Elle | (par Cara Federsan)
Son téléphone vibre sur la table basse et j'essaye de résister à la tentation de regarder depuis déjà plusieurs minutes. Faire l'indiscrète n'est pas mon genre, seulement, c'est à croire qu'il m'appelle, qu'il me supplie de visionner son contenu. Qui peut bien lui écrire dès le matin ? Un nouveau son qui annonce l'arrivée d'un message retentit. Luc prend sa douche, je ne risque rien à jeter un coup d'œil, alors je me redresse du fond du canapé et attrape l'appareil pour le déverrouiller.
Ce que je vois me stupéfie. Les photos d'une magnifique jeune femme apparaissent, chacune la présentant de plus en plus dénudée. Elle est absolument divine, ses courbes sont parfaites, je ne repère rien à redire sur son corps : une déesse. J'avise mon reflet dans le miroir du salon, à côté, je suis franchement dégueulasse. Le cellulaire vibre de nouveau et, cette fois-ci, le cliché est accompagné d'un message.
[J'espère que tu vas trouver une bonne excuse pour lâcher ta grosse ce soir, j'ai envie que tu viennes me casser les pattes arrière et me défoncer comme tu en as l'habitude. Love you babe]
Mon cœur reçoit un coup de poignard et ma respiration se bloque. Je jette son smartphone plus loin sur le canapé, horrifiée. Les larmes me brûlent les yeux, je tente tant bien que mal de reprendre mon souffle, mais il reste saccadé. Ma vision se brouille et mon corps se contracte, je suffoque. Luc me trompe. Un an que je suis avec cet homme, quelques semaines qu'il a emménagé chez moi et il me trahit déjà.
Je n'y croyais pas quand il m'a proposé que nous nous engagions ensemble. Nous nous connaissions par le travail, il venait régulièrement dans la librairie où j'exerce en tant que responsable des achats et c'était à moi qu'il avait à faire. Je me souviens de sa première invitation au restaurant, de sa façon de me courtiser, de notre premier baiser. Nous avons mis du temps avant de faire l'amour pour la première fois et il était toujours très délicat, peut-être trop. Il ne m'a jamais « défoncée », je n'ai d'ailleurs jamais vraiment pris mon pied avec lui, cependant, j'ai eu trop peu d'expérience par le passé pour savoir si c'est normal ou pas.
— Ça ne va pas ? Tu as l'air bizarre.
Son ton nonchalant me sort de ma torpeur, le voilà. Je me lève et lui fais face, les poings serrés.
— C'est comme ça que tu m'appelles devant les autres, la grosse ?
Je me retiens de crier, la fin de ma phrase meurt au bord de mes lèvres tremblantes. Un ouragan s'empare de moi.
— De quoi parles-tu ?
— De ça !
J'attrape son téléphone et le lui tends. Il arque un sourcil, regarde son écran et me scrute.
— Tu fouilles dans mon tél. ? Ça t'arrive souvent ?
— Je te demande pardon ? Je découvre que tu me trompes et toi, tu t'inquiètes davantage de savoir que j'ai pu fouiner dans ton mobile ou de combien de fois ça s'est produit ? Tu vas me faire une scène parce que j'ai vu le message de ta pétasse ? Sors de chez moi !
Je me jette sur lui et le pousse tant bien que mal. J'ouvre la porte d'entrée et tente de le tirer vers l'extérieur. Désormais, je hurle.
— Explique-moi ! Pourquoi ?
— Mais qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Tu as découvert que je te trompe et ça t'étonne ? Tu es tellement nulle au pieu que je n'avais pas le choix !
Je me fige, choquée. Il vient d'enfoncer un peu plus profond le coup de couteau et je saigne intérieurement.
— Comment peux-tu dire ça ? Tu me touches à peine...
Ma voix se brise, mon corps tremble de rage, je suis à deux doigts de tomber.
— En même temps, tu t'es vue ? Tu ne fais pas d'effort, tu es tout sauf fine, tu te caches sous de grands tee-shirts, tu n'es tellement pas féminine ! C'est à croire que tu fais tout pour qu'on ne te baise pas.
— Casse-toi !
Je crie mon désespoir et tente de le frapper, seulement, il esquive et me repousse. Mes jambes ne me soutiennent plus et je m'effondre à terre dans un torrent de larmes. Je n'arrive plus à respirer.
Je relève la tête pour le regarder partir sans se retourner et c'est là que je le vois. Nous avons un témoin sur le trottoir en face de la maison, un grand brun aux cheveux mi-longs qui me fixe, mains dans les poches.
