Chapitre 1

Par Rouky

La femme hurle sous son bâillon. A l’arrière de la camionnette, elle se débat vainement sous les cordes qui l’entravent. Pieds et poings liés dans le dos, elle ne peut que remuer sur son flanc, hurlant à s’en arracher les cordes vocales.

Accroupi en face d’elle, Corban Sorel l’observe avec intérêt. Il penche la tête sur le côté, ses yeux s’illuminent d’une lueur étrange.

La femme finit par se taire. Cet homme la terrifie, quand bien même il ne parle ni ne bouge. Il est blond, yeux noisettes, dans la vingtaine, impeccable dans son costume beige. Un appareil photo dernier cri relié par un cordon pend à son cou. Elle veut se souvenir des moindres détails, note tout ce qui pourrait l’aider à le faire inculper, quand elle trouvera un moyen de s’enfuir.

Tout est arrivé si soudainement... Il lui a offert un verre alors qu’elle s’apprêtait à rentrer chez elle. Il a prétendu être un journaliste venu l’interroger sur son entreprise. Beau garçon, elle ne s’est pas méfiée un seul instant de ses véritables intentions. Et puis, il y avait du monde, au bar. Elle se pensait en sécurité. Mais ça n’a pas empêché cet homme de verser quelque substance douteuse dans sa boisson, avant de la soulever, à moitié-endormie, jusqu’à sa camionnette. Personne n’a rien dit, n’a rien fait. Comme si la scène était des plus banal. Comme s’il s’agissait d’un collègue aidant son amie un peu trop alcoolisée.

Et elle s’est réveillée, là, à l’arrière du véhicule. L’homme était déjà en train de la fixer sans rien faire. Une dizaine de minutes avait dû passer ainsi : lui en train de la regarder, elle en train de hurler. Mais sa gorge lui fait mal, désormais. Elle n’arrive plus à crier. Et, de toute manière, elle a bien l’impression que personne ne peut l’entendre.

Elle se fige en voyant son ravisseur se pencher vers elle. Un large sourire illumine les traits de l’homme.

- Je sais, dit-il.

Au bar, sa voix était douce, calme, posée. Agréable à entendre. Mais, en cet instant, elle est devenue glaciale, mordante, rauque. Effrayante.

- J’ai une idée qui devrait te plaire, souffle-t-il. Quand j’en aurai fini avec toi, tu seras toute belle.

Il lève son appareil photo devant lui, prend quelques clichés. La femme hurle de plus belle, gigote dans tous les sens. Elle pleure. Elle veut rentrer chez elle, enlacer ses enfants, embrasser son mari... Pensent-il à elle, en ce moment ? Se demandent-ils quand est-ce que leur maman reviendra ? Quand est-ce que sa femme rentrera ? Elle est en retard, après tout. Elle avait promis de rentrer pour 20h, et il doit maintenant être aux alentours de minuit. Elle devrait déjà être de retour...

Corban Sorel abaisse son appareil. Il ne s’est pas départi de son sourire. D’un doigt, il écarte quelques mèches tombés sur le visage de la femme.

- Est-ce que tu as une famille ? Demande-t-il.

La femme hoche vigoureusement la tête, grognant des “oui” sous son bâillon.

- Vraiment ? Je suis si content pour toi ! Moi aussi, j’en avais une. Mais c’était avant que...

Il se fige, ses yeux se perdent dans le vague.

- Pardon, je m’égare ! S’exclame-t-il en secouant la tête.

Il pose son appareil photo. De sa veste, il sort une petite boîte en métal, écrie au-dessus : “matériel de couture”. Mais la femme entravée s’inquiète bien plus de le voir ensuite sortir un long couteau de cuisine.

- Il faudrait que tu restes immobile, murmure son ravisseur. Sinon, ça va tâcher ma voiture. Mais ma voiture, j’en ai besoin pour le travail, tu comprends ?

La femme continue de hurler en gigotant. Doucement, Corban Sorel lui empoigne les cheveux, la force à relever la tête. De son autre main, il place la lame sous la gorge de sa victime.

- Chut, ça va aller, chuchote-t-il. Tu n’as qu’à te remémorer un joli souvenir. Moi, une fois, j’ai trouvé un chaton abandonné dans la rue. Il était si petit, si faible. Tu sais ce que je lui ai fait ?

La femme pleure, prie intérieurement pour qu’on vienne la sauver. Malgré tout, elle y croit encore. Alors que la lame commence à déchirer la peau, que la douleur grandit et que la femme gémit, l’homme reprend son histoire :

- Je l’ai jeté du haut d’un pont, droit sur l’autoroute. On m’a dit qu’un chat retombait toujours sur ses pattes. Je voulais simplement vérifié si c’était vrai. Et tu sais quoi ?

