Une paire de dames
Claude approche la quarantaine. Ses cheveux couleur de geai, ses yeux sombres et brillants, relevant un visage basané, ne laissent pas la gente féminine indifférente. La pratique régulière du jogging et de la natation le maintient dans une forme olympique et lui sculpte un corps d’athlète qu’il aime mettre en avant dans un T-shirt moulant. Rentier, il vit une existence paisible, rythmée par des soirées dans les casinos.
Fort de ses atouts, il se plaît à charmer les femmes. Voyant tout de même son kilométrage augmenter, il se dit qu’il ne peut plus se contenter de passades, de filles d’un soir ou deux, qu’il promet de rappeler mais dont le numéro finit dans la poubelle en bas de leur immeuble.
Un jour, il croise la route d’Arielle dans un restaurant. Elle dîne à la table d’à côté. Claude ne peut s’empêcher de l’aborder avec les banalités habituelles. Mais, étonnamment, elle l’ignore. Il décide de s’asseoir à côté d’elle, prétextant l’attaque d’une abeille. Il se fait charmeur, drôle et la magie semble opérer. Arielle se met à sourire et engager la conversation. A la fin du repas, Claude parvient à glaner son numéro de téléphone. Il est sous le charme : une chevelure blonde, des traits fins et un charisme indéniable. Il apprend qu’elle est chef d’entreprise et surtout célibataire depuis quelques mois, après une rupture douloureuse. Un cœur à réparer ? C’est dans ses cordes.
Quelques jours plus tard, dans une boutique de vêtements chics, il croise la silhouette parfaite et la beauté d’Alisée. Claude ne peut la laisser s’échapper. Il doit trouver un moyen de l’aborder. Il arrache un morceau de décoration d’un stand et l’accoste.
« Bonjour, Mademoiselle. Vous avez perdu ceci. »
Il lui tend une longue plume blanche. La jeune femme le regarde d’un air étonné.
« C’est une des plumes de vos ailes lorsque vous êtes tombée du paradis.. »
Alisée rougit et rit doucement. Il apprend qu’elle cherche une robe pour participer à un concours de miss de la région. Claude se propose de l’aider dans le choix, en arguant qu’aucune robe ne pourra faire ombrage à sa beauté. Et hop, un second numéro dans la poche.
Notre séducteur est un peu perplexe face à ses deux femmes magnifiques à recontacter. Impossible de choisir. Il lui faut d’abord apprendre à les connaître. Il appelle Arielle et lui fixe rendez-vous samedi soir. Il contacte ensuite Alisée et c’est mardi qu’il passera la chercher.
Samedi, 19 heures, il se gare devant la maison de la jolie blonde. Elle porte une magnifique robe noire en dentelle fine, mettant en exergue ses formes parfaites. Un maquillage léger souligne ses yeux de braise. Claude l’emmène dans un restaurant raffiné. La soirée est très agréable. Il découvre sa personnalité fragile, touchante derrière un caractère bien trempé, un tempérament de meneuse d’hommes. Il la dépose ensuite chez elle et ils se donnent rendez-vous le week-end prochain, la semaine étant totalement consacrée à son travail.
Mardi, 20 heures s’affichent sur la Rolex de Claude. Il sonne à l’appartement du deuxième étage d’une résidence privée. Alisée le fait monter. Elle porte la robe qu’ils ont choisie ensemble. Elle est rayonnante. Sa longue chevelure brune descend le long de son dos jusqu’à la naissance de ses reins dénudés. Des yeux de biche et des lèvres pulpeuses parfont sa beauté. Claude est subjugué.
Pendant la soirée, elle lui confie qu’elle poursuit de brillantes études d’infirmière. Elle travaille le week-end et certains soirs comme stagiaire. Elle est généreuse et dévouée. Son intelligence transparaît dans son discours soutenu. Elle a été sélectionnée pour la finale du concours de beauté grâce à ses qualités indéniables. En se quittant, ils prévoient de se retrouver dans une semaine pour une sortie cinéma.
Seul dans son lit, Claude est pensif. Il est partagé entre son amour pour la charismatique Arielle et la belle Alisée. Elles ne se connaissent pas, il ne risque rien à poursuivre les deux relations. C’est un jeu dangereux mais il est joueur et avoir une paire de reines dans son jeu, ça incite à continuer la partie.
Pendant plusieurs mois, il se partage donc entre les deux : Arielle le week-end et Alisée la semaine. A toutes les deux il a dit « Je t’aime » et elles lui ont répondu la pareille.
Un jour, distrait à la pensée de ses conquêtes, Claude se fait renverser par un bus. Le voilà dans sa chambre d’hôpital, immobilisé. Son portable sonne. C’est Alisée qui programme le rendez-vous de la semaine. A l’annonce de l’accident, elle promet de passer au plus vite. A peine raccroché, Arielle appelle pour échanger quelques mots d’amour pendant sa pause. Son cœur se serre, sachant son bien-aimé blessé.
Le lendemain, 18 heures, deux belles femmes prennent l’ascenseur de l’hôpital. L’une a une boîte de chocolats, l’autre des fleurs. Elles ne se jettent même pas un regard, elles sont inquiètes pour l’homme qu’elles aiment. Elles s’arrêtent toutes deux au troisième étage. Dans le couloir, chacune cherche la chambre 315. Etonnées, elles poussent la porte ensemble. Ce sont des doubles chambres, chacune se dirigera vers un lot différent, c’est obligatoire, pensent-elles. Elles sourient à cette pensée. Claude devient livide, aussi blanc que les draps de son lit. Autant il aurait bondi de joie, dans la mesure de ses capacités physique bien sûr, en voyant l’une des deux mais, ensemble, l’affaire se corse pour lui. Elles se postent de part et d’autre du lit. Arielle demande :
« Tu nous expliques ?
- Je suis désolé. Je vous aime tant toutes les deux. »
Alisée s’occupe de la conclusion :
« Et bien, tu t’en chercheras une troisième ! »
Les chocolats et les fleurs terminent dans la poubelle, comme l’espoir pour Claude de récupérer leur confiance.
Moralité : « à courir plusieurs lapins, on n’en attrape pas un » ou encore « le jeu des sentiments est plus dangereux que le jeu d’argent. »