Chapitre 1

Par Jac

 Nous sommes le mardi 7 mars 2021, il est 6h25 et le réveil sonne le début de la journée. C’est la même chose depuis trois ans chaque jour de la semaine. Seule trêve avec le réveil, pendant les vacances scolaires. La musique que j’ai choisie et qui est censée me mettre de bonne humeur pour le reste de la journée commence de plus en plus à m’agacer.

Je soupire et me décide enfin à repousser la couette. Je ne sais pas que cette journée marquera le début du reste de ma vie comme dit la chanson. Pas celle de mon réveil qui elle dit tout simplement « dream[1] ». Le froid pique mes cuisses nues. Je cours jusque dans la salle de bain allumer le chauffage afin de ne pas me transformer en glaçon le temps de m’habiller. Pendant que la pièce chauffe, je branche la bouilloire et prépare le petit-déjeuner.

Le même que d’habitude.

Le même depuis des années.

Je n’aime pas le changement ou plutôt, je ne pense pas à changer. À en changer.

L’eau bout. J’éteins la bouilloire et verse le liquide encore fumant dans une tasse. Une fois un citron frais pressé, je vais m’habiller, après un petit lavage rapide. J’ai pris ma douche hier soir. J’aime prendre mes douches le soir. Mes soucis de la journée partent avec l’eau et je peux espérer me détendre pour le reste de la soirée. Mes affaires sont prêtes depuis la veille. Histoire de gagner du temps, depuis que je travaille, je prépare la table du petit déjeuner et mes habits, le soir.

Habitudes de vieux garçon me direz-vous. Vous avez peut-être raison. Mais les habitudes, même si elles sont là pour rassurer, me permettent avant tout de gagner du temps. Le temps c’est de l’argent. C’est con comme formule quand on est fonctionnaire…
Ce matin, je m’aperçois que j’ai oublié d’allumer mon téléphone. Habituellement c’est une des premières choses que je fais au saut du lit mais pas aujourd’hui. Acte manqué ?

Le son d’une notification de message résonne dans l’appartement, suivi de plusieurs autres. Ce sont des sons différents, ce qui veut dire que plusieurs personnes ont cherché à me joindre pendant la nuit. Je sens mon pouls s’accélérer alors que j’achève d’enfiler mon pull. Personne ne cherche à me joindre pendant la nuit. Il s’est passé quelque chose…Le téléphone se met alors à sonner. Un appel de mon frère.

  • Allô, Marin ?!

Je décroche mais je ne réponds pas. Surpris et de plus en plus anxieux d’entendre mon frère à l’autre bout du fil, de si bonne heure.

  • C’est Louis.

 

  • Qui est mort ?

 

Cette phrase est un réflexe. Pourquoi Louis m’appellerait-il à 7h du matin après avoir essayé toute la nuit s’il n’était arrivé malheur à quelqu’un ?

 

  • C’est maman. Il s’est passé quelque chose. Pourquoi tu ne rappelles pas bordel ?!

 

  •  Je viens juste de voir que j’avais des messages. Qu’est-ce qu’il se passe ?

 

  • Habille-toi, je suis en bas dans cinq minutes. Dépêche-toi, je t’expliquerai en route ! 

Je n’ai que le temps de penser à éteindre le sèche-serviettes dans la salle de bain et de vérifier que rien d’électrique n’est resté allumé. Il ne manquerait plus que je foute le feu à l’appartement. Un accident est si vite arrivé mais quand même, j’y tiens à mon « petit nid douillet » même s’il ressemble plus à un appartement d’étudiant qu’à celui d’un homme bien installé dans la vie. J’ai fait faire une bibliothèque sur mesure quand j’ai acheté l’appartement il y a trois ans. Je m’y sens bien. L’orientation ouest me permet, en été, de profiter jusqu’au coucher du soleil, de la lumière du jour. L’hiver, le matin, une douce lumière baigne le bureau où j’aime travailler et préparer mes cours de la semaine à venir.