Le couteau pénètre les chairs, rencontre une résistance à des endroits plus charnus que d’autres. La femme s’étrangle, suffoque tandis que son propre sang s’échappe de sa prison de peau, se répand sur elle, chaud et visqueux, avant de s’écraser sur le sol de la camionnette. D’abord goutte à goutte, puis par flots. L'homme lâche le couteau et, de sa boîte à couture, sort un fil noir disposé dans le chas d’une aiguille. Là, il se met à recoudre avec minutie la plaie béante qui est en train d'ôter une vie.

Le jeune homme approche son visage de celui, pâle et affaibli, de sa victime encore vivante. Un sourire béat étire ses lèvres.

- Hé bien c’est faux. Un chat ne retombe pas toujours sur ses pattes.

 

Un coup de poing, l’un après l’autre. Il frappe fort, toujours plus fort. Il voudrait éclater la boîte crânienne, réduire le cerveau en bouillie. Mais ce visage, cette peau, ces os... Trop de choses l’en empêchent, s’opposent à son désir. Il a arrêté de compter les coups à partir de 20. Mais cela a duré longtemps.

La tête de la femme fait peur à voir. Son visage est enfoncé sur lui-même, ses yeux sont entièrement gonflés, presque rentrés dans leur orbite. Ses lèvres fendues, son nez retourné, sa mâchoire brisé. Ses haillons sont couverts de sang.

Beltrame se lève. La femme est inconsciente, de toute façon. Ce n’est jamais très drôle de frapper quelqu’un qui ne peut plus ressentir toute cette douleur, toute cette haine. Cette haine, elle la doit à elle-même, se dit Beltrame. C’est elle qui est venue lui demander quelques pièces. Déjà en proie à une colère noire, Beltrame n’avait plus qu’à ramener de force la sans-abri jusqu’à cet endroit isolé, afin de lui régler son compte.

La respiration rapide, Beltrame s’efforce de se calmer. Il se tourne vers Eren Passieux et Bishop De Conti. Les deux ont assistés à toute la scène sans intervenir. Passieux a le teint pâle, semble sur le point de vomir. Bishop, lui, sourit, une lueur malsaine dans les yeux. Il n’y a personne autour d’eux. Ils sont seuls dans l’usine désaffectée de Rellik Compagnie. Seuls détenteurs du secret de la violence.

- Tu... Commences Passieux avant de s’interrompre.

Il se retourne, crache un mince filet de vomi, pris de hauts-le-cœur. Bishop éclate de rire tandis que Beltrame masse les jointures de ses mains.

- Allons, Passieux, se moque Bishop, tu n’as jamais vu un corps en sang ?

- Jamais... aussi démoli, hoquète Passieux.

- Tu en verras d’autres. Tu finiras par t’habituer.

- Pas sûr d’avoir envie de m’y habituer...

Beltrame les ignore. Il tourne lentement la tête, fait craquer quelques os de son cou. Il sort son portable, compose un numéro.

- Vass ? Fait la voix d’un jeune homme.

- Tu es disponible, ce soir ?

- Oui, bien sûr. Je ne suis pas de service après 18 heures. Vers quelle heure tu penses arri-

Beltrame raccroche, ne laisse pas le temps à son interlocuteur de finir. Passieux le regarde en haussant un sourcil.

- C’était qui ? Demande-t-il.

- Personne, rétorque Beltrame en s’éloignant du corps.

- Attends ! S’exclame Passieux en trottinant jusqu’à sa hauteur.

Bishop les rejoints en quelques enjambés, non sans avoir au préalable craché sur le corps inerte de la sans-abri. Les trois policiers se dirigent vers leur voiture de fonction. L’extérieur de l’usine est aussi désert que l’intérieur, malgré cette après-midi ensoleillée.

- Dis-moi ! Insiste Passieux.

- C’était certainement Kader, suppose Bishop avec un drôle de sourire. N’est-ce pas, Vassily ?

Beltrame ne répond pas. Il ouvre la portière, s’apprête à entrer dans le véhicule côté conducteur, quand la prochaine pique de Bishop le fige sur place :

- Maintenant que Castelli est dans le coma, raille le policier, faut bien que tu trouves une autre jambe sur laquelle te frotter. Kader fera l’affaire pour y tremper ton biscuit, non ? Il est peut-être un peu hargneux mais, de toute façon, t’aimes bien ça quand les autres te résistent, hein ? Comme la fois où t’as-

Il ne finit pas sa phrase, interrompu par le coup de poing qui vient s’écraser sur son visage. Il tombe sur le dos, porte ses mains à son nez ensanglanté en pestant. Beltrame s’assoit sur lui, le chevauche de tout son poids. Il agrippe Bishop par le col, le relève à moitié. Il prend de l’élan, puis lui envoie un puissant un coup de tête qui parvient cette fois à briser complètement le nez de son équipier. Ce dernier hurle de douleur en rampant sur le dos, pour échapper à son aîné.