— Ça va ? Le spectacle te plaît ?
J'arrive à peine à articuler, mais la peine qui transparaît dans ma voix suffit à le faire fuir sans qu'il ne daigne prononcer un mot.
*
Lui | (par Elio Destrez)
Le poids de la lourde porte de l'édifice où exerce le spécialiste ralentit mon agacement qui se traduit par des gestes abrupts. Chaque mois, je pense ressortir de cet immeuble avec un fardeau en moins, pourtant, mes chaînes sont toujours scellées autour de mon corps, m'empêchant de pouvoir vivre en toute sérénité. Je ne peux plus continuer à exister de cette manière ; aucun endroit dans le monde ne peut me permettre d'harmoniser mon âme et ma chair. Je me sens comme un naufragé au milieu d'une bande de requins, attendant patiemment le bon moment pour me dévorer sans laisser de miettes.
Même à l'intérieur de mon appartement, il est impossible pour moi de ne pas me haïr. À cet instant, je voudrais m'immoler par le feu, tomber dans le vide et arrêter de me faire une comparaison avec chaque passant que je croise. Je les envie, tout comme je ne peux m'empêcher de traîner sur les réseaux sociaux en rentrant chez moi et me comparer à tous les corps qui défilent sur mon écran. Ce soir encore, je me retrouverais face à mon miroir, prêt à régurgiter le dégoût de cette apparence qui m'est insupportable.
« Vous êtes trop anxieux, prenez votre temps pour bien y réfléchir. »
— Je le déteste.
Qui peut me dire si je suis dans le bon contexte de ma vie quand moi-même je n'ai aucune idée de ce que je veux faire de toutes ces années qui m'attendent ? La vie est remplie d'une multitude de stades, tous plus difficiles à surmonter les uns que les autres. Alors, pourquoi tenter de détruire la seule et unique certitude que j'ai depuis mon enfance ? Cette histoire ne règle pas le manque de confiance en moi, elle est même en chute libre.
Un soupir s'échappe de mes lèvres lorsque je m'arrête au passage piéton, le feu annonce la couleur rouge. Mes doigts se serrent autour des anses de mon sac à dos, je soliloque à voix basse, l'air contrarié :
— Comment veut-il que je ne sois pas anxieux après treize séances sans aucun résultat ?
Ma cage thoracique ne se remplit plus d'oxygène, mais d'une injustice qui me ronge depuis des années. Je ne peux empêcher mon regard de discrètement se poser sur l'homme à mes côtés et scrute son torse plat à travers son tee-shirt, ses biceps ont de belles formes et sa pomme d'Adam est de toute beauté. Je me sens comme un voyeur et détourne automatiquement les yeux.
Je continue de traverser la ville en évitant les regards que je croise. Il n'y a qu'une chose qui peut me remonter le moral à cet instant précis : une jolie librairie. Si certains trouvent réconfort dans la nourriture, le sport ou tout autre substitut au bonheur, moi, je dévore des histoires dans lesquelles je peux être une personne différente. Seulement, je suis de l'autre côté de la ville et, à l'exception du cabinet de mon psychiatre, je ne connais pas bien l'endroit.
Je m'arrête un instant afin de consulter mon téléphone et fais une recherche en ce qui concerne les librairies du coin. Adossé au mur, je prends mon temps pour choisir celle qui répondra à mes besoins spécifiques, parce que oui, je suis indéniablement un grand fan du monde du manga. Et ça, même si j'ai passé la plus grande partie de ma vie à dormir avec des romans de toutes sortes comme des doudous au lieu de peluches.
Je baisse le casque sur mes oreilles en le faisant glisser autour de mon cou, de façon à pouvoir me concentrer sur mes projets. Je suis dans une ruelle plutôt tranquille, le moteur des voitures ne résonne pas et soulage mes tympans. Ici, tout est serein, du moins, jusqu'à ce que je sois pris d'un sursaut après une porte qui se claque et des cris échangés dans le vide. Je relève automatiquement le nez de mon portable et reste figé sur l'homme qui s'en va. Mais ce qui me percute vraiment, c'est cette jeune femme qui me semble désemparée.
Des larmes ruissellent le long de ses joues et je me sens soudainement inapte à pouvoir lui venir en aide, impuissant. Un frisson me traverse lorsqu'elle me repère, pris la main dans le sac.
Je ne suis vraiment qu'un voyeur, alors ?