Je descends les escaliers quatre à quatre au risque de m’éclater à chaque marche. Dégringoler les trois étages sur les fesses peut s’avérer dangereux. Je parle d’expérience. J’ai déjà laissé un poignet lors d’une précédente cavalcade. Aujourd’hui, bien que je sois pressé et stressé, je tâche tout de même de faire le moins de bruit possible. J’ai cette obsession de ne pas déranger les autres quand bien même ceux-ci n’ont quant à eux cure de me déranger et parlent tellement fort qu’on pourrait penser qu’ils ne sont pas dans la cage d’escalier mais dans la même pièce que moi. Arrivé au premier étage je manque de tomber dans les bras de William, le gérant du bar-tabac au rez-de-chaussée de l’immeuble. On est devenu proches alors que je n’habitais ici que depuis quelques mois et que nous avons dû faire face à l’occupation illégale d’un appartement au dernier étage, par un immigré afghan, aujourd’hui meneuse de revue dans une salle de spectacle parisienne. La vie est pleine de surprise ; mais je gage que celle qu’elle me réserve aujourd’hui ne va pas me plaire.

  • Mais Marin, tu as vu le diable ou quoi ? Il n’est même pas 7h ! Tes élèves ne sont pas encore sortis de leur lit. Où est-ce que tu cours comme ça ? me demande William les yeux encore pleins de sommeil.

 

  • Louis m’attend… Il est arrivé quelque chose à maman !

 

  • Oh m… 

Je n’entends pas la suite, je suis déjà dans l’habitacle de la voiture de mon frère. Elle empeste le tabac froid et l’odeur de chien mouillé. Je me demande comment les propriétaires des chiens que mon frère garde peuvent tolérer qu’il fume dans sa voiture avec leurs animaux à ses côtés. Ce ne sont pas des enfants, je sais, mais quand même j’imagine que les poumons de nos amis les bêtes ne sont pas faits pour supporter une haute dose de nicotine. Et c’est moi qui dis ça alors que je ne suis pas vraiment un admirateur des chiens et encore moins des chats qui partagent la vie de certains de mes contemporains. J’ai des collègues qui sont littéralement folles de leurs animaux. Certaines n’ont que des animaux de compagnie mais d’autres pourraient ouvrir une ferme pédagogique chez elle.

  • Oh MARIIIIIIIN !!!!!! Tu m’écoutes !! crie Louis tout en sortant de son stationnement un peu trop brutalement à mon gout.

 

  • Oui ! oui ! Ne hurle pas comme ça…

 

  • Putain, t’es chiant mec. Même un jour comme aujourd’hui faut aller te chercher dans les recoins de ton cerveau. J’ai besoin que tu sois présent. Alors fait un effort, évite de te perdre dans tes pensées.

 

  • Oui … 

Mon frère a raison, je suis souvent distrait par mes pensées. La fameuse pensée en arborescence[2] vous connaissez ? Je comprends l’idée et elle n’est pas fausse mais je préfère l’image prise par ma prof de littérature de 1ere qui le jour de la réunion parents-profs m’a dit :

« Le problème avec toi Marin c’est que tu ne sais pas suivre un chemin de pensées tout tracé. On dirait que tu as un feu d’artifice d’idées permanent dans ta tête ».

C’est une jolie image. Je me souviens de maman…

  • Maman ?! Que s’est-il passé ? Louis ?

 

  • Les médecins nous attendent mais … Marin, prépare-toi au pire.

 

  • Mais au pire de quoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

 

  • Je ne sais pas vraiment. La police m’a appelé au milieu de la nuit. Maman aurait été agressée par son voisin après être intervenue lors d’une énième dispute conjugale.

 

  • Maman, je ne peux m’empêcher de murmurer avant d’ajouter, putain, mais ça devait arriver un jour, Louis. Maman et son besoin d’intervenir dans les histoires des autres !

 

  • Tu sais bien que ce n’est pas que ça Marin.

 

Sachant que mon frère a raison, j’attends la suite.

 

  • Depuis que Laure est morte, elle ne supporte plus le moindre geste un peu violent.

Laure était la meilleure amie de notre mère. Elle est morte devant les yeux de ses filles, un soir où son compagnon a encore passé ses nerfs sur elle et alors que la police trop occupée lui a demandé de revenir le lendemain pour son dépôt de plainte.

Sortant, peu à peu de ce souvenir pour le moins désagréable, je reprends le fil de la conversation et demande à Louis si c’est grave, bien que la réponse me soit déjà connue :

  • Louis est-ce que c’est grave ? Est-ce que maman va s’en remettre ?

 

  • TU N’AS PAS ENTENDU CE QUE JE T’AI DIT !!! 

Mon frère a une capacité assez surprenante à s’énerver mais je dois dire que là je le comprends. Je n’ai pas écouté ou plutôt mon cerveau n’a pas voulu enregistrer correctement l’information. Chose quelque peu surprenante quand on me connait. Habituellement mon cerveau est un plus rapide que la moyenne. Visiblement pas aujourd’hui et je crois que ça énerve mon frère.

