Quand sa mère arriva à la fin du conte, Sammy ne broncha pas, pourtant vaguement scandalisé, comme toujours. Elle changeait avec aplomb la conclusion de l'histoire : une dame riche et sans enfants découvrait la petite marchande d'allumettes à la lueur des allumettes qu'elle craquait dans le noir, et l'emmenait chez elle.
Mais Sammy connaissait la vraie fin de l'histoire. Son frère la lui avait racontée, un soir, et cette fin-là avait eu l'accent de la vérité. Elle était plus triste, et aussi plus compliquée, avec cette phrase qui le laissait perplexe : celle qui disait que la petite montait avec sa grand-mère devant le trône de Dieu.
Oui, Sammy était perplexe, car valait-il mieux être adopté par une dame riche et manger des oies rôties dans un salon bien chauffé devant un sapin de noël, ou bien parvenir en un lieu où l'on n'avait plus froid, ni faim, ni chagrin ? Plus de chagrin, ça oui, il pouvait le compter dans les plus. Mais plus faim ? C'était agréable d'avoir faim et de se remplir l'estomac des viandes et poissons que son père faisait griller sur le barbecue. Pour le froid, ça, il ne savait pas trop. Ici, il ne faisait jamais froid. Plutôt chaud et humide, et les moustiques s'en régalaient. Est-ce que dans cet endroit, on n'avait plus chaud, non plus ?
Quant à Dieu, il en avait bien entend parler, mais chez lui, la figure du vieillard barbu n'avait pas trop la cote. Enfin, papa et maman lui avaient dit qu'on ne savait pas s'il existait, mais son frère Théo, lui, avait affirmé que c'étaient des conneries. Bon, Théo parlait mal parfois, mais ce n'est pas pour autant que ce qu'il disait n'avait pas de sens.
Sammy soupira quand sa maman lui fit une bise, interrompant sans le savoir ses réflexions profondes.
- J'aime bien cette histoire, fit-il d'une voix ensommeillée.
- Je sais, mon chéri. Mais on pourrait changer, de temps en temps.
- Oui, peut-être, on verra.
Sammy avait l'impression que quelque chose lui échappait dans ce conte. Que quelque chose s'y passait qui défiait sa compréhension. Peut-être en le réécoutant de nombreuses fois découvrirait-il ce qui le chiffonnait ? Cela ne semblait pas fonctionner, pourtant, car il avait déjà entendu le conte une bonne dizaine de fois. Non, plus que ça, sûrement.
Sa maman lui ébouriffa les cheveux, remonta le drap jusque sur son menton et sortit en fermant la porte derrière elle.
Sammy tricota des jambes, si bien que le drap se retrouva froissé à ses pieds. On n'était pas dans le grand nord, ici. Rien à craindre du froid, il fallait en revanche bien fermer les moustiquaires aux fenêtres pour éviter que les sifflements des bestioles ne gâchent sa nuit. Il s'endormit en se disant qu'on était mieux là que dans les rues du conte, un endroit glacé où la nuit durait si longtemps en hiver que le soleil n'avait pas le temps de réchauffer les maisons et les gens. Un endroit bien triste ; Sammy sentit une larme couler sur sa joue.
***
- C'est la dernière goutte !
- La dernière goutte
- ...La dernière goutte
Au centre de la cour de récréation trônait un immense réservoir plein d'eau à ras bord et de drôles de créatures faisaient la farandole autour en s'exclamant à grand bruit. Sammy reconnut les visages de ses petites camarades de classe, mais elles portaient de curieuses tenues, et elles avaient diminué de taille pour ne plus mesurer qu'environ un tiers de leur hauteur habituelle. De grandes ailes ornaient leur dos et alors que Sammy les fixaient, il en vit une, puis deux, puis trois, qui s'élevaient dans les airs. Et elles luisaient de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Les garçons de la classe n'étaient pas loin : le nez collé contre la vitre de la classe, ils contemplaient une scène dont, visiblement, ils étaient exclus.
Surveillant la scène avec un air sévère, Monsieur Langford, le directeur de l'école, tenait la main un gros livre ancien sur lequel il venait d'ajouter une signature, d'un air d'autorité, avant de le fermer d'un claquement. Il portait son costume gris habituel, celui qui ressemblait au canapé du salon chez Sammy.
Il dirigea son regard vers Sammy, qui se demanda ce qu'il faisait là. Il semblait contrarié. Pourquoi Sammy n'était-il pas avec les autres garçons ? Avait-il fait une bêtise ?
- Tu seras son parrain, déclara le directeur avec raideur.
- Qui, moi ? Parrain de qui ? Pourquoi ?
- Parrain, parrain, parrain, crièrent les petites créatures.
- Parrain, parrain, parrain, firent en écho les garçons derrière leurs vitres, en tapant sur les carreaux avec excitation.
- Pas la peine que je t'explique mon garçon, rétorqua le directeur. De toute façon, tu ne te souviendras de rien,.
- Pas la peine, pas la peine, pas la peine ! chantonnèrent les petites lucioles.
