Chapitre 1

Par MarineB

Hermance Malheur n'avait pas vu le départ de la maison ce jour là. Le nez perdu au milieu d'un livre aussi épais qu'un dictionnaire, elle n'avait pas levé la tête lorsque la voiture s'était glissée parmi les rues noueuses de son petit quartier pour s'engouffrer sur le périphérique. Plongée dans une profonde réflexion à l'arrière du véhicule, elle avait vaguement perçu les injures de sa mère à l'encontre des chauffards parisiens avant d'enfoncer plus profondément ses écouteurs dans ses oreilles. La bande son du Seigneur des Anneaux couvrait avec peine le vrombissement de la voiture mais Hermance s'en contenta. 

— Arwen, Hermione, Galadriel, Ophélia... marmonnait-elle tout en prenant des notes sur un petit carnet qu'elle tenait contre sa cuisse. 

— Qu'est-ce que tu dis ? lança Louise, sa mère, tout en menaçant du regard les voitures alentour. 

Seul le vrombissement ambiant lui répondit. Louise insista.

— Hé ! Hermance ! Qu'est-ce que tu disais ? répéta t-elle plus fort. 

Hermance qui essayait d'ignorer sa mère jusqu'ici, arracha les écouteurs de ses oreilles. 

— Un prénom maman ! Je cherche un nouveau prénom pour la rentrée prochaine !

— Un nouveau prénom ? Mais tu as déjà changé deux fois de nom rien qu'au collège...Je pensais que le dernier te convenait finalement. C'est joli Eowyn je trouve !

— Oui c'est joli ! Mais personne n'a réussi à prononcer une seule fois mon nom de toute l'année de troisième ! 

Louise ne répondit pas. Les yeux fixés sur la route, elle se mordit les lèvres, peinée d'avoir choisi un nom que sa fille détestait. Hermance était pourtant le nom de sa grande tante adorée, mais les histoires d'ancêtres n'intéressaient pas sa fille. 

— Hermance, ça ressemble à Hermione, tu pourrais garder ce nom pour une...

— Non, coupa Hermance. C'est triste Hermance, c'est moche ! Mais qu'elle idée...

La jeune fille fourra ses écouteurs au fond de ses oreilles et se replongea dans Les 30 plus grandes héroïnes de la fantasy moderne, oeuvre qu'elle n'avait pas pris la peine de rendre au CDI avant de quitter définitivement le collège cette année. 

Hermance entrait au lycée à la rentrée prochaine et ces vacances d'été étaient l'occasion pour elle de se forger une nouvelle identité le temps de deux semaines. Elle n'allait pas comme ses amies qu'elle avait quitté sans peine, dans le lycée de secteur. Personne n'allait la connaître. Personne ne jugera son prénom daté, ses joues trop rouges, ses cheveux ni lisses ni bouclés, ses baskets et ses lunettes premier prix. Hermance avait de grands projets pour l'été : être une nouvelle personne. Changer de prénom pour devenir cette fille originale mais pas trop, se lisser les cheveux tous les matins pour être comme ces filles déjà si distinguées à quinze ans à peine. Convaincre sa mère de lui payer une paire de converse, des vraies, pas les imitations qui donnent l'impression d'avoir les pieds tordus. Et surtout, surtout, cacher son goût un peu trop prononcé pour les trucs bizarres. Les dragons, les fées, les vieilles maisons, les vieilles églises, la musique celtique...Il est temps d'écouter ce qui passe à la radio ! 

L'air était lourd en ce mois d'août et les fenêtres grandes ouvertes de la voiture de location n'y changeaient rien. Hermance sentait que le voyage commençait à lui tourner sur le coeur. Elle se détourna de sa lecture pour se concentrer sur le paysage afin de ne pas vider le contenu de son estomac sur les sièges fraîchement savonnés. 

Hermance et sa mère roulaient depuis plus d'une heure et les rues bétonnées avaient laissé place à diverses nuances de verts. Malgré son air bougon Hermance était en réalité ravie de ce voyage. Le camping du Bois-Dormant, charmant petit lieu de vacances situé dans le petit village de Folleville incarnait tout ce que la jeune fille appréciait du haut de ses quinze ans. Un ciel gris, un lieu perdu, une forêt débouchant sur la mer, des falaises et une légende locale, celle de la pierre qui tourne. Hermance ne put réprimer un frisson lorsque l'image de cet énorme rocher sombre surplombant le village lui traversa l'esprit. La jeune fille aimait croire aux histoires et celle-ci était l'une de ses favorites : il paraît que tous les siècles, plusieurs habitants du village déclaraient avoir vu le grand rocher se déplacer sur lui-même. Pendant un siècle, Folleville avait contemplé une face du rocher et du jour au lendemain, c'est sa face cachée que l'on pouvait observer du bas du village. Comme si la lune découvrait enfin l'arrière de son crâne. 

