Les caractères luisaient dans le feu. Elle avait préféré s’isoler pour immoler les derniers mots de son fils plutôt que de voir ces lettres lues par d’autres. Rien ici ne garantissaient l’intimité, pas même le choix d’un ancien script, trop ardu pour la plupart. Diane eut un léger sourire attendri, d’eux deux, son enfant était probablement le plus intelligent. Il lui manquait. Ses yeux surtout. Lune avait une énergie folle dans son regard, de quoi chasser doutes et angoisses.
Le bracelet à son bras chauffa légèrement pour lui rappeler l’heure et la jeune femme se hâta d’éteindre le feu et d’en répandre les cendres avant d’attraper un épais sac de service. Noir aux coutures rouges, il complétait sa tenue militaire. Première mission, tout devait être en ordre. Elle enfonça la casquette réglementaire sur sa tête et acheva son costume d’un masque hygiénique pour dissimuler son visage plus que par peur des maladies. Vu son entraînement, ce n’était pas la pourriture des profondeurs qui pourrait l’atteindre. Elle avait passé des mois à respirer les vapeurs putrides et infectieuses ; toutes les recrues y passaient, chair à canon gardant les Portails et les Cités des dangers de l’océan. Une évaluation cruelle des performances qui éliminait la majorité des prétendants. Si les gaz laissaient des rescapés, les créatures se chargeaient de séparer le bon grain de l’ivraie.
En sortant du hangar, les yeux de la jeune femme cherchèrent le soleil et s’y ancrèrent jusqu’à ce que la douleur soit trop intense. Sa formation et son recrutement avaient été séparés de sa première mission par un mois de repos. Tirée des profondeurs, elle avait dû se réhabituer au luxe des étages émergeants. Voir l’océan sans lui appartenir. Deviner les ombres des autres Cités à l’horizon. Les bâtiments de l’armée s’arrêtaient à l’orée du dernier étage : aucun corps militaire n’avait le droit d’outrepasser cette ligne politique. Le dernier étage était celui des privilégiés.
Une terre de raffinement.
Sa maison.
Avant.
Elle s’aventura à la limite du gouffre qui séparait le hangar de l’océan et grimpa sur les passerelles pour l’admirer une dernière fois. Ses pieds s’installèrent naturellement sur la glissière et elle se hissa sur les barrières, confortable, les mains posées sur le métal rouillé, lissé par sa présence continue du dernier mois. Le vent s’engouffra sous ses cheveux, menaçant sa casquette qui résista et tint bon, empêchant les mèches de venir briser la vue matinale du port. Diane se pencha légèrement pour mieux voir : les vaisseaux marins et aériens accostaient plusieurs étages plus bas, au premier et au deuxième. Une longue sirène annonça un départ et elle se leva pour suivre le bateau des yeux, en équilibre sur la glissière. Son regard suivit le sillon blanc avant d’être captivé par le jeux des Ailes, ces grandes planches volantes, meilleur véhicule pour passer des tours d’une Cité à une autre sans avoir à passer par les étages inférieurs. Les jeunes riches en raffolaient et Diane resta un instant à voir ses anciens compagnons disparaître à l’horizon, envieuse un instant de leur liberté.
Diane sauta à terre et se détacha de la vision pour s’enfoncer à l’intérieur de l’étage en direction de l’ascenseur central. Elle devait se hâter, l’heure de sa première mission approchait. Il ne lui fallut que peu de temps pour quitter la zone militaire et se retrouver au milieu de rues peuplées, de plus en plus bondées au fur et à mesure qu’elle se rapprochait du gigantesque tube qui régnait au cœur de la Cité, reliant et supportant tous les étages entre eux. Rempli d’eau pour faciliter les transports d’un étage à l’autre, il se décomposait en milles tuyaux entrelacés, chacun tournant autour du cylindre principal, certains renforcés de pompes pour les courants ascendants. La jeune femme baissa un peu plus la casquette sur son visage et prit une respiration avant de passer dans une des artères principales pour rejoindre l’ascenseur. La place autour du tube de métal était en permanence noire de monde. On disait que la mort la plus courante sur certains étages était le piétinement. Diane pouvait parfaitement l’imaginer pour le premier et le deuxième étage de surface : c’était les plus peuplés et ceux aux mouvements les plus importants. L’accès aux ports en dépendait.
- Attention !
Le cri précéda un mouvement de foule suivi d’un lourd fracas : une charrette s’était retournée. Diane s’accrocha à son sac, poussée sur le côté comme une brindille insignifiante. Un de ses coudes frappa les côtes d’un géant à deux doigts de l’écraser, gaffe ! Il baissa la tête sur elle avec une grimace de douleur furieuse.
- Porte ! Quel….
