La Tribu des Enfants du Nord
Je ne me souviens pas vraiment de comment c’était avant. Rien que de vagues souvenirs, comme beaucoup d’entre nous. Je crois que nous étions heureux.
Et puis c’est arrivé. C’est ce que m’ont raconté les autres. Moi j’étais trop petit.
Ils ont tout détruit, tout brisé, tout brûlé. Ils ont emmené tout le monde. Tous les grands. Il ne restait plus que nous. On a mis du temps avant de se trouver. Les murs étaient chauds, il y avait de la poussière, et les braises orange qui ont mis très longtemps à s’éteindre.
On a cherché ce qui restait debout, on s’est caché. On a fait avec ce qu’on trouvait. Je me souviens plus très bien combien de temps ça a duré. Il y avait des murs couverts de choses qui étaient importantes avant, mais inutiles pour nous.
Maintenant, c’est Didi qui s’occupe de nous. C’est la plus âgée, même si en fait elle ne doit pas être une grande personne, puisqu’ils les ont toutes emmenées. Elle ne sait pas tout, mais elle veille sur nous. Elle trouve à manger, elle chasse un peu. Elle découpe des vêtements dans des manteaux de grands. Elle coupe nos cheveux, nous apprends ce qu’elle sait. Elle fait le feu. Elle est jolie, Didi, avec ses épais cheveux noirs et ses grands yeux si sombres qu’on dirait qu’elle est triste. Elle sent bon, aussi.
On apprend à se débrouiller avec ce qu’on trouve dans ce qui reste des maisons. On dort tous ensemble dans un grand abri qui a encore un toit, mais pas beaucoup de murs. La journée, on ne fait pas grand-chose à part se promener dans le village ou rester près de la fontaine. On a essayé de reconstruire les maisons, mais on est pas assez forts. Alors dès qu’on trouve quelque chose qui pourra nous servir, on le garde dans une cave qui ne s’est pas écroulée. Quand on sera grands, on sera bien content de les trouver.
On pensait qu’on resterait toujours comme ça, Didi, les autres et moi. Mais l’autre jour, voilà ce qui est arrivé.
Ils sont venus nous chercher. On pensait qu’ils nous avaient oubliés. Il y avait quatre messieurs en uniforme foncé. Ils nous ont fait mettre deux par deux, Didi devant avec eux. Ce n’était pas comme se promener, on suivait un chemin tout caillouteux. On avait mal aux pieds. Surtout, on avait pas eu le temps d’emmener nos affaires. Avec Didi, ça allait forcément bien se passer, mais on pensait déjà à rentrer chez nous. Ils ne voulaient pas qu’on parle, alors on chuchotait, mais à peine.
Nous avons marché longtemps, et on est arrivés dans un endroit bizarre. Ils nous ont fait asseoir dans une grande salle de pierre, avec un très haut plafond et des murs de tous les côtés, séparés des gens qui étaient déjà assis. Ils osaient à peine nous regarder, et ils n’avaient pas l’air d’avoir envie d’être là.
Un grand homme est arrivé, avec des vêtements très colorés, il avait l’air tout fier. Didi, je ne l’avais jamais vue aussi en colère, mais elle a baissé la tête comme les autres et n’a rien dit.
L’homme a parlé longtemps, je n’ai pas bien compris ce qu’il disait. Je n’ai pas beaucoup écouté non plus. Puis il est passé près de nous, et nous a demandé d’une voix forte :
« Vous, là. Levez la main, ceux qui ne souviennent pas comment était votre vie avant ».
J’ai hésité. Ce devait être plus prudent de mentir. Les uns après les autres, nous avons tous levé la main, même Didi, alors qu’elle a bien plus de souvenirs que nous, puisqu’elle nous en a raconté. L’homme est reparti, très content de lui. Quand il nous a ordonné de rentrer chez nous, j’ai croisé le regard d’une vieille dame. Elle avait l’air si triste en nous regardant.
Nous sommes sortis les derniers. Les messieurs qui étaient venus nous chercher nous on dit de déguerpir. Je crois que ça voulait dire qu’il fallait faire vite.
On a pris la route en sens inverse pour rentrer. Nous sommes passés devant une maison à laquelle il manquait une fenêtre, et la vieille dame en est sortie. Elle a fait signe à Didi, et lui a fourré dans les mains ce qui avait l’air d’être une couverture. Didi l’a cachée sous son manteau tout le long du trajet. Elle regardait partout autour d’elle.
Je me suis demandé pourquoi une couverture. J’aime bien les couvertures, mais on rentrera jamais tous sous une seule.