Louis redémarre après avoir allumé une autre cigarette. J’ai envie de lui dire que je vais être orphelin aujourd’hui et sans frère plus rapidement que je l’imagine s’il continue à fumer comme un pompier. Je m’abstiens de tout commentaire. Mon sens de l’humour légendaire ne fera rire personne en cette triste journée. C’est quand même con que mes parents aient coché les cases « surdouance intellectuelle » mais pas « surdouance relationnelle ». On n’est pas encore à Gattaca[3].

Après vingt minutes de trajet nous arrivons enfin à l’hôpital. Plus jeunes, nous y allions pour retrouver notre mère qui y travaillait. Je n’ai fait qu’un passage aux urgences, et encore aux urgences adultes ; pour un poignet cassé. Louis connait les lieux mieux que moi. Il y a été admis plus d’une fois après avoir été passé à tabac par des homophobes de tous âges et de toute classe sociale de la ville. Mon frère est gay. Ça arrive même aux meilleurs ! Oh c’est une blague ! De merde, je sais …Mais on essaye de dépasser son angoisse comme on peut et moi ça passe souvent -toujours en fait- par un humour à la con. Je ne suis pas homophobe, j’ai un frère gay. Qui n’a jamais entendu ça ou dit ça ? En vrai je m’en moque et même je l’admire mon frère. Il a un putain de courage de vivre en étant lui-même et en prenant le risque de se faire casser la gueule à chaque fois qu’il sort d’un bar avec un mec au bras. Parce que oui, en plus, mon frère est BG[4] donc il peut jouer les Casanova ou les Don Juan. Je dis souvent que mon frère a eu la beauté et moi le cerveau. C’est un peu réducteur pour Louis qui n’est pas juste des abdos sur pattes. Il a une belle gueule et ça met les gens en confiance. On lui parle facilement. D’ailleurs c’est à lui que s’adresse l’agent d’accueil. Enfin, elle s’adresse peut-être à lui juste parce que je suis encore en train de digresser dans ma tête et que c’est lui qui a pris les commandes de la situation. En effet, nous sommes entrés dans le hall de l’hôpital encore désert au regard de l’heure matinale et nous nous sommes machinalement dirigés vers le bureau des admissions, où Louis prend les informations nécessaires pour que nous retrouvions notre mère au plus vite.

Mon frère m’entraine dans les escaliers et nous débouchons dans un couloir silencieux. Afin de pouvoir entrer dans le service nous devons nous présenter à un interphone. Louis explique que nous venons voir notre mère admise dans la nuit. Après un temps qui me parait une éternité, la porte s’ouvre d’elle-même et nous arrivons dans une sorte de sas où nous devons déposer nos affaires. Un infirmier nous attend et nous conduit devant une chambre. Je ne la reconnais pas tout de suite. Des tuyaux et des fils s’entremêlent autour d’elle et me donnent l’impression d’être dans l’atelier de Geppetto. Un pantin. Ma mère est un pantin… Des bips réguliers émanent de la chambre… Sans savoir comment ni pourquoi, je me retrouve assis sur une chaise du couloir. Je crois que mon corps à compris avant mon cerveau que ma mère n’est en vie que parce que des machines l’aident à respirer. Elle n’est plus là. Ma mère bien vivante, apaisante, celle qui m’a bercé, prise dans ses bras, qui me chantait des chansons, qui me passait des savons, n’est plus là. Des larmes inondent mes joues tandis qu’une femme en blouse blanche s’approche de nous.

 

[1] Chanson Dreams de Fleetwood Mac

[2]« Pensée foisonnante. Conséquence de la multitude des connexions neuronales. La pensée se déploie dans plusieurs directions. » bilan-psychologique.com

[3] Référence au film Bienvenu à Gattaca qui fait lui-même référence au génome humain, plus particulièrement aux initiales des bases de l’ADN.

[4] Beau Gosse

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Sy - Shadowy
Posté le 22/01/2023
Un premier chapitre intéressant, on ne sait pas où cela va nous mener mais je vais lire la suite c'est sûr :) J'aime beaucoup les sujets abordés et la manière dont ils le sont.
(une petite remarque pour les dialogues on emploie le tiret cadratin et non une puce ronde)
Sy - Shadowy
Posté le 22/01/2023
et là je découvre que c'est une histoire terminée :/ mais pourquoooi ? ^^
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