Chapitre 1

Je m’appelle Pupuce, et je vis avec Paulette. Je suis une chihuahua adorable. Quand je fais les courses avec Paulette, les gens se retournent sur moi.

-       Quel joli petit chien ! Il est minuscule ! Je peux le caresser ?

Je suis une star dans le quartier.

Un jour, je découvre un magazine tombé par terre, à côté du canapé. On y voit une jeune femme magnifique, blonde, avec des vêtements superbes, et, un chihuahua. Son chien est beaucoup moins beau que moi, mais il porte un collier en diamant, un charmant petit manteau, et sur certaines photos, il a des lunettes de soleil. Elle l’emmène partout, sur la plage, dans les restaurants, dans des soirées au milieu de gens très connus. Ils appellent ça des « people ». Et oui, je sais lire. Paulette me traîne partout, je regarde la télévision avec elle, je vais au cinéma. Le matin, elle n’a rien à faire de spécial, mais elle se lève à l’aube. Les vieux ça ne dort pas, c’est bien connu. Elle allume la télé au saut du lit. A force de regarder les émissions pour enfants, j’ai appris à lire. « A » comme dans « ananas », « B » comme dans « banane ». Heureusement que j’ai la lecture pour me changer les idées !

 

Je regarde Paulette qui ronfle la bouche ouverte sur le divan. Elle me paraît repoussante. Elle est vêtue d’une horrible jupe de laine grise d’où sortent des jambes couvertes de varices. Elle a un chemisier en rayonne avec des grandes fleurs violettes. Elle me dégoute. Je veux une maîtresse comme la jolie blonde sur le magazine. Je mérite une vie meilleure. Pourquoi est-ce que j’ai atterri chez cette vieille peau qui sent l’ail ?

Elle ouvre ses yeux chassieux.

-       Coucou ma Pupuce, tu regardes Paris Hilton sur Voici ? Tu as vu, elle a le même petit chien que moi. C’est peut-être ton cousin sur la photo. Viens ma fifille, vient donner un bisou à maman.

Elle me soulève. Je vois sa grosse tête permanentée et sa bouche baveuse s’approcher de mon visage. Je me mets à trembler de tout mon corps.

-       Tu trembles ma petite chérie ? Viens faire un câlin.

J’essaie de m’échapper, mais elle me retient avec ses grosses mains. Je finis par grogner pour qu’elle me fiche la paix.

-       Tu as mal quelque part ma puce ?

Oui, j’ai mal, de devoir rester avec toi, espèce de grosse truie !

Je décide de m’évader. Je ne peux plus rester dans cette maison, où tout est moche. Les poupées en coquillages côtoient les gondoles de Venise, et les castagnettes d’Andalousie. J’ai envie de vomir. Je profiterai des courses au marché pour me faufiler entre ses grosses jambes, et bye bye Paulette !

-       Allez, on sort Pupuce. Viens voir maman. Regarde, je t’ai acheté un sac pour aller promener.

Zut, ça va être dur de sauter de là-dedans, je vais me casser une patte. Paulette m’installe dans son sac pourri. Il est confortable, mais d’une laideur incroyable. Celui de Paris est en cuir, c’est un Vuitton fait spécialement pour son chien, un article unique ! J’ai appris qu’il s’appelle Tinkerbell -fée clochette. C’est quand même plus original que Pupuce.

On sort. Ma seule chance de pouvoir m’enfuir est de crapahuter sur l’étal du marchand de légumes.

-       Bonjour, monsieur Dutôt,  elles sont belles vos poires, je vais en prendre deux s’il vous plaît.

Pendant que le bonhomme rougeaud choisit les fruits, je saute du sac, et je me retrouve dans les cerises à pédaler comme une imbécile.

-       Ben alors ma toute belle, tu es tombée ?

La voix de Paulette devient nasillarde dès qu’elle s’adresse à moi. Non je ne suis pas tombée, j’ai voulu me faire la malle !

-       Tu vas te faire mal mon pauvre amour.

Et zip ! Me voilà enfermée dans son maudit sac à chien.