Beltrame le lâche, se relève. Il lance un regard noir à Passieux. Celui-ci baisse immédiatement la tête en se figeant.

De Conti continue de gémir en se roulant en boule.

- Va l’aider, ordonne Beltrame à Passieux. Emmène-le à l’hôpital, s’il le faut. Mais revenez vite au commissariat, après ça...

Passieux hoche vigoureusement la tête, puis se précipite aux côtés de son collègue blessé.

Beltrame se retourne, entre dans la voiture. Tant pis si Passieux doit se charger de Bishop sans véhicule. Beltrame est déjà passé à autre chose. Tout en démarrant le moteur, il pense à ce qui l’attend ce soir.

Les larmes brouillent sa vision. Est-ce... du sang, sur ses mains ? Elle relève la tête, voit la scène. Une femme est allongée sur le dos. Son ventre, lacéré de toutes parts, laisse entrevoir des entrailles, certains organes qui auraient préférés rester au chaud. A côté du ventre se tient une chose minuscule et toute visqueuse, reliée par un cordon de chair.

Un haut-le-cœur soulève l’estomac de la vivante en comprenant qu’il s’agit là d’un tout petit fœtus. Mais elle ne se souvient pas... Comment en est-elle arrivée là ? Comment est-elle arrivée ici, dans cette forêt ?

C’est le néant, dans sa tête... Non, elle ne se souvient de rien. A moins que... Si, si ! Elle se souvient de ça. Cette chose qui l’a brisé à tout jamais. Sa vie est fichue, désormais.

Au fait... Quel goût ça a, le sang ?...

Intriguée, elle lèche la paume de sa main. Une fois, puis deux. Elle grimace. Beurk, on dirait de la rouille. Elle s’essuie sur sa robe salie par la terre et trouée par les cailloux.

Bon, il faut bien faire quelque chose, maintenant. Mais quoi ?

Oh, elle sait ! Elle sort son portable, compose un numéro malgré ses doigts poisseux qui glissent sur l’écran. Elle attend une sonnerie, puis deux, puis trois. A la quatrième, il décroche.

- Allô ? Fait sa douce voix. Emy, c’est toi ?

Un silence.

- Emy ? S’il te plaît, dis-moi que c’est toi... C’est un numéro masqué, mais c’est toi, n’est-ce pas ? Je t’en prie, rentre à la maison. On peut en discuter tranquillement. Tout va bien se passer, tu vas voir. S’il te plaît, rentre, tu me manques.

Elle sourit en l’écoutant parler. Elle l’aime tellement. Elle se met à chantonner dans le combiné.

- Emy ? Emy, tu m’entends ? Reviens, je t’en supplie. J’ai peur, Emy. Ne fais aucune bêtise, par pitié ! Dis-moi où tu es, s’il te plaît ! Je vais venir te chercher ! Je t’en prie, parle-moi...

- C’est fini, mon amour, répond-elle enfin. Tout est fini, maintenant. Je suis enfin en paix.

- Emy ?! C’est bien toi, j’en étais sûr ! Où est-ce que tu es ? Je viens te-

Elle raccroche. Jette un coup d’œil aux alentours. Tiens, un couteau ! Elle ramasse le long poignard à côté d’elle. Lève les yeux au ciel. Puis elle rit. A gorge déployé. Elle rit en pensant à tout ce qui va arriver. A tout ce qui vient d’arriver.

Elle lève le poignard bien haut, puis le plante dans le ventre de sa victime.

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Marilo95
Posté le 13/03/2025
Alors tout d'abord bravo pour votre travail vraiment.
Pourtant je suis très polar, les Maxime Chattam et j'en passe mais je trouve le récit bien trop sanglant. On se noie dans toute cette violence quasi gratuite j'ai envie de dire et surtout envers des femmes, on se demande même en vous lisant s'il n'y a pas un fantasme caché à travers ce déferlement de violence et de cruauté envers des femmes. Quelle est l'utilité de la scène avec la sans abri?? Ca en est même écoeurant. L'être humain est morbide et attiré par le côté sensationnel, gore mais il y a des limites je trouve. J'ai mm du m'arrêter de lire et puis j'ai perdu le fil conducteur. Toutes ces personnages qui arrivent dans tous les sens, je me suis un peu perdue. Mais ce n'est que mon avis encore une fois :-)
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