Une fois arrivés, Didi a déballé le paquet. Elle a dû trouver quelque chose, parce que de grosses larmes lui sont tout de suite montées aux yeux. Didi ne pleure jamais, on n’a pas compris ce qu’il se passait. On aurait presque eu peur. Elle serrait fort le cadeau contre elle, secouée de gros sanglots. Ses larmes ont mis du temps avant de sécher. C’est après qu’elle nous a montré ce que c’était.
C’était un livre pour enfant, un livre d’histoires. Ca faisait très longtemps qu’on n’en avait pas vu, ils avaient tout emmené en même temps que les adultes. Didi nous a tous regroupé près d’elle, s’est éclairci la voix et a commencé à lire. Elle nous avait encore jamais rien raconté d’aussi joli.
Il y avait l’histoire d’un chien, qui s’appelait Georges, celle d’un lapin, qui partait à l’aventure, et une aussi qui parlait d’un arbre magique qui exauçait les vœux.
C’est là que Calum s’est levé. Cela fait longtemps qu’il ne parle plus. Il a couru chercher quelque chose dans une maison. En revenant, il s’est couché à plat ventre par terre avec du papier et des crayons. On le fait pas très souvent, c’est pas très facile à trouver. Il a commencé à gribouiller, très appliqué. On n’osait rien dire. Il ne s’arrêtait plus.
Il a dessiné un bateau, avec de grandes voiles, puis une ville, avec plein de maisons debout, et de la lumière aux fenêtres.
On a reconnu ce qu’on pensait avoir oublié.
Nous n’avons presque pas dormi cette nuit-là. On a récupéré tout le papier qu’on a pu et on a dessiné. Il n’y avait que Didi, qui relisait sans arrêt le même passage du livre, concentrée comme quand elle réfléchit lorsqu’on lui pose une question difficile.
Le lendemain matin, elle nous a réveillés tôt. Elle nous a dit de prendre tous nos dessins, même ceux qu’on trouvait ratés. Ça nous a fait rire. On l’a tous suivie alors qu’elle nous emmenait à l’autre bout du village, où on ne va jamais parce qu’il y a trop de débris et que la pente est raide. Il y avait plein de terre, et de poussière, des bouts de bois qui sortaient du sol. La colline est haute, dans cette partie du village.
Une fois en haut, on l’a tous vu. Un grand arbre, avec tellement de feuilles qu’on rentrait tous dans son ombre. Il avait de grosses racines sombres tout autour de lui. Il y en avait qui étaient plus grosses que ma tête. On aurait dit l’arbre magique du livre.
C’est vrai que le vert, c’est très joli.
Il y avait du vent, ça faisait voler les cheveux de Didi autour de son visage. On avait un peu froid, mais comme on regardait tous en l’air, on y faisait pas très attention.
Didi a fait un signe de tête à Calum, qui a pris son dessin et l’a posé près de la plus grosse racine. On a senti comme un frémissement, alors on a tous fait pareil.
On a calé tous nos dessins contre les racines de l’arbre, et on s’est serré les uns contre les autres. Didi regardait droit devant, comme si elle attendait quelque chose.
Au début, on a rien vu. En fait, c’est le bateau de Calum qui est parti en premier. L’arbre a mangé son dessin. Le bateau est parti sur la grosse racine, ses voiles se sont gonflées, puis il s’est mis à remonter tout doucement le long du tronc, tout en haut, jusqu’à ce qu’on ne le voit plus. Après, c’est la ville aux lumières qui a suivi.
Tous nos dessins sont partis dans l’arbre, même le mien. C’était joli, et amusant aussi.
Je sais pas trop ce qu’on a fait, en vrai, ni pourquoi, mais c’était important.
J’avais l’impression qu’on allait pouvoir commencer quelque chose.
Je ne me souviens plus bien de ce qui s’est passé, mais après toutes ces années, j’ai une certitude.
Ce jour-là a tout changé.
Ce jour-là, on a repris espoir.
Ça faisait un bout de temps que j'avais envie de découvrir ta plume et je me suis laissée tenter par ce texte court, très intriguée par le titre. Et quelle belle découverte ! J'ai moi aussi un amour tout particulier pour la littérature jeunesse qui ne m'a jamais quitté, alors cette jolie histoire ne pouvait que me toucher.
Je ne sais pas trop à quoi je m'attendais, je me doutais qu'il y allait avoir quelque chose qui bousculerait le quotidien de cette tribu d'enfants. Mais alors je ne m'attendais pas à ça : l'irruption de la littérature et le retour de l'imagination chez ces enfants qui leur redonnent un espoir perdu depuis longtemps. C'est une image tellement poétique.
Tu as une magnifique plume. L'entrée en matière est très efficace, d'emblée j'ai été accrochée. J'ai trouvé que prendre le point de vue de cet enfant était une belle trouvaille. Comme lui, on comprend les choses petit à petit.
