Chapitre 1

Un véritable Halloween

            Les yeux incrédules, j’ouvre la porte du grenier. Mon cœur s’emballe car je ne m’attendais pas du tout à cela. Personne ne conserve ce genre de choses. Bon, je vous résume ce qui s’est passé jusqu’ici.

            Comme j’avais changé de job, j’ai dû déménager. Après de longues recherches, je dénichai cette offre un peu rocambolesque :

« Maison à louer, rez-de-chaussée et 1er étage, grenier non accessible, 1 chambre, SDB, cuisine, salle de séjour, jardin. De préférence personne seule, calme et avec un bon sommeil. »

            J’ai alors pris contact avec la propriétaire, une vieille dame, petite et frêle, aux cheveux blancs clairsemés, qui m’a posé plein de questions un peu bizarres telles que « Ecoutez-vous de la musique fort ? Invitez-vous souvent des amis ? Avez-vous le sommeil léger ? »

            Mes réponses semblant lui convenir, ce qui n’était pas le cas avec la dizaine d’autres candidats avant moi, nous avons signé le bail et j’emménageai le premier octobre.

            La maison était parfaite : rénovée, bien isolée, un beau jardin qui l’entoure. J’ai juste remarqué une particularité. Sur le côté de l’immeuble,  des morceaux de bois sont fixés dans les briques, formant une sorte d’échelle menant jusqu’à la toiture.

            Très contente d’avoir tant d’espace pour un si faible loyer, je me suis installée. Au premier étage, une porte mène au grenier mais je me suis souvenu des recommandations insistantes de la propriétaire m’interdisant de m’y rendre. Par curiosité, j’ai tourné la poignée mais la porte était fermée à double tour. Ce n’était pas grave, vu que je n’avais rien à y stocker.

            Vint la première nuit dans ce nid douillet. Je regardais la télévision dans ma chambre lorsque j’entendis des bruits provenant du dernier étage. D’abord un grincement, puis un éternuement, un bruit sourd de chute et ensuite le silence pesant. Je me suis alors demandé si ce n’était pas mon imagination. En effet, j’étais en train de regarder le film « Les griffes de la nuit » et cela vous donne la chair de poule et vous fait sursauter au moindre craquement. Peu rassurée, je finis par m’endormir.

            Le lendemain soir, juste avant le coucher du soleil, les trois mêmes bruits et plus rien. Au fil des jours, ce phénomène s’est répété. J’ai fini par m’y habituer.

            Vers la fin du mois d’octobre, j’ai fait une étrange découverte en tirant les cruaux des parterres de roses. Un objet étrange était coincé dans la haie d’aubépine. Avec des gants, je l’ai délicatement attrapé. Cela ressemblait à une oreille verdâtre à laquelle il manquait un morceau du lobe, comme si elle avait été mordue. L’approche d’Halloween faisait fleurir des décorations oranges et noires, des têtes de monstres et autres joyeusetés du genre. Un gosse aura trouvé drôle de jeter cela dans mon jardin. Je l’ai donc mis à la poubelle.  

En remettant mes outils dans la vieille remise poussiéreuse, attenante à l’habitation, j’ai découvert une vieille clé au fond d’un tiroir. A ce moment, une idée m’a traversé l’esprit : et si c’était … non ! Cela paraissait trop simple. De nature très, voire parfois trop, curieuse, je me suis précipitée au premier étage pour insérer ma trouvaille dans la serrure de la porte interdite. Doucement, j’ai tourné la clé et un son caractéristique m’indiqua que l’accès vers le grenier m’était enfin ouvert.

            Et me voici maintenant en haut des marches, face à un cercueil, une pierre tombale et une vieille penderie. Tous ces objets sont côte à côte, comme s’ils avaient été sciemment installés de la sorte. Des inscriptions presque effacées sont gravées sur chacun : « Robert » sur la bière, « Gilles » sur la stèle et Marguerite sur l’armoire. Je tente d’ouvrir le cercueil mais il semble scellé, de même pour la garde-robe.

            A l’approche de la nuit, je me poste en haut des escaliers, couchée sur les marches. La pénombre envahit rapidement la pièce, j’ai le cœur au bord des lèvres et espère secrètement que rien ne se passe. Quand soudain, le cercueil s’ouvre dans un mouvement lent, provoquant un grincement sinistre, la penderie fait de même et un éternuement en provient. Quant à la pierre tombale, elle pivote. Trois ombres se mettent à se déplacer vers la fenêtre quand une phrase résonne :

« Il y a un cœur qui bat ici ! »

            Les yeux écarquillés, je cesse de respirer mais je ne peux pas empêcher mon cœur de cogner violemment dans ma poitrine. Les trois êtres s’approchent de moi. J’empoigne ma lampe de poche que j’allume et braque dans leur direction. Des cris de terreurs se font alors entendre, auxquels je réponds par la pareille. 

En bégayant, je parviens à dire : « N’approchez pas ! » A la faible lueur de ma lampe, je découvre un homme tremblant, au visage blanchâtre et aux yeux rouges. Il est habillé de guenilles. A côté, un autre de petite taille, au teint verdâtre et bardé de cicatrices. Finalement, la troisième ombre se révèle être une jeune femme, pâle et translucide, habillée d’une longue chemise de nuit. Tous les trois semblent tétanisés par la peur. L’homme aux yeux ensanglantés prend la parole :

« Ne nous faites pas de mal, s’il-vous-plaît. Nous sommes pacifiques.

