Chapitre 1

Notes de l’auteur :  

Les chocolats, c’est périssable

17 h 55 est affiché sur l’horloge géante du hall de l’hôpital quand la petite voix de Lucie s’écrie : « Attendez. Retenez l’ascenseur s’il-vous-plaît. ». Un jeune homme pose ses phalanges sur le capteur et la porte s’ouvre à nouveau, permettant ainsi à la jeune fille en béquilles de pénétrer dans la cage d’acier. D’un petit sourire, elle remercie le galant qui lui demande :

« Quel étage ?

- Le deuxième. Merci. »

Dans l’ascenseur se trouve aussi une petite dame rondouillette d’une trentaine d’années, fleurant le fastfood à pleines narines et dont les cheveux sont aussi gras que si elle était tombée dans l’huile de friture. Elle  salue les deux benjamins d’un petit rictus.

Une voix métallique annonce mécaniquement « Premier étage » puis « Deuxième étage ». La jeune femme se prépare devant le double battant  qui ne lui offre qu’une immobilité inquiétante. Elle sollicite d’appuyer sur le bouton d’ouverture des portes. Le jeune homme s’exécute, répète l’opération puis laisse appuyé son index plusieurs secondes mais sans résultat apparent. Leurs trois cœurs se serrent, celui de la rondouillette frôlant l’attaque. Ils se regardent, un peu perdus, les yeux écarquillés. Lucie prend finalement la parole :

« Bon. Il faut se rendre à l’évidence. On est coincés. Il y a un bouton d’appel je crois. »

Le préposé aux boutons presse nerveusement celui qui affiche le symbole très expressif d’un combiné téléphonique. Un bruit de sonnerie intermittente  commence à résonner dans l’espace réduit. Enfin un « oui » interrogatif leur redonne un peu d’espoir.

« Nous sommes bloqués entre le premier et le deuxième étage.

-  Vous avez essayé avec le bouton d’actionnement manuel des portes ? »

Lucie s’indigne d’être prise pour une parfaite crétine.

« Bien sûr. Mais il ne se passe rien.

-  Nous allons vous envoyer un technicien. Ne bougez pas ! »

Très drôle cette dame ! Elle pense qu’ils vont aller boire un verre à  la cafeteria ? Les prisonniers malgré eux se regardent en chien de faïence. L’aînée prend l’initiative des présentations :

« Moi, c’est Agnès. Et vous mes petits ? »

Mes petits ! Cette appellation ne plaît pas trop à Lucie qui fronce les sourcils en toisant son interlocutrice. Elle finit par répondre d’un air poli :

« Moi, c’est Lucie.

- Et moi, Alfred. »

Lucie ne peut réprimer un petit sourire moqueur. Le pauvre ! On lui avait sûrement donné ce prénom en souvenir d’un grand-père, parrain ou encore d’un chien fidèle parti trop tôt. Elle change de sujet pour lui éviter de se mettre à rire.

« Bon, j’espère que ce ne sera pas trop long. Moi qui avais rendez-vous à 18 h 10 pour une radio !

- Qu’est-ce qui vous est arrivé ? s’enquiert l’adepte du Mac Do.

- Une histoire bête, comme tous les accidents. Je voulais préparer une sole pour le souper. Mais le temps de déposer le poisson dans une assiette pour l’assaisonner, mon chat s’est précipité pour le voler et a pris la direction de la table basse du salon. Je l’ai coursé pour tenter de récupérer au moins au morceau. Il a lâché sa proie, j’ai glissé dessus et je me suis tordue la cheville. Idiot, non ? Sale chat ! Et dire que je l’ai sauvé d’une mort certaine. Il allait crever de faim dans la rue.

- Il a gardé son instinct de survie. Vous auriez dû sortir votre poisson à la dernière minute. »

Ben voilà ! C’est de la faute de Lucie maintenant si elle se retrouve avec une cheville HS. Les chats, comme les enfants, bénéficient toujours de l’impunité.

Alfred semble nerveux. De la sueur apparaît sur son front, il triture ses mains et effectue des allers retours dans l’espace clos, donnant l’impression aux deux femmes d’assister à un tournoi de tennis.

« Calmez-vous s’il-vous-plaît ! lui ordonne Agnès, visiblement excédée par cette attitude.

- Désolé. Je venais voir ma sœur déjà à contrecœur mais alors là ! C’est le comble …

- Pourquoi à contrecœur ? l’interroge Lucie

- On est en froid depuis des années mais elle a besoin d’un rein et de dois passer les examens pour savoir si je suis compatible.