La phrase mourut dans la gorge de la brute tandis que ses yeux reconnaissaient l’uniforme. Il s’écarta, bousculant une autre vague de gens. Les spectateurs de l’incident s’arrêtèrent à leur tour pour creuser un trou tout autour de la jeune femme. Diane soupira et rajusta son sac avant d’avancer à nouveau. Une tranchée s’ouvrit dans la foule et elle enfonça un peu plus sa casquette sous le poids des regards. De la peur. Du respect. Du dégoût. Enfin si ça pouvait l’aider à ne pas arriver en retard. C’était sa première mission après tout, l’idée de partir la stressait déjà assez sans qu’en plus elle ne se tape des réprimandes. Elle traversa la foule en marche rapide et racla sa gorge devant l’entrée pour écarter les derniers péons à ne pas l’avoir vue. Difficile d’avoir l’air hautaine derrière un masque, mais ses épaules en arrière remplissaient assez son uniforme pour qu’à nouveau on s’écarte. Les gardes à l’entrée lui firent signe et elle quitta la porte principale pour éviter les contrôles. Les passe-droits rayonnés par son bracelet déclenchèrent l’ouverture automatique et un vent putride assécha ses yeux.
Elle dû cligner plusieurs fois pour chasser les larmes et s’habituer à la pénombre des salles de départ. L’entrée était immense, elle paraissait pourtant petite, envahie de trafique. Diane chercha un responsable des yeux et sauta sur le premier uniforme qui passait. Une autre qui avait dû survivre à l’enfer de la sélection.
- Première mission ?
- …
- La prochaine fois passe par l’entrée du Nord. L’escalier automatique. C’est plus lent, mais t’es tranquille.
Diane inclina un peu la tête, toujours sans répondre. Pas de visage, pas de voix, pas d’identité. Son guide ne s’en offusqua pas, elle avait sans doute l’habitude. Les coutures vertes de son uniforme la plaçait automatiquement dans un corps inférieur à celui des Forces Spéciales, malgré une différence de grade évidente. Un capitaine guidait un simple soldat. Diane se sentait ridicule, incapable d’asseoir son autorité. Elle était reconnaissante de l’aide et se laissa mener jusqu’à une capsule.
- Ton sac sous tes jambes. …Bonne chance.
La capitaine s’inclina de quelques centimètres et Diane en eut des frissons dans le dos. Elle se hâta de ranger son sac sous ses jambes et de s’attacher. Le respect donné aux Forces Spéciales ressemblait fortement à celui dû aux morts : une obligation vite passée. Mourir….l’atmosphère s’y plaisait bien. Elle regarda autour d’elle pour ne voir que métal et lustine, un matériel élastique et visqueux produit à partir des algues de l’océan. La capsule était encore vide, elle laissait les coups et grincements du système raisonner dans son silence. Une musique macabre pour accompagner une descente aux enfers ? L’air se fit plus lourd et Diane hésita à retirer son masque pour mieux respirer. Elle étouffait. Ses doigts glissèrent sous la toile avant de rapidement retourner sur ses jambes : la porte sifflait.
- Deux par deux ! En vitesse !
La foule brisa le silence et bientôt les quatre rangées en cercle furent remplies. Diane se décala légèrement : elle avait un quadruène à ses côtés. La masse de cette espèce s’adaptait mal aux sièges formés pour des humains. Elle ferma les yeux et essaya de s’habituer aux odeurs et à la chaleur nouvelle. D’expérience, la foule disparaitrait totalement une fois le deuxième sous-sol atteint. Une alarme retentit pour annoncer le scellement des portes. La jeune femme prit une inspiration et se boucha les oreilles. La capsule tomba en chute libre sur plusieurs mètres avant qu’un tunnel ne l’encadre pour la guider vers l’eau. Les ceintures cessèrent de creuser les épaules et Diane libéra ses oreilles ; seuls quelques hurlements perduraient, vite interrompus par la tape d’un voisin excédé. Le sien s’était tenu tranquille ; les quadruènes prenaient souvent les capsules pour leurs commerces. Ils devaient être habitués. L’eau noire dans laquelle ils coulaient ne devaient pas non plus les déranger, leur corps venait des profondeurs. La jeune femme s’écarta légèrement pour éviter le contact avec la peau écailleuse, priant pour qu’il ne le prenne pas mal. Elle aurait tout fait pour avoir à nouveau le luxe des capsules solitaires. Ses yeux se fixèrent sur l’indicateur de pression avant de se fermer. Encore quelques mètres et ils seraient déjà au premier sous-sol. Plus que six chutes libres.
Les deux dernières lui retournaient le ventre à chaque fois. Elle transpirait et ahanait à la dernière, en manque d’air. La pression s’était accentuée et tout son corps luttait contre les effets. Ses doigts s’accrochèrent à son siège et elle se força à ne plus bouger. Des formes bougeaient sous ses yeux, accrocs de lumière, faux mouvements. Diane pressa ses paupières. Elle crut sentir un mouvement d’air sur sa droite. Un voisin ? Elle regarda et sa bouche s’ouvrit sur un cri. Le quadruène ! Sa peau gluante à deux doigts de la sienne ! Les doigts de la créature approchèrent son masque pour le retirer et elle lâcha son siège pour malmener sa ceinture. Elle pouvait sentir l’humidité approcher sa joue, la …la toucher ? La jeune femme s’arrêta, les mains serrant sa sécurité. Il ne pouvait pas la toucher, elle portait un masque. Horrifiée, elle lâcha prise et se rencogna dans son siège alors qu’un choc sourd secouait la cellule.