- Moi aussi, rassurez-vous. Mais, ce serait plutôt à moi d’avoir peur, vous ne pensez pas ?

- Non. Les mortels sont si cruels, ils nous pourchassent et nous persécutent depuis des siècles. Vous devez être la nouvelle colocataire. Vous êtes la première à avoir trouvé le moyen de monter ici.

- Qui êtes-vous ? Et que faites-vous dans ce grenier ?

- Je m’appelle Robert, voici Gilles et Marguerite. Nous logeons ici depuis la démolition du manoir où nous nous cachions précédemment. La société des M.S.G. nous a placés dans cette maison.

- M.S.G. ?

- Monstres Sans Grenier. Lorsqu’un monstre se retrouve à la rue, l’association nous trouve un propriétaire qui cède son grenier et loue le reste de la maison à un mortel.

- Mais vous pouvez squatter les cimetières !

- Ce n’est plus possible. Il y a trop de vandalisme. Les lieux ne sont plus sûrs pour nous depuis quelques années.

- Cela explique les bruits du soir : le grincement du cercueil, l’éternuement de Marguerite.

- Oui, la penderie est très poussiéreuse, se plaint le fantôme.

- J’époussetterai demain. Et c’est quoi le boum ?

- C’est moi ! Fanfaronne niaisement Gilles. J’aime bien sauter du toit. Après je cherche mes morceaux dans le jardin. C’est rigolo ! Z’avez pas vu mon oreille ?

- Oh ! C’était la vôtre. Je l’ai jetée mais elle doit encore être dans ma poubelle. Attendez. »

            Je cours au rez-de-chaussée rechercher le morceau de corps qui trône toujours au-dessus des déchets, et le rend à son propriétaire, tout guilleret, qui m’adresse un sourire édenté. Il replace l’oreille qui tient comme par enchantement.

« C’est pour vous alors l’échelle dehors ? Ainsi, vous pouvez aller et venir dans le grenier, sans passer par la maison.»

            Gilles acquiesce. Robert prend la parole

« Désolé, nous partons faire notre promenade nocturne.

- Vous allez vous rassasier ? Est-ce que vous attaquez les habitants ?

- Moi, je mords un cerf par mois. Cela me suffit. J’avoue avoir un jour forcé la porte de la Croix-Rouge et avoir dérobé quelques poches de sang. Mais c’était à l’occasion de mon trois centième anniversaire. J’ai fait un festin de roi. Gilles se contente de la décharge municipale. Marguerite n’a rien besoin.

- Et personne ne vous voit ?

- Nous sommes très discrets. Le seul jour où nous ne risquons pas d’être persécutés, c’est la nuit du 31 octobre.

- C’est dans deux jours. J’aimerais vous accompagner.

- Oui, bien sûr ! »

            Voilà, nous sommes le soir d’Halloween. Je peaufine mon déguisement de sorcière en collant une fausse verrue sur mon menton et pose un grand chapeau pointu sur ma tête avant d’ouvrir la porte du grenier. Mes trois colocataires descendent  lentement jusque dans la salle de séjour.

« C’est drôle. C’est la première fois que nous voyons les autres pièces de la maison. Très joli mais un peu trop coloré à mon goût.

- Tenez, je vous ai acheté des vêtements un peu plus corrects. »

            Je remets un costume d’occasion et une cape noire à Robert, un pantalon en velours avec des bretelles et une chemise à Gilles. Tout joyeux, ils se changent dans la salle de bain.

« Désolée Marguerite, je n’ai rien trouvé pour toi.

- Ne t’en fais pas, me dit le fantôme avec un sourire triste.

- Magnifique ! Mettons-nous en route. »

            Nous sortons dans la rue aux trottoirs hantés par des dizaines de gens déguisés en toutes sortes de monstres au réalisme variable. Et dire que mes amis en sont de réels ! Une affiche attire notre attention : Grand concours de déguisement. Je propose aux autres : « On tente ? » Après une longue hésitation et quelques mots de ma part pour les rassurer, ils marquent tous trois leur accord.

            Nous arrivons au chapiteau où se déroule le concours. Nous nous y inscrivons tous les quatre. Le principe est simple : il faut défiler devant un public et tenter de lui filer un peu la frousse. Je suis passée la première et ai tenté de sortir un rire diabolique mais je n’ai réussi qu’à m’étrangler, créant l’hilarité générale. Marguerite, trop timide est passée en coup de vent sur scène. Robert n’était étonnamment pas très convainquant en vampire. Par contre, Gilles a fait un tabac en retirant sa tête, la mettant sous son bras avant de partir. Il a d’ailleurs gagné le premier prix du concours : quatre places de cinéma.

            Aucun des trois n’est jamais allé voir un film dans une salle obscure. J’ai donc choisi pour tous et nous nous sommes installés devant « Saw ». Croyez-moi ou pas, mais ils ont eu la peur de leur …. mort ! 

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