Hermance adorait cette histoire et plus petite, elle demandait à sa mère lors des vacances annuelles d'aller au moins une fois par jour observer le rocher malgré les réticences de Louise à pratiquer la randonnée. D'ailleurs, si les calculs d'Hermance étaient bons, le rocher devrait tourner cette année...

— Il parait que de nouvelles boutiques ont ouvert dans le village ! déclara Louise qui tenta à nouveau sa chance lorsqu'elle vit dans le rétroviseur que sa fille avait abandonné sa lecture. 

— C'est vrai ? répondit-Hermance manifestant pour la premier fois un intérêt pour les paroles de sa mère.

— Oui ! Un salon de thé, une boutique de souvenir et une librairie, une première pour Folleville ! Camille va en être ravie !

— Tant mieux pour elle...

Louise vit le visage de sa fille se refermer et se mordit encore plus profondement la lèvre. Camille et Hermance s'étaient disputées l'année passée. Les enfants grandissent et Camille Leroux semblait de moins en moins intéressée par les histoires de son amie. Petit à petit, Camille s'était éloignée, jugeant Hermance "immature" et "obsédée par les fées". Une dispute retentissante avait alors éclaté sur la place du village, faisait sourire les personnes âgées et pleurer à chaudes larmes sa fille. C'était sa première rupture amicale. A vrai dire, Louise s'inquiétait pour Hermance, non pas à cause de son air maussade, mais de son obsession pour les histoires d'enfant. Croire aux elfes, aux lutins et aux pouvoirs magiques lorsqu'on a dix ans c'est adorable, y croire encore et se disputer à ce sujet lorsqu'on en a quinze, c'est plus inquiétant. 

— Commune de Folleville ! lança Hermance, ravie de passer le panneau touristique annonçant la distance restante à parcourir sous une représentation discutable de la célèbre pierre qui tourne. 

— A nous les vacances bien méritées ! répondit sa mère. 

Hermance saisit son baladeur MP3 et enfonça le bouton latéral. Un son de cornemuse envahit ses oreilles et ravit son coeur. Même Louise ne put réprimer un sourire lorsqu'elle percevait de l'avant de la voiture, la musique qui éveillait le coeur de sa fille unique. 

Les angoisses de l'année quittèrent le coeur d'Hermance plus le paysage devenait broussailleux et les arbres imposants. Les maisons se faisaient plus rares et Hermance oublia petit à petit les moqueries de ses camarades et la solitude de sa dernière année de collège. A Folleville, elle était quelqu'un d'autre. Une elfe des bois, un esprit solitaire, un mage perdu, un...

Le coeur d'Hermance manqua un battement lorsque son regard croisa celui d'une silhouette noire, raide et statique sur le bord de la route. Elle eut l'horrible impression qu'un visage s'était collé à sa vitre le temps d'une seconde. D'une très longue seconde où elle avait eu le temps de distinguer le noir de ses yeux. La voiture avançait à vive allure et Hermance se retourna brusquement, espérant voir dans la vitre arrière du véhicule la simple silhouette d'un homme traverser la route.  Mais Hermance n'observa qu'un chemin vide. Personne n'occupait la lisière de la forêt. Les arbres dissimulaient la lumière de cette journée grise d'été et Hermance commença à douter de ce qu'elle avait vu. 

— Ca va ? demanda Louise détournant brièvement le regard de la route. 

— Oui... répondit Hermance. Regarde la route s'il te plait maman. Le chemin commence à me fatiguer. 

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Azurys
Posté le 23/09/2023
Bonjour MarineB !

Ce premier chapitre m'a captivé du début à la fin. L'écriture est fluide (malgré parfois des phrases un peu longues qui mériteraient un coup de virgule !), le contexte est bien posé. Surtout pour moi qui ne connais que trop bien la joie de quitter Paris le temps de quelques jours.

Les personnages ont du caractère, on s'y attache très vite grâce à des dialogues réalistes ainsi qu'à tes descriptions efficaces des passe-temps et passions de la jeune Hermance. Pour avoir vécu des situations similaires dans ma tendre enfance, je ne peux que m'identifier.

La dose de suspens du dernier paragraphe est bien dosée aussi, bien que j'aurais aimé vivre un petit frisson, lire quelque chose de plus effrayant encore.

J'ai hâte de connaitre la suite ! Bonne écriture
Corneille
Posté le 23/09/2023
Salut !
J'aime beaucoup ce début d'histoire !
L'atmosphère du début de vacances, du voyage en voiture, un petit village habité par une vieille légende... C'est très prometteur.
Hermance est très attachante, et sa manie de changer de prénom amusante (lesdits prénoms suscitant de nombreuses références ;) )
Tu pose les premières bases de ton histoire tout en la saupoudrant d'une pincée de suspense ( je parie que l'héroïne à vécu un évènement dans son enfance qui l'a poussé à croire aux fées ) ( oh, et où est son père ?).
Bref j'ai hâte de lire la suite :)
Au plaisir
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