semble en tirer aucune leçon. Quel homme vil et vain ! Ici, la jeunesse est sage et le vieux un éternel capricieux.
Décidément, Beatrix, tu as l'art du conte pour enfant et des belles histoires. J'aime beaucoup. C'est très bien écrit, léger et pourtant plein de sens profond. Bravo.
Biz Vef'
Sej l'a déjà mentionné mais ce petit texte ressemble effectivement fort à un conte pour enfant, bien qu'écrit d'une manière un peu plus complexe bien sûr. Mais j'ai vraiment eu l'impression de me retrouver dans cette ambiance-là et ça m'a beaucoup plu !
Pour résumer, je dirais que j'ai trouvé cela simple et léger à la fois (dans le bon sens du terme). Vraiment agréable à lire ! ^^
A un conte... ou à une légende ? ^^ Je suis contente qu'il n'y ait pas de lourdeurs, c'est un peu le risque avec ce sytle de narration. :)
En effet, on est loin de la déprime. Quoique... ce pauvre roi qui s'ennuie à mourir, je suis pas sûre qu'il soit des plus heureux :P
Et puis, bon, la chute est bien trouvée. Bref, je crois que ça sera pas nouveau, mais j'aime beaucoup :))
Je dois avouer que le "souverain" (ou un peu plus ?), je n'ai pas vraiment pitié de lui, je me range plutôt du côté de son petit malin de fils (car en fait, même s'ils ne sont pas nommés, ces personnages sont par ailleurs connus... mais je suis joueuse ! :) )
Ce texte est agréable à lire et très fluide.
Bravo.
Forcément je ne savais pas ce qu'Epithumia voulait dire, donc j'étais un peu intriguée de savoir ce que tu avais mis dans ton texte. Et le sens ne se révèle vraiment qu'à la toute fin. J'aime bien ^^