Je n'ai qu'une frustration : ne pas pouvoir tenir cette belle histoire dans mes mains sous le format d'un album ;)
Ce qui est certain c'est que tu vas me revoir prochainement dans d'autres de tes textes. Bref, chapeau et merci pour ce texte !
Luna
Bienvenue par ici ! J'écris majoritairement de la littérature jeunesse, on devrait bien s'entendre (IRL je suis libraire jeunesse...on ne se refait pas ;p)
Merci beaucoup pour tous ses compliments, ça me touche d'autant plus que je crois que c'est le plus brouillon de mes textes. J'aimerais bien en faire un album, un jour.
À bientôt sur PA, alors, et encore merci de ta visite !
Ça donne envie de savoir la suite... Je suis un peu sur ma faim
Je trouve ta plume jolie et soignée, en quelques lignes, tu sais transmettre des émotions et une ambiance.
Le format court oblige à aller à l'essentiel, mais je me pose tellement de questions sur le pourquoi du comment ! C'est à la fois frustrant et bien, car ça prouve que le texte fonctionne et suscite quelque chose.
On sent bien que Didi est dépassée par les événements et tente d'affronter cela comme elle peut.
Merci de ton retour !
Les personnages sont attachants, tu portes une belle voix, touchante. A te lire, j'ai vraiment eu l'envie d'en avoir beaucoup plus sous les yeux pour mieux saisir le passé, le contexte, les liens qui unissent ce petit groupe. Tu as là une histoire qui peut qui plus est te laisser filer dans le fantastique avec cet arbre magnifique.
Pour la jeunesse, tu pensais quelle tranche d'âge?
Je la garde dans un coin de ma tête, mais c'est avant tout le Lotus, puis certainement Noctis. Autant dire que j'ai du boulot !
Je crois que tu viens de me faire le plus joli compliment que j'ai eu depuis longtemps, sur le style enfantin :)
Oui, le texte soulève pas mal d'interrogations,notamment les fameux où, quand, comment, pourquoi, etc. J'ai hésité à le mettre aussi dans la catégorie fantasy, en ce qui concerne la fin, puis finalement non. Ca ne collait pas vraiment à l'ambiance.
Merci de ton retour de lecture !
J'aime bien ce texte qui me fait poser pleins de questions et élaborer des théories sur leurs réponses. Je me suis très vite pris d'empathie pour cette petite personne prise dans la tourmente d'évènements qui le dépasse.
Tu maitrises bien le style "enfantin" chose que je t'envie un peu vu que tous mes enfants sont un peu trop adulte...
Continue sur cette lancée, c'est la bonne direction !
Ce récit m’a laissée sur ma faim. Pour moi, il ressemble au premier chapitre d’une histoire plus qu’à une nouvelle parce qu’à la fin, il se passe quelque chose avec l’arbre qui devrait entraîner d’autres événements.
Mais c’est bien écrit, et le récit, vu à travers le regard d’un enfant, avec sa naïveté, me paraît naturel. Didi est touchante dans sa manière de mener ce petit groupe comme elle peut.
Une chose me laisse dubitative : l’omission du « ne » dans un certain nombre de négations. Je pense que chez des enfants aussi jeunes, ça peut prêter à confusion. Parce que si c’est fréquent dans le langage parlé, c’est quand même faux grammaticalement. C’est en partie à travers leurs lectures que les enfants apprennent à écrire, à rédiger des textes.
Coquilles et remarques :
nous apprends ce qu’elle sait [apprend]
Quand on sera grands, on sera bien content [contents]
C’était un livre pour enfant [J’écrirais plutôt « pour enfants »]
Ca faisait très longtemps [Ça]
Didi nous a tous regroupé [regroupés]
jusqu’à ce qu’on ne le voit plus [voie ; subjonctif présent]
Merci pour ce commentaire plus que constructif ! Ce texte n'est vraiment pas abouti du tout en fait XD je l'avais imaginé en album jeunesse, mais sans les illustrations, c'est difficile de rendre exactement ce que je veux. J'avais tenté le coup de la fin nébuleuse fin ouverte, mais je crois que c'était beaucoup par flemme *je pars me cacher, j'ai un peu honte*
Je l'ai écrit il y a longtemps, avant de le remettre au propre très vite fait il y a quelques mois. Je suis à 200% dans le Lotus Noir depuis presque 2 ans et c'est vrai que ce projet-là est tombé dans l'oubli.
Concernant le "ne", je ne peux qu'être d'accord avec toi. Ca me paraissait juste plus naturel dans le langage d'un enfant mais effectivement dans les albums, il est certainement préférable de priviliégier la justesse orthographique et grammaticale que de donner dans l'effet de style superflu. Quand le Lotus sera fini, je retravaillerai celui-là (avant de commencer le prochain !)
Encore merci, et peut-être à bientôt !