Chapitre 1

Qu’as-tu « fée » ?

Il était une fois un couple très amoureux, je dirais même fou d’amour. On peut dire qu’ils s’étaient vraiment bien trouvés car Julia et Arpian avaient un point commun qui les unissait comme les deux doigts d’une même main : l’avarice extrême. Ils aimaient se lancer des défis, à celui qui serait « cap ou pas cap » de faire des choses folles pour économiser le plus ou dépenser le moins, selon l’angle de vue. Ainsi, ils n’avaient pas peur de sortir d’un restaurant sans payer l’addition, de se planquer le soir à l’affut de la sortie des poubelles d’un supermarché en vue de récupérer les choses comestibles, d’enfiler trois pulls au lieu d’allumer le chauffage alors qu’il fait moins vingt dehors. C’est d’ailleurs une de ces soirs que, lovés l’un dans l’autre, ils conçurent un enfant, qui naquit neuf mois plus tard, malgré tous les efforts de sa maman de le garder plus longtemps au chaud.

Vous aurez sans doute remarqué que j’ai commencé mon récit par « il était une fois ». Il me faut donc introduire un personnage de conte et celui-ci prit la forme d’une fée. En effet, celle-ci se présenta au-dessus du berceau du nouveau-né prénommé Iona, sous le regard inquiet de ses parents. La fée Pacdubien, à la chevelure rousse et hirsute, toucha délicatement le front de la petite fille endormie avec le bout de sa baguette magique avant de disparaître, sans prononcer une parole. Julia et Arpian se regardèrent et se demandèrent s’ils n’avaient pas rêvé cette apparition totalement rocambolesque en ce début de vingt-et-unième siècle.

            Vers l’âge de six mois, Iona commença à toucher à tout et à vouloir attraper les objets à sa portée. C’est alors que son don se révéla. Tout ce qu’elle touchait se voyait réduit de moitié. Ainsi, tous ses jouets, acquis après âpres négociations dans des marchés aux puces, devinrent tous des miniatures. Ses parents devaient prévoir des achats de vêtements très grands pour qu’ils soient ajustés dès leur portée. Heureusement, un objet touché ne rétrécissait qu’une fois. Le pire fut le jour où Julia laissa sa carte bancaire sur la table de la cuisine. Une minute d’inattention et Iona s’en empara, réduisant de moitié les économies familiales, pour le plus grand malheur de ses parents.

            Le couple dut s’accoutumer au drôle de don de sa fille qu’il adorait par-dessus tout. Lors de son entrée à l’école gardienne, il fallut prévenir l’institutrice. D’abord très perplexe devant cette révélation, elle comprit rapidement qu’il ne s’agissait pas d’une blague. Il y eut quelques réclamations de la part d’autres parents qui voyaient revenir leur enfant avec un mini cartable ou un pantalon devenu short, et Iona fut mise à l’écart. Mais les autres enfants étaient intrigués par son étrange pouvoir. Elle passait pour une magicienne. Au fil des ans, Iona parvint à contrôler son don. Au lycée, on venait même la voir pour rendre les copions encore plus discrets. Digne fille de ses parents, elle monnayait ses services.

            Très bonne élève, Iona poursuivit des études de médecine et choisit comme spécialité l’oncologie. Elle était capable de réduire les tumeurs avant de les extraire, causant ainsi moins de dégâts, mais aussi de calmer la douleur de ses patients. Il lui arrivait de donner un coup de main à ses collègues chirurgiens esthétiques pour des réductions mammaires, ce qui lui permettait d’arrondir ses fins de mois.

            Un jour, en participant à un colloque sur la thérapie génique, son chemin croisa celui de Didier. Lorsqu’ils se serrèrent la main, ils ressentirent un véritable choc électrique. Il leur fallut attendre quelques secondes avant de pouvoir rouvrir les doigts et sortir de l’étreinte de l’autre. Gêné, Didier prit la parole :

« Désolé ! C’était bizarre comme sensation. Je n’ai jamais eu cela avec personne. C’est sûrement mon don qui fait des siennes.

- Ou le mien … »

            Là, ils se révélèrent chacun leur secret mutuel. Didier avait hérité celui de pouvoir doubler les choses. Ils supposèrent que c’était la même fée qui s’était penchée sur leurs berceaux respectifs. Contrairement à Iona, Didier venait d’une famille très modeste avec peu de moyens. Les quelques jouets qu’ils parvenaient à lui offrir devenaient géants et ont vite empli sa petite chambre d’enfant. Plus tard, lorsqu’il parvint à contrôler son pouvoir, il doubla chaque mois le maigre salaire paternel et c’est ainsi qu’il put faire des études de généticien. L’analyse de l’ADN et de toute molécule est plus aisée lorsqu’elle atteint une meilleure taille.

            Voilà ! Ce qui devait arriver arriva. Ils étaient complémentaires et choisirent de ne plus se quitter. Chacun pouvait réparer l’erreur de l’autre en rendant à un objet modifié par inadvertance sa taille originelle. Une sorte d’alchimie, une compréhension naturelle de l’autre et un statut d’être à part les unissaient.

Un an plus tard, ils célébrèrent leur mariage et un enfant naquit rapidement. Ils se demandèrent alors de quel don le petit Vivien avait hérité. La génétique garde tout de même ses secrets, même pour un généticien renommé comme son père. L’enfant grandissait et ses parents s’extasiaient de sa normalité, lui assurant alors une vie classique mais simple. Toutefois, ils n’avaient pas remarqué l’ombre qui avait quitté précipitamment la chambre du bébé peu après sa naissance. Et de la même manière, ils ne virent pas tout de suite l’ours en peluche à côté de Vivien prendre doucement vie sous ses petits doigts.

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