Chapitre 1

Rien ne va jamais, quels que soient les efforts que je fournisse, il y a toujours quelqu’un pour critiquer ce que je fais.

 

-       Tu dors encore ?

 

-       Il n’y a rien à manger ? (Le réfrigérateur a été rempli à ras bord par mes soins).

 

-       Tu ne vas pas sortir dans cette tenue ?

 

-       Votre travail n’est toujours pas fini ?

 

-       Tu es toujours malade !

 

Bref, même si je parcours des kilomètres à pied, si je change de menu à tous les repas, si j’essaie de porter des talons hauts qui me tuent les orteils. Si je travaille douze heures par jour et que je me gave d’anti douleur, il y a toujours quelque chose qui cloche.

 

J’EN AI MARRE !!!!

 

En surfant sur internet, je trouve un camping-car Volkswagen, parfait pour une personne – c’est ce qui est écrit sur l’annonce. Il est entièrement aménagé. J’appelle et je l’achète. Je prépare mes valises dans la foulée et je quitte la maison en laissant un mot sur la table avec mon portable.

 

« Je pars en vacances. »

 

Mon nouveau « chez moi » est orange et beige. L’arrière se relève et peut faire auvent ou abri contre la pluie. Il y a une couchette-divan, un petit évier et des placards partout. Le moteur et les pneus sont neufs, et tout a été entièrement révisé. J’achète un nouveau portable avec un nouveau numéro, et je pars.

 

Dès les premiers kilomètres, un vent de liberté souffle dans mes cheveux. Le poids qui pesait sur mes épaules s’allège. J’arrive à atteindre 100 kilomètres/heure avec mon bolide. J’ai emporté un livre de cartes routières. Je décide de suivre le tracé de la côte en descendant vers le sud. Mon autoradio fonctionne, il a même une prise usb, j’écoute Pharrell Williams à fond :

https://www.youtube.com/watch?v=y6Sxv-sUYtM

« Clap your hands

If you feel like a room without a roof”

 

Je ne me sens plus comme une pièce sans toit, j’ai mon petit VW qui file sur l’asphalte avec sa bonne bouille des années 70.

 

« Clap your hands

If you feel like happiness is the truth.”

 

Le bonheur il n’y a que ça de vrai, il a raison Pharrell, rien de tel que de se sentir heureux.

 

« Clap your hands

If you feel what happiness is to you. »

 

Pour moi, en ce moment, le bonheur, c’est d’être seule et de chanter en battant la mesure sur le volant de mon minibus.

 

« Clap your hands

If you feel that’s what you wanna do. »

 

Oui ! C’est tout à fait ce que je veux faire.

 

Je suis partie à 13 heures et en deux heures je n’ai parcouru que 100 kilomètres. Personne ne me dit que je me traîne, personne ne me dit qu’on va arriver tard. Je roule à mon rythme  et je m’arrête quand je veux.

 

Après cinq heures de route et un arrêt au bord d’un champ de colza d’un jaune éclatant, je décide de garer mon mini van sur un parking face à la mer. J’ai des stores aux fenêtres, personne ne peut soupçonner que je couche dedans.

 

Je me réchauffe une boîte de raviolis, je porte un jogging en polaire et une doudoune. Nous sommes au printemps mais personne ne va me dire :

 

-       Il fait 15°C et tu t’habilles comme en plein hiver !! Tu n’es pas très glamour.

Un tremblement agite mes mains. Combien de réflexions désagréables ai-je dû entendre depuis que je suis née ? Des centaines, des milliers. J’ai toujours eu l’impression de créer des problèmes aux autres, mon inconfort dérangeait.

 

-       Comment as-tu fait pour te tordre le pied, le trottoir est droit !

 

-       Tu es encore tombée, fait attention bon sang, tu me stresses !

 

-       On ne va pas vivre les fenêtres fermées sous prétexte que tu as toujours froid, on étouffe, j’ai besoin d’air !

 

-       Tu ne peux pas mettre des chemises de nuit sexy ? les polaires c’est pas terrible.

 

-       Tu as mal à l’épaule parce que tu as fait le lit ? Tu t’écoutes trop !

 

J’en étais arrivée à me dire que les autres devaient avoir raison, je suis une emmerdeuse, je dois faire plus d’efforts. Jusqu’au jour où :

 

-       Madame, je pense que vous souffrez du syndrome d’Elhers-Danlos.

 

« Dans l’os ?» Elle se fiche de moi cette doctoresse spécialiste de la douleur, que je suis allée voir un jour sur les conseils d’une copine.

 

-       Vos articulations sont trop flexibles, vous êtes hyperlaxe. Vous êtes très frileuse, vous avez des problèmes à la cornée et vous avez fait un AVC. Vous êtes atteinte de ce syndrome qui touche une partie infime de la population, c’est une maladie orpheline.

http://www.afsed.com/syndromes.html

           Vous n’êtes atteinte que du stade 1, le seul traitement est le sport.

 

Cette nouvelle qui aurait dû m’abattre, me soulage. Je regarde le tableau clinique de cette maladie et ma vie défile devant moi. Tous ces reproches que j’ai entendus sur ma fragilité.

Je ne suis pas fragile en fait. Je suis forte, j’arrive à vivre normalement malgré tous les obstacles que ce syndrome met sur ma route !

 

Je pars me promener sur la plage, je ne veux plus voir personne. Je dois trouver mon propre rythme et ne plus essayer de me calquer sur celui des autres, il faut que j’arrête de m’épuiser.

Un chien me suit depuis dix minutes, il est perdu et semble m’avoir choisie comme nouvelle maîtresse.

 

-       Bonjour, comment est-ce que tu t’appelles ?

Le petit bâtard me regarde, j’ai l’impression qu’il sourit.

Je rentre dormir treize heures d’affilée dans mon hôtel roulant. Au matin, le petit chien est toujours là. Je décide de l’emmener avec moi. Je ne sais pas si je rentrerai un jour. Je chante en battant la mesure sur mon volant, la route est toute droite devant moi.

 

« Clap your hands

If you feel that’s what you wanna do »

 

Happy (c’est le nom de mon nouveau chien), est assis sur le siège passager, nous roulons vers le sud.

 

 FB arielleffe

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