Sa voix se brise. L'intensité de celle-ci est si pleine de rage que je me mets à fuir en regagnant ma route, comme un coup de pied au cul qu'on vient de m'envoyer pour me jeter dehors. Au final, je ne suis pas le plus à plaindre, il y a des personnes dans ce monde qui vivent des jours plus tristes que les miens.
Pour ma part, j’ai préféré la première partie que j’ai trouvé très réaliste, les émotions sont bien décrites qu’on ressent sa souffrance.
Concernant la seconde partie, je n’arrive pas à comprendre ce qui le rend si malheureux. Avec les commentaires, j’ai été un peu plus perdue lol. J’avais compris qu’il n’aimait pas son corps au point d’idéaliser celui d’autres hommes mais je n’ai pas vu qu’il avait un pb d’identité de genre.
En tout cas je continue ma lecture…
Le sujet est complexe et ce n’est pas le seul que la nouvelle aborde : la grossophobie, les jugements extérieurs, la pression qu’on se met à soi-même, les illusions des réseaux sociaux, l’évasion (la fuite ?) permise par les livres, le pouvoir de l’amitié… Tous ces thèmes sont super intéressants, mais ils ne peuvent être qu’effleurés dans un format aussi court. La coïncidence des personnages qui se recroisent dans la librairie et le « coup de foudre amical » ont quelque chose d’artificiel. Peut-être que l’action aurait pu être un peu décondensée en faisant en sorte qu’un point de vue prenne la suite de l’autre, chronologiquement, au lieu d’avoir une superposition. D’ailleurs, quand la trajectoire des deux personnages se rejoint dans le dernier chapitre et que leurs émotions coïncident, j’ai eu l’impression, d’une certaine manière, de lire deux fois la même scène.
En ce qui concerne la conclusion, je l’ai personnellement beaucoup aimée. Ses images sont jolies et elle permet de clarifier le propos. Par contre, le fait qu’elle dépende de la partie d’Aaron renforce encore l’impression que c’est lui le personnage principal. Ce n’est qu’une idée mais, en écrivant au neutre, il y aurait sûrement eu moyen de la faire résonner avec les deux protagonistes.
Désolé, mon commentaire a l’air négatif comme ça, mais il ne l’est pas du tout. Je pense sincèrement que cette histoire a un grand potentiel qui ne demande qu’à être développé.
En tout cas, ça a du être une belle expérience d’écrire une nouvelle à quatre mains. On a pensé à essayer avec un ami, mais on ne s’est jamais lancés.
Cette nouvelle est bel et bien à retravailler, même si je ne pense pas que nous le ferons. Elle a été écrite il y a déjà… un an et demi, dans le cadre d'un défi d'écriture. 5 000 mots, c'était peu pour tout ce que nous aurions voulu dire.
Je t'invite à tenter l'expérience de l'écriture à quatre mains, pour moi, ça a été une superbe expérience.
Le titre m'a interpellë et j'ai été d'uatnat plus bottë de découvrir cette histoire qu'il s'agit d'un texte à quatre mains ! J'aime bien découvrir ce que les textes écrits à plusieurs peuvent donner.
J'ai préféré la seconde partie à la première, mais je pense que c'est uniquement dû à mes inclinaisons personnelles et mes dadas du moment ; je trouve que le point fort de la première partie est cette mention de grossophobie. Je crois que le début pourrait être retravaillé pour donner plus de relief au personnage ; j'ai trouvé qu'il a du potentiel mais son intériorité est bien moins montrée, comparée au second. Cela étant, dans la seconde partie, je n'ai pas bien compris ce que le personnage entendait, étant donné qu'il a aussi son casque sur les oreilles, on ne sait pas ce qu'il entend de la dispute ; au début j'avais cru comprendre qu'il n'avait rien entendu mais comme même la phrase qui lui est adressée n'est pas retranscrite, je n'en suis pas sûr.
Bref. Je suis très curieux de voir ce que cela va donner, la direction que cela va prendre ; le décor est bien planté et je trouve qu'on voit bien les tensions qui habitent les perosnnages.
Plein de bisous !
Tu as raison, le début doit être retravaillé, notamment avec le personnage féminin. J'ai posté la version brutte de cette nouvelle, que nous avions écrite pour un défi, et tout faire tenir en 5000 mots (pour le défi) nous a fait élager par mal de choses ^^
En fait à la fin, le personnage masculin entend la disputes parce qu'il a baissé son casque (phrase à revoir du coup)