Chapitre 1

Par Beatrix

Le plus puissant des souverains du monde trônait au cœur d'une salle où se déployait le luxe froid du marbre, du cristal et de l'électrum. Il se dégageait de lui une impression de force et de puissance ; l'âge mur avait paré sa barbe et sa chevelure d'argent, mais son corps sous la tunique de soie demeurait vigoureux et imposant. Son regard évoquait un ciel chargé de nuées.

Un jeune homme pénétra dans la pièce, d'un pas léger :

« Vous m'avez fait mander, père ? demanda-t-il d'une voix soyeuse.

- En effet. Encore une fois, j'aurai besoin de tes talents... »

Le jeune homme esquissa un sourire fataliste :

« Fort bien, père... Sur quoi avez vous jeté votre dévolu, cette fois ? L'épouse d'un roi ? Un trésor bien gardé ? Un palais caché ? Vous n'avez qu'à dire, je saurai vous l'obtenir... »

Un geste d'impatience répondit à sa tirade :

« Rien de tout cela. »

Le patriarche se pencha en avant, son menton reposant dans sa main :

« J'ai toujours eu ce que je convoitais : pouvoir, terres... femmes... Bien des fois, grâce à toi... mais aujourd'hui, il ne me reste plus rien à désirer.

- Voilà qui est regrettable... Mais que puis-je faire pour vous aider ? Vous êtes seul maître de vos envies... »

Les sourcils broussailleux se froncèrent au-dessus des yeux orageux :

« Trouve-moi donc quelque chose qui puisse encore susciter mon désir ! »

Le jeune homme s'inclina, soupirant intérieurement à cette impossible requête : mais il pouvait se fier à son esprit fécond pour se tirer d'affaire...

Le soir même, alors que son père était alangui sur des coussins de soie pourpre, contemplant sombrement le vide de sa vie, il vint lui présenter un petit coffret de bronze doré, admirablement ouvragé.

« Qu'est cela ? gronda son père. J'ai déjà bien assez de coffres et coffrets, bien plus remarquables.

- Ouvrez-le, père », répondit calmement l'impudent.

Sceptique, le patriarche s'exécuta....

... et le trouva vide !

Sa voix profonde s'enfla de courroux  :

« Ose-tu te moquer de moi, rejeton indigne ? 

- Regardez bien l'intérieur ! »

Il vit alors, gravé dans le fonds du coffret, un seul mot :

« Epithumia »

Il lança le coffret au sol et se dressa avec fureur, les yeux crépitant de colère :

« Quelle est cette plaisanterie ? », tonna-t-il.

Mais son agile rejeton s'était déjà mis hors de portée de sa colère, argumentant de sa voix d'argent :

« Malheureusement, père, ce que vous voulez ne peux se voir ni se toucher. N'est-ce pas ce que vous désirez ? Un désir...

- Pour l'instant j'ai surtout le désir de te corriger !

- Ce qui prouve, père, que vous êtes encore capable de désirer ! »

Même le plus puissant des souverains ne pouvait réfuter cette logique... Le jeune homme s'éclipsa prudemment, pendant que son père appelait son échanson, désireux de noyer sa contrariété dans un flot de libations. Le lendemain, une fois remis de son ivresse, sans doute trouverait-il un nouveau caprice, plus raisonnable peut-être, qui nécessiterait l'aide industrieuse de son fils.

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Diogene
Posté le 08/04/2014
Ah Béatrix, j'ai beaucoup rit avec ette histoire, simple et pleine de justesse.
Pauvre roi, les richesses ne sont pas matérielles, elles sont spirituelles.
Beatrix
Posté le 13/02/2020
Merci, c'est sûr qu'il a dû être surpris ! ^^
Nascana
Posté le 22/10/2012
J'ai beaucoup aimé ton récit et sa morale. Le prince doit être très doué pour réussir à avoir tout ce que son père veut. D'ailleurs que ferait-il sans lui ? 
Est-ce que c'est en rapport avec un autre de tes textes ?  
Nascana 
Beatrix
Posté le 22/10/2012
Coucou Nasca, désolée de ne pas t'avoir répondu plus tôt. Merci pour ta lecture !
C'est vaguement lié à Sublimation... mais plus sur le mode du clin d'oeil ;).  
vefree
Posté le 13/10/2012
Héhé !
c'est un petit filou, le prince. Filou et astucieux. Hélas, le roi ne semble en tirer aucune leçon. Quel homme vil et vain ! Ici, la jeunesse est sage et le vieux un éternel capricieux.
Décidément, Beatrix, tu as l'art du conte pour enfant et des belles histoires. J'aime beaucoup. C'est très bien écrit, léger et pourtant plein de sens profond. Bravo.
Biz Vef' 
Beatrix
Posté le 13/10/2012
Oui Vef', "astucieux" pourrait-être son deuxième nom ! ^^ Quant au père, c'est un être trop blasé et gâté pour apprécier ce qu'il a déjà...<br />Merci de ton commentaire, heureuse que tu aimes ! :)
Slyth
Posté le 06/10/2012
Très sympa !
Sej l'a déjà mentionné mais ce petit texte ressemble effectivement fort à un conte pour enfant, bien qu'écrit d'une manière un peu plus complexe bien sûr. Mais j'ai vraiment eu l'impression de me retrouver dans cette ambiance-là et ça m'a beaucoup plu ! 
Pour résumer, je dirais que j'ai trouvé cela simple et léger à la fois (dans le bon sens du terme). Vraiment agréable à lire ! ^^
Beatrix
Posté le 06/10/2012
Merci beaucoup Slyth !
A un conte... ou à une légende ? ^^ Je suis contente qu'il n'y ait pas de lourdeurs, c'est un peu le risque avec ce sytle de narration. :)
 
Seja Administratrice
Posté le 04/10/2012
C'est tout mignon comme conte xD
En effet, on est loin de la déprime. Quoique... ce pauvre roi qui s'ennuie à mourir, je suis pas sûre qu'il soit des plus heureux :P
Et puis, bon, la chute est bien trouvée. Bref, je crois que ça sera pas nouveau, mais j'aime beaucoup :)) 
Beatrix
Posté le 04/10/2012
Merci beaucoup Sej ! ^^ 
Je dois avouer que le "souverain" (ou un peu plus ?), je n'ai pas vraiment pitié de lui, je me range plutôt du côté de son petit malin de fils (car en fait, même s'ils ne sont pas nommés, ces personnages sont par ailleurs connus... mais je suis joueuse ! :) )
Aliv
Posté le 04/10/2012
Un texte fort bien écirt. Je n'ai aucune critique à promulguer sur ton écriture.
Ce texte est agréable à lire et très fluide.
Bravo. 
Beatrix
Posté le 04/10/2012
Merci Aliv pour ton gentil commentaire ! :)
Jamreo
Posté le 07/10/2012
Ah, ça m'a tout de suite remis en tête Ulysse l'industrieux et toutes ses ruses! Je retrouve un peu la même atmosphère. Mais ça évoque un peu plus un conte pour enfants. Et puis, la figure du papa blasé, ça fait mouche, on est bien content de finir sur son mécontentement et son insatsifaction.
Forcément je ne savais pas ce qu'Epithumia voulait dire, donc j'étais un peu intriguée de savoir ce que tu avais mis dans ton texte. Et le sens ne se révèle vraiment qu'à la toute fin. J'aime bien ^^
Beatrix
Posté le 07/10/2012
Héhé, bravo, tu n'es pas très loin Jamreo... C'est à un autre personnage rusé que je songe, bien souvent au service d'un père pas facile... ^^ Merci pour ton commentaire ! :)