- C’est un beau geste. Même si vous êtes en froid, elle reste votre sœur. Les liens du sang, quoi …

- Mais je suis terrifié par les piqûres, les médecins, etc.

- Gardez juste la finalité à l’esprit : sauver votre sœur. Moi, si j’en avais une, je n’hésiterais pas.

- Vous voulez prendre ma place ?

- Euh … j’ai déjà une cheville amochée alors je souhaiterais garder mon rein.

- Non, je blaguais bien sûr. »

            Lucie se tourne vers l’aînée des infortunés de l’ascenseur :

- Et vous, Agnès. Pourquoi vous êtes ici ?

- Je viens rendre visite à une amie qui s’est faite renversée par une voiture. Je lui ai ramené cette boîte de pralines. Elle était en liquidation au supermarché. Certes, la date de péremption a expiré depuis quelques temps mais des chocolats … »

            Lucie observe la boîte ornée de feuilles de houx et de boules de Noël alors que l’on approche de Pâques.

« Vous ne la portez pas dans votre cœur, votre amie ! s’exclame-t-elle d’un air espiègle.

- Pourquoi vous me dites ça ?

- Ah, je pensais. »

Qu’est-ce qu’elle doit offrir à quelqu’un qu’elle n’apprécie pas ? Des roses séchées avec les épines, des pralines périmées depuis deux ans … Elle raconte qu’elle a tout de même pris le soin de décoller l’étiquette à la date accusatrice au moyen de la vapeur émanant de la vieille bouilloire en aluminium de sa grand-mère. Cette opération n’aura sûrement pas laissé les chocolats intacts. Lucie imagine la tête de sa copine à l’ouverture du cadeau.

Lucie, atteinte de crampes dans les bras et la jambe engourdie, décide de s’asseoir sur le sol glacé, adossée à la porte toujours désespérément close. Le temps passe sans avoir de nouvelles du monde extérieur. Des minutes, puis une heure. L’estomac de Lucie commence à émettre des gargouillis retentissants. Agnès propose ses pralines à ses compagnons. Mais ils refusent poliment. Lucie préfèrerait mourir de faim que d’intoxication alimentaire.

Soudain, la cabine semble se mouvoir lentement. De petits couinements se font entendre. Est-ce bon ou mauvais signe ? Ils ne savent pas mais, au moins, quelque chose se passe. Quelqu’un semble les remonter manuellement. Lucie imagine un Hercule de foire, sosie d’Hulk, dont le seul job est de hisser les ascenseurs en panne.

Lucie se remet debout avec l’aide bienveillante d’Alfred. Les portes commencent à s’écarter lentement, révélant le palier du deuxième étage. Un gringalet moustachu les accueille. Sa salopette grise arbore le logo présent dans l’ascenseur « BACCHUS LIFT ». Lucie lui demande naïvement :

« C’est vous qui nous avez remontés ?

- Bien sûr.

- Je vous imaginais plus balaise.

- C’est de la technique pas de la force, Mademoiselle. »

Sur ce, nos trois compères partagent finalement les pralines d’Agnès. Certes, le goût est un peu étrange mais de celui de la liberté retrouvée est meilleur. L’heure des visites a expiré et le service radiologie est fermé. Lucie propose aux autres de se retrouver le lendemain dans le hall.

14 heures est affiché sur l’horloge de l’hôpital. Lucie aperçoit Alfred faire le poireau et le rejoint. Elle remarque un pansement sur son bras.

« Tu as fait le test ?

- Oui et je suis compatible.

- Super !

- Euh, oui … Et toi, ces radios ?

- Oh, rien de grave. Deux semaines à tricoter avec ses machins et je pourrai à nouveau courser mon chat. Voilà Agnès !

- Salut, les jeunes !

- (en chœur) Bonjour Agnès. »

            Lucie et Alfred ont ramené une boîte de pralines qu’ils lui tendent.

« Merci. Je n’avais justement plus rien à offrir à mon amie.

- On peut vous accompagner lui rendre visite ?

- Bien sûr. »

            Les jeunes suivent Agnès jusqu’à la chambre 418  et font la connaissance de Delphine (eh oui, c’est bien la même que dans mon roman, elle était dispo pour le rôle). Celle-ci, surprise par la présence des deux inconnus, se voit conter leurs mésaventures de la veille. Mais ce qui l’étonne le plus n’est pas cette histoire rocambolesque mais le fait de recevoir pour la première fois des chocolats non périmés de la part de son amie Agnès.

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couscous1976
Posté le 11/05/2013
Merci. J'avoue aussi préférer la V1 même si la fin est tragique. Je vais la retravailler également.
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