- Mais enfin, s'indigna Sammy, je suis censé faire quoi ? C'est quoi ce bocal à poisson géant ?
- Bocal, bocal, bocal, répétèrent les lucioles.
- Tu dois lui donner un nom, intima le directeur.
- Un nom, quel genre de nom, un nom pour qui ?
- Un nom pour la petite fille, voyons.
- Mais quelle petite fille ?
- La petite fille du conte, la petite fille aux allumettes. C'est bien toi qui viens de verser une larme pour elle ? Regarde, le réservoir est plein ! Il lui faut un nom pour revenir sur terre.
Qu'est-ce que c'était que cette histoire. Et qu'est-ce qu'il y connaissait en nom ? Sammy fouilla dans sa mémoire pour un nom de fille pas trop moche. Tout ce qui lui venait à l'esprit, c'étaient les prénoms de ses camarades de classe, mais ça ne lui plaisait pas. Ah si... il y avait bien un nom, celui de la fille de l'autre conte, celui que racontait aussi sa mère.
- Aurore, fit-il avec finalité.
- Aurore, Aurore, Aurore, s'époumonèrent les lucioles avec entrain.
Elles tournaient maintenant autour du réservoir à toute vitesse, dans tous les sens, en un manège qui donnait le tournis à Sammy. C'est pour cette raison qu'il mit du temps s'apercevoir que le directeur s'approchait de lui, un étrange objet dans les mains. Il tenait à pleine poigne une allumette géante, qui devait bien mesurer un mètre de long. Avant que le garçon ait pu dire quoi que ce soit, M. Langford lui avait collé le truc entre les mains.
- Attention, surtout tiens-toi loin de la gueule.
- la gueule, la grande gueule, la gueule.
Effaré, Sammy remarqua alors que le bout de l'allumette, celui qu'on frotte habituellement pour créer la flamme, était une tête de taureau au large front et au mufle écumant de rage. Il faillit tout lâcher, mais resserra sa prise in extremis : il n'avait pas envie de voir le monstre se retourner contre lui.
- Allez, vas-y, encouragea le directeur, il faut casser ce réservoir ! Le conte est bon, il est temps maintenant.
- Le conte est bon, le conte est bon, le conte est bon, entonnèrent les enfants d'une voix joyeuse.
Poussé par l'enthousiasme ambiant, Sammy s'approcha du réservoir. A vrai dire, l'allumette le tirait en avant, il n'eut qu'à se laisser faire. Elle se cabrait comme un animal avide et lui échappa presque des mains pour aller se jeter sur le bocal qui se fracassa avec un bruit cristallin.
L'eau se rua en une vague géante sur Sammy, qui ferma les yeux.
***
- Sammy, Sammy, grande nouvelle !
Pourquoi le réveillait-on ? N'était-on pas dimanche matin, le seul jour de la semaine où il pouvait dormir ? Sammy ne surveillait pas toujours la pendule, on le lui reprochait assez souvent, mais le dimanche matin, c'était sacré. Et que faisait ici Rosalyne, sa baby-sitter ?
- Bonjour bonhomme, lui fit-elle sur un ton taquin. Il serait temps de te réveiller.
Il se frotta les yeux et grogna un bonjour endormi.
- Ques' tu fais là, Rosy ?
- Hum, il s'en est passé des choses, pendant que tu dormais.
Elle avait l'air contente, alors Sammy se figura que ce devaient être des choses plutôt agréables. Curieusement, elle n'en expliqua pas plus, alors Sammy se dit que c'était sûrement évident. Il était souvent un peu dans la lune et certaines choses lui échappaient parfois.
- Ah oui ? bailla-t-il. Où est tout le monde ?
D'habitude le dimanche, il entendait son frère Théo qui jouait bruyamment dans sa chambre ou qui regardait des films avec le son toujours trop fort. Ça le réveillait même, des fois.
- On va les rejoindre. Allez, allez, on se dépêche.
Rosalyne lui fit son petit déjeuner et ne protesta pas quand il réclama son dessin animé favori. La vie était facile avec Rosy. Elle lui sortit des vêtements, et une fois qu'il se fût habillé, elle l'emmena en voiture.
Ils arrivèrent près d'un grand bâtiment blanc devant lequel des voitures nombreuses défilaient, en un manège bien réglé. Ils allèrent se garer dans un parking parmi des rangées bien alignées de voitures de toutes les marques et de toutes les couleurs. Ça ressemblait à l'école, mais en beaucoup plus grand. Le hall, lui aussi, parut immense à Sammy et les gens étranges, avec leurs blouses blanches et vert pâle. Ils prirent plusieurs ascenseurs et parcoururent des couloirs et des couloirs.
Enfin ils arrivèrent devant une porte. Rosalyne frappa doucement.
- Entrez, fit la voix de papa à l'intérieur.
La porte s'ouvrit et Théo déboula en cachant la vue à Sammy.
- C'est à c't'heure-là que t'arrives ?
- Oh, Théo, on se calme, gronda papa à mi-voix.