 

Je vais faire la grève de la faim, comme ça, elle m’emmènera chez le vétérinaire, et je me sauverai. Il s’apercevra peut-être que je suis malheureuse, il pensera peut-être que je suis maltraitée.

Comme chaque soir, Dame Paulette arrive avec une gamelle remplie à ras bord d’un plat qui m’a l’air super appétissant. Par contre, ça n’est pas la super assiette de Tinkerbell, toute chromée, avec une couronne gravée dessus. La mienne est en plastoc marron. La grosse n’a décidément aucun goût. Je regarde Paulette d’un air très malheureux, et je ne bouge pas de mon coussin.

-       Ma Pupuce, tu ne viens pas manger ? Tu n’as pas faim ?

Elle me prend dans une main, et m’amène près de la nourriture. Ça sent très bon, mais je résiste. Je tourne la tête, et me remet à trembler. Ça marche toujours, elle prend peur.

-       Tu es malade ! Mon dieu, qu’est-ce que je vais faire ?

Elle décide d’attendre jusqu’au lendemain. Bien sûr je recommence le même manège. Je suis complètement affamée, mais je ne cèderai pas.

Elle appelle le vétérinaire qui doit venir à la maison, ce n’est pas ce que j’avais prévu. Je ne pourrai pas m’échapper, c’est la poisse ! Quand il me voit, il sort une grande seringue de sa sacoche, et me la fourre dans le gosier, je sens une pâte ignoble descendre le long de mon œsophage. Vous vous demandez sûrement comment je peux avoir une telle connaissance de mon appareil digestif. Et bien j’adore les émissions médicales, et je n’en rate aucune.

-       Voilà Madame Martin, cette pâte est très protéinée, elle va la nourrir jusqu’à demain. Je vous laisse, deux autres seringues, on ne sait jamais. Elle devrait se réalimenter normalement dans les heures qui viennent. Elle a dû mal digérer quelque chose. Ces chiens sont si petits que ça peut être dangereux s’ils sautent un repas.

Et l’imbécile s’en va. Pourtant je lui ai bien montré à quel point j’étais malheureuse. Je l’ai regardé avec mes grands yeux noirs, implorant de l’aide. J’ai même poussé des petits gémissements déchirants pour attirer son attention. Cet homme est sans cœur !

 

Le lendemain, je ne veux toujours rien manger. Cette fois-ci j’ai vraiment perdu l’appétit. Quand Paulette s’approche de moi avec sa seringue, je lui montre les dents. Quand elle insiste vers midi, je grogne. Et quand elle essaie de m’attraper vers 19 heures, je deviens féroce.

-       Mais ma bibiche, c’est moi, ta petite maman, viens ma chérie.

Elle se penche vers moi, et j’ai envie de lui sauter à la gorge. Je n’ai pas le temps de le faire. Paulette s’étale de tout son long sur le sol mouillé de la cuisine. Je ne vous ai pas dit, mais pour l’embêter encore plus, je me suis mise à faire pipi partout. La seringue s’est enfoncée dans son cou grassouillet, et elle agonise en me regardant. Sa bouche s’ouvre et se referme comme si elle était un gros poisson. Après quelques minutes, elle meurt.

 

Je suis restée trois semaines avec Paulette morte, affalée sur le carrelage de la cuisine. Au bout de vingt-quatre heures, il a bien fallu que je me nourrisse. Je suis trop petite pour monter sur les meubles. Je n’ai pas assez de force, pour ouvrir les placards. Paulette avait la jupe retroussée sur ses gros jambonneaux, ils étaient bien appétissants ma foi ! J’en ai mangé un la première semaine, un deuxième la suivante, puis j’ai attaqué les mollets.

Quand la police est arrivée, ils ont tout de suite compris ce qui s’était passé. Ils m’ont emmenée à la fourrière, et maintenant je suis dans le couloir de la mort. J’aimais trop le luxe, avant de partir j’écrirai en lettres de sang sur le mur de mon chenil : «Paris m’a tuer» !

FB arielleffe 

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