Chapitre 1

Nathan

1 an plus tard 

Millie termine de charger ses valises dans le coffre de ma voiture pendant que je rassure ma mère pour la centième fois. 

— Oui maman, je serai prudent sur la route, je t’appelle quand on est arrivés, je fais des pauses et je pense à m'hydrater. 

— Tu devrais aussi aider Millie à porter ses bagages, regarde-la, ses sacs sont plus gros qu’elle ! 

— Nathan pourrait le faire si tu ne lui tenais pas la jambe depuis cinq minutes, laisse-le partir, les cheerleaders doivent déjà attendre la star, se moque mon père. 

C’est un ancien champion de la NFL, c’est grâce à lui que j’ai le goût du sport, même si moi, c'est plutôt parquet que gazon. Il m’a tout transmis, la détermination, le dépassement de soi… et l’humour douteux. 

— Il faut bien que je m’assure que notre fils unique arrive sain et sauf. 

— Et moi je m’assure qu’il arrive, tout court, et pour ça il faut qu’il puisse prendre la route. Allez, lâche le petit ma chérie. 

La chamaillerie de mes parents me permet de sauter derrière mon volant en toute discrétion. Sourire aux lèvres, j’attends qu’ils aient fini leurs enfantillages pour mettre le contact. Distraits par leur pseudo dispute, ils passent à tour de rôle leur tête par ma fenêtre pour me faire un bisou, chose que j’aurai détesté ados, mais qui, à 18 ans, me fait réaliser la chance que j’ai de les avoir comme parents. Ce qui n’est pas le cas concernant ma meilleure amie. Nous sommes à peine arrivés au stop du bout de la rue que Millie commence déjà à grommeler. 

— Faudra s’arrêter sur le trajet. 

— T’es sérieuse ? Tu pouvais pas aller pisser avant de partir ? On a huit heures de route, à  ce rythme-là on arrivera demain. 

— Non mais juste maintenant, Susan et James m’ont donné la nausée avec leur amour.

 L'attitude de ma meilleure amie me désespère. Depuis un an, elle est devenue complètement réfractaire à tout sentiment. Il n'y a qu'avec moi qu'elle s'ouvre encore un temps soit peu.

— Ils étaient encore plus jeunes que nous quand ils se sont mis ensemble, c'est beau espèce d'aigrie va, la sermoné-je.

— C'est bien ce que je dis, écœurant. Tu t'imagines rester toute ta vie avec ta groupie toi ?

À peine une trois miles parcourus sur les huit cent cinquante-et-un et miss râleuse trouve déjà le moyen de critiquer ma relation. Après, il faut dire qu'elle n'a pas tort, quand j'y pense, ce n'est pas l'amour fou avec ma copine. C'est à peine si elle m'a manquée pendant ces vacances d'été.

— Je dois t'avouer que non… Pas vraiment.  Mais ! je la coupe alors qu'elle s'apprêtait à fêter sa victoire. Ça ne veut pas dire que je ne crois pas en l'amour. Mes parents sont des modèles et tu le sais !

— Peut-être parce que la sœur de ta mère ne s'est pas barrée avec ton père.

Trop las pour me lancer dans ce débat avec Millie, je me concentre sur la route sans rien ajouter. En cette heure matinale, ma copilote ne tarde pas à sombrer dans un profond sommeil, la tête appuyée contre la vitre.
Je serais tenté de la prendre en photo pour pouvoir l'afficher avec la bouche ouverte, mais je préfère éviter de nous envoyer dans le décor. Et puis, elle a l'air paisible. Ça change de l'année dernière à la même période, dans la même voiture.
Après sa rupture avec l'autre idiot de Peter, enfin après qu'il se soit tiré avec Kaylee, Mil' était inconsolable. J'ai bien essayé de la réconforter, de la faire parler afin de savoir si ce qui lui faisait le plus mal était le fait de perdre Peter ou la trahison de sa jumelle, mais je n'en ai jamais rien tiré. Ses larmes ont fini par se tarir, et sa bonne humeur par revenir, pourtant quelque chose s'est brisé. Par chance notre amitié est restée intacte... enfin si je me garde bien de mentionner sa sœur.

Je me demande bien ce qu'est devenue Kaylee. Personne, à part ses parents, et encore, très peu, n'a eu de nouvelles d'elle depuis un an. Depuis son départ précipité. Même si nous n'avons jamais été très proches, ne pas la croiser, avec son petit air mutin et son attitude toujours calme m'a semblé bien bizarre cet été.
Je pose rapidement mon regard sur ma passagère endormie. Les jumelles se ressemblent tellement, surtout quand on ne les connaît pas… Millie a beau essayer de camoufler leurs similarités en faisant des couleurs et autres, ça ne fonctionne que pour ceux qui ne la connaissent pas aussi bien que moi. Qui ne savent pas, que tout ce qu'elle veut, c'est oublier petite K…

Étrangement, moi, j'y ai beaucoup pensé cet été.

— Arrête de freiner comme une brute ! s'exclame Millie en se réveillant.

— Tu rigoles ou quoi ? Ça fait deux heures que tu pionces et je suis sur l'autoroute au régulateur de vitesse, j'ai même pas freiné.

— Hmm, si tu le dis. J'ai faim, on peut s'arrêter pour manger ?

Une trentaine de minutes plus tard, on se gare sur une aire de repos pour avaler le pique-nique gargantuesque que ma mère nous a préparé. La bonne humeur de Mil' est revenue et au moment de reprendre la route, elle propose même de conduire. Je profite à mon tour d'une sieste bien méritée, échappant par la même occasion aux goûts musicaux horribles de mon chauffeur.
Le reste du trajet se déroule de la même manière. On alterne entre pause-café, session karaoké et bavardage. Malheureusement, quand on arrive enfin au campus , Millie est au volant et refuse la priorité au Coach.

— Putain Mil' ! m’exclamé-je . J'espère pour toi qu'il ne m'a pas reconnu. Je te rappelle que Barrey tient ses basketteurs à l'œil. Il va me tuer. 

Alors qu'elle s'apprête à répondre, j'entends un coup de klaxon. 

— Arrête-toi.

Millie s'exécute sans un mot et le coach se met à notre hauteur en ouvrant sa vitre.

— Nathan ! Au terrain à l'aube et en courant ! Pas de voiture pour toi cette semaine.

Son carreau se referme et le vieux nous plante là.
Ma pote est hilare et moi, je suis foutu.
Ma deuxième année à l'université de caroline du nord commence mal.