Théo se poussa un peu et Sammy découvrit la chambre. Maman était dans un lit, avec papa assis à côté. Et dans les bras de maman, il y avait un bébé. Bien sûr, c'était le jour où le petit frère avait décidé de faire son apparition. Pas de quoi en faire tout un plat, se dit Sammy. S'il était aussi pénible que son frère aîné, ça n'allait pas lui simplifier la vie.
- Viens voir ta petite sœur, souffla maman.
Troublé, il s'approcha. Une petite sœur ? Mais ce n'était pas du tout prévu au programme, ça !
- Il y a eu une petite erreur, expliqua papa. Les médecins nous avaient dit que c'était un petit garçon, mais c'était une petite fille. Une petite fille facétieuse, apparemment.
- Mais tu vas voir, dit maman, ce sera très bien d'avoir une fille à la maison. Et elle a l'air d'avoir le sens de la plaisanterie, alors tu t'amuseras bien avec elle.
Le bébé avait les yeux ouverts et semblait le fixer avec sérieux.
- On a décidé de l'appeler Aurore, ajouta maman.
C'est sympa de te voir par ici, et ça m'a donné l'occasion de retrouver ce texte que je n'avais pas relu depuis l'époque de son écriture. Si je me rappelle bien, c'était un exercice imposé pour Noël, il s'agissait de revisiter le conte de la fillette aux allumettes.
C'est troublant, parce que je ne m'en souvenais même pas...
Oui bien sur, le "conte" était un jeu de mot...
Merci de ton passage !
Oh, c'est tout mignon ce petit garçon fasciné par l'histoire de la petite marchande d'allumettes ^^ J'ai vraiment pensé que ce n'était qu'un rêve, surtout avec le maître d'école et les camarades de classe qui s'y retrouvent... Et puis non ! J'ai beaucoup aimé la fin du coup, vu que je m'y attendais pas. Je me demandais même ce qui s'était passé, j'étais un peu inquiète. Et puis non ! Une bien jolie conclusion, du coup <3
Belle participation !
C'était un peu l'idée : on comprend vite que c'est un rêve, mais quelquefois les rêves sont plus réels qu'on ne le pense...
J'ai beaucoup aimé cette histoire toute légère et bien dans l'esprit de Noël :)
Je pense que tu as un vrai don pour faire "parler" les enfants (comme dans Naelmo). Ton petit Sammy fait très petit garçon. Il est bien dans le rôle.
Le rêve m'a fait rire car tu décris très bien l'ambiance totalement surréaliste des rêves.
Mon seul mini bémol c'est que, comme c'est un premier jet, le style est moins travaillé que ce que tu nous proposes d'habitude. Mais ça n'enlève rien à l'intelligence de cette revisite très réussie.
Celinours
Pour le style, c'est sûr, il a manqué l'étape relecture approfondie... j'ai fini la rédaction une heure avant l'heure limite XD
Mais ça reste une jolie interprétation, avec beaucoup d'espoir et un style enfantin qui passe très bien, faisant tout à fait penser aux histoires pour enfants que j'aimais tant dans j'aime Lire !
Merci pour ton passage. Oui c'est vrai, l'histoire reste la même, jusqu'à un certain point. Mais si on doit suivre à la lettre les consignes, où va-t-on ? ;-)
Je me suis bien amusée avec le rêve XD
Ton approche est tout à fait originale et la fin est totalement inattendue. La structure de ton récit est aussi différente de tout ce que j’ai lu jusque-là, avec ses trois parties : les réflexions de Sammy, très crédibles pour un petit garçon, le rêve, absurde comme le sont souvent les rêves, mais qui fait écho à la surprise du dimanche. C’est une charmante histoire, que j’ai eu du plaisir à lire.
Comme j’arrive bien après le concours, je me doute que rares seront les plumes qui corrigeront leur texte. Mais bon, on ne se refait pas ; alors j’ajoute mon petit relevé. On voit que tu as dû te dépêcher. Mais au moins, tu es arrivée à l’heure, toi...
devant un sapin de noël [Noël]Quant à Dieu, il en avait bien entend parler [entendu]et alors que Sammy les fixaient [fixait]tenait la main un gros livre ancien [à la main]De toute façon, tu ne te souviendras de rien,. [Il y a une virgule qui traîne.]Qu'est-ce que c'était que cette histoire. [Je mettrais un point d’interrogation ou éventuellement d’exclamation]- la gueule, la grande gueule, la gueule [- La]A vrai dire, l'allumette le tirait en avant [À vrai dire]et une fois qu'il se fût habillé [il se fut habillé, passé antérieur]
<br />
Oh, c'est gentil d'être venue relever les fautes, c'est vrai que j'ai fait tout ça au tout dernier moment... Ca a bien manqué de relecture. j'ai corrigé !
Pour la structure, elle n'est pas du tout réfléchie, j'ai vraiment tout fait en impro... mais j'aime bien surprendre les lecteurs. Tant mieux si tu ne t'y attendais pas XD
Merci !