Idiote ! Se faire avoir par des hallucinations ! Encore à présent ! Des jurons lui échappèrent et elle resta tendue jusqu’à sentir les griffes métalliques attraper la capsule pour la diriger vers l’espace d’arrivée. La sécurité de sa ceinture se désactiva et elle put enfin se lever, attraper son sac et sortir aux travers des multiples sas. L’air et la pression redevenait normaux au fur et à mesure de son avancée et bientôt elle put à nouveau se concentrer sur sa mission. Elle marcha plus vite, traversant des couloirs vides et rouillés. L’installation du dernier sous-sol lui fichait des frissons à chaque fois, son imagination partait en roue libre et elle aurait pu jurer que les créatures avaient enfin réussi à les envahir. Elle arriva presque en courant au contrôle d’identité.
- Ils vous attendent près de la Porte. A droite.
Le garde plaqua un troisième sceau d’autorisation sur ses papiers et elle plongea sa main dans l’eau visqueuse du détecteur. Son bracelet émit une faible lueur avant que la barrière de sécurité ne se lève et qu’elle puisse partir aux croisements. A droite. La première à droite ? Deuxième ? Diane réprima son angoisse et choisit la première, au pire, elle se perdrait et devrait rebrousser chemin. C’était une zone sûre. Pas de monstres. Ses pas résonnaient le long de tuyaux vides et elle accéléra le rythme jusqu’à presque courir. Le froid laissa lentement place à une chaleur de plus en plus forte : la Porte. L’énergie nécessaire à son déploiement aurait pu soutenir plusieurs étages durant plusieurs années. Diane n’avait aucune idée du comment de son fonctionnement et juste là, préférait ne rien savoir. Elle l’avait utilisée plusieurs fois en tant que touriste, sans jamais vraiment être curieuse. La Porte la transportait vers d’autres mondes, voilà tout.
Le corridor s’arrêta devant une paroi coulissante. Diane glissa son bracelet contre et quitta la zone intermédiaire pour celle de départ. Un soldat vérifia une nouvelle fois ses accréditations avant de pointer vers la silhouette d’une femme.
- Vous vous croyez suffisamment importante pour vous permettre du retard ? Au prix de l’ouverture de Porte ?! Magnez-vous !
- La capitaine Elizabeth Lin V est responsable des départs aujourd’hui. Suivez-là.
Diane hocha légèrement la tête et se dirigea rapidement vers sa supérieure. Les galons aux épaules de cette dernière luisaient encore, fraîchement attachés sur l’uniforme : elle faisait régner la terreur depuis peu aux alentours de la Porte. Les yeux d’Elizabeth transpercèrent la jeune recrue pour l’analyser.
- J’ai lu votre dossier. Une privilégiée. Essayez de ne pas ruiner la mission pour la dernière robe à la mode.
Le ton était moqueur. Diane resta calme et ne réagit pas ; elle avait fait le processus de recrutement comme tout le monde. L’attaque était facile et minable. Ses yeux s’ancrèrent dans ceux de sa supérieure et elle attendit. Elizabeth grogna et lui jeta un paquet dans les bras.
- Par ici. Aucun objet personnel n’est autorisé pour votre mission. Votre bracelet de communication et le Gühl. Rien de plus.
Ils pénètrent dans un vestiaire et la cheffe pointa vers un bocal au contenu visqueux. Un monstre miniature y attendait la nouvelle. Elle observa la chose d’un air dégouté, incapable de s’habituer à cette étape du voyage. Impatientée, son aînée attrapa le couvercle pour libérer la chose et pointa le récipient sur le visage de Diane. Avec un bruit surexcité, le Gülh se jeta sur sa victime et s’étala tout autour de sa tête.
- Respirez !!
Diane ouvrit la bouche et eut un haut-le-cœur en sentant un peu de la bave de l’animal se répandre sur sa langue. Elle se hâta de prendre une respiration. La tête lui tournait. Appuyée contre une paroi, elle s’offrit quelques secondes pour récupérer avant de se tourner vers le panneau réfléchissant. La bête avait totalement absorbé sa tête lui donnant un air de créature des mers au corps humains. Son visage, ses cheveux, tout était recouvert d’une couche verte aux allures de carapace. Elizabeth lui fourra une image dans la main. Se concentrer. La jeune femme ferma les yeux pour rassembler ses pensées et faire le vide. Elle leva le bras, prit une inspiration et ouvrit les yeux.
La créature s’immisça dans son col pour s’étendre sur la totalité de son corps. Une jeune femme d’Asie de l’Est se tenait bientôt à la place de la militaire. Fine et frêle d’aspect, avec de longs cheveux noirs et une frange pour accentuer un visage déjà petit et volontaire. Diane leva un peu plus l’image pour se comparer à la photographie et corriger quelques détails. Les cheveux s’allongèrent un peu plus et le nez se fit plus droit encore. Satisfaite, elle se tourna vers sa supérieure pour récupérer ses habits : son corps flottait dans sa combinaison. Elle ne sentait pourtant aucune différence dans ses capacités physiques et faillit déchirer la toile