Chapitre 1

Il est dix heures j'arrive à la piscine de la plage. C'est le début de la saison, elle n'est ouverte que quatre mois par an, aux beaux jours. Comme chaque année quelques travaux ont été faits, de nouveaux employés ont été embauchés.

A l'arrivée l'accueil n'est pas très chaleureux, une pancarte sur le comptoir devant l'employée dit :

« Montrez votre carte à chaque fois, même si vous venez tous les jours ! »

C'est bien ce que j'avais l'intention de faire « venir tous les jours ».  Fini le temps où on discutait avec Gigi ou Fanfan, de la pluie et du soleil, ou des enfants qui avaient grandi. Maintenant, plus de familiarité, il faut se dire que les nouveaux ne vous reconnaîtront jamais, et qu'ils devront vérifier que votre photo sur la carte corresponde à votre visage en vrai. Vu la tête que je fais sur le petit bristol, je risque de ne pas entrer souvent et au prix de l'abonnement ça va me faire une entrée chère.

Allez, mon faciès patibulaire n'a ému personne, je suis entrée. Sur la porte des vestiaires un nouvel écriteau :

« Chaussures interdites ! »

Je m'en doutais un peu, nager en chaussures ne doit pas être très pratique. Je regarde mes nouvelles plateforme shoes que je viens d'acheter en solde. Non décidément ils ont raison pour nager ça ne va pas le faire.

Avant de sortir des vestiaires, nouvel écriteau, ce sont des maniaques de l'affiche ma parole !

« Maillot obligatoire »

Ben voyons, je vais aller nager à poil avec mes chaussures, ça sera sûrement sexy mais je risque de me faire drôlement remarquer.

Un petit détour aux WC s'impose avant de faire mes longueurs.

« Toilettes boucher »

De mieux en mieux et pour les enseignants il y a des toilettes ?

Je sors et j'arrive près des bassins, il y a un soleil splendide et peu de monde, il est encore  tôt. L'eau est délicieuse, je commence mes longueurs, le bassin de 50 mètres est idéal. J'essaie de doubler un vieux monsieur qui nage la brasse devant moi. Il est tellement lent que je me demande comment il flotte, impossible de le doubler il nage en diagonale, j'arrive à feinter et à le dépasser par la droite. Il a la bouche ouverte en permanence, les yeux fermés, il semble mort. Serait-il possible que le courant occasionné par les autres nageurs le fasse se déplacer ? Je regarde autour de moi, sur la plage un petit bonhomme maigrichon avec l'air malade, affublé d'un sweat shirt rose trop grand pour lui semble bricoler une fenêtre. Sur son dos est inscrit :

« Lifeguard »

Je suis sûre qu'il essaie de garder le peu de vie qui lui reste pour lui, il ne sera d'aucune aide à mon nonagénaire.

Je dépasse les papoteuses en palmes et planches et les vieilles dames qui marchent dans l'eau avec leurs ceintures spéciales.  Quand soudain une tornade me double, un groupe de nageurs avec des plaquettes aux mains me poussent littéralement de ma ligne d'eau. Ils doivent s'entraîner pour les prochains jeux olympiques de leur imagination, et pour eux, la natation c'est du sérieux.

Je sors de l'eau, j'ai nagé un kilomètre, je mérite bien un sandwich et  un café. Sur la porte du club house nouvel écriteau, le malade de l'affiche a encore frappé !

« Maillot interdit ! »

Je jette un coup d'œil à l'intérieur, personne n'est nu, j'entre donc en attendant une remarque quelconque quant à ma tenue. Rien, on me sert comme si tout était normal. Ouf, je ne me voyais pas enlever mon maillot pour déjeuner.

Je retourne sur la plage où ma serviette m'attend. Je croise toutes sortes de phoques et de baleines qui ne vont jamais dans l'eau mais passent leur temps à se faire bronzer voire cuire au soleil. De temps en temps quand le soleil tape trop ils vont rincer leur sueur et leur huile à bronzer dans l'eau javellisée de la piscine :

« Elle est rien froide aujourd'hui ! »

Et oui Madame elle n'est qu'à 27 degrés pas assez pour vous faire bouillir avec un bouquet garni !

Une femme avec des gants de toilettes en guise de seins qu'elle exhibe à tout le monde demande à son mari :

« J'ai soif est-ce que tu crois que je dois boire ? »

Son mari à mon grand étonnement ne l'envoie pas balader, il lui fait un cours sur la façon de boire, et en quelle quantité pour que ce soit plus efficace. Elle l'écoute bouche bée, comme si il lui expliquait la théorie de la relativité.

« Je t'ai dit que tu ne devais pas nager ! » Lui dit encore le mari d'un air de maître d'école,

« Je t'ai montré les mouvements pendant tout l'hiver, mais si tu nages cet été tu vas prendre de mauvaises habitudes. Je t'observais tout à l'heure, tu faisais n'importe quoi, je t'ai dit de sortir du bassin parce que tu gênes tout le monde ! »

Vu la largeur et le peu de monde qu'il y a dans l'eau je ne sais pas qui elle gênait, mais cette femme écoute son mari avec admiration, et si il lui disait de suivre à la lettre toutes les indications présentes sur les affiches, elle le ferait sans hésiter. Je suis à deux doigts de le suggérer au mari pour rire un peu.

Au bord de la piscine un homme apprend à son fils à plonger. Il a une rougeur étrange sur la jambe gauche. Le rouge semble bordé d'un trait noir. Je m'approche discrètement, mes yeux de myope ne me permettent pas de voir ce que c'est. En fait il s'agit d'un tatouage ! Il semble que ce soit une grosse bête... Mais oui bien sûr c'est un homard énorme qui est dessiné sur toute la surface de son mollet. Visiblement il est cuit à point. Un homard cru aurait ressemblé à un gros scorpion grimpant le long de sa jambe, là, il ressemble plutôt à une publicité vivante pour une poissonnerie, « amenez- moi la mayonnaise ! »

Je me retourne vers mon sac pour prendre un magazine, ma voisine d'à côté arrange sa serviette en me présentant un postérieur énorme partagé en son milieu par la mince ficelle d'un string. Le surveillant de bassin me regarde avec un clin d'œil et me dit :

« Un vrai calendrier de routier ! »

Au loin j'aperçois mes amis qui arrivent. C'est ça aussi la piscine de la plage, un endroit où on rencontre des amis.

Demain je reviens faire mes longueurs, la saison commence !

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Edouard PArle
Posté le 08/06/2023
Coucou Arielle !
Pour le bingo, je cherchais un chapitre avec un personnage qui nage, je suis donc tombé sur ton histoire. Franchement, ça a été une très bonne surprise. Déjà, l'exercice d'écrire sur des scènes quotidiennes, sur les détails auxquels on ne prête pas forcément attention, c'était super intéressant. Mais surtout, l'humour fonctionne super bien. J'ai ri 2,3 fois. Le homard trop cuit, le papi mort dans l'eau, les blagues cyniques fonctionnent super bien.
J'ai passé un très bon moment !
Mes remarques :
"Il est dix heures j'arrive à la piscine de la plage" virgule après heures ?
"Non décidément ils ont raison pour nager ça ne va pas le faire." ajouter une virgule ?
"« Elle est rien froide aujourd'hui ! »" -> bien
"qu'à 27 degrés pas assez pour vous faire bouillir avec un bouquet garni !" -> virgule après degrés ?
Un plaisir,
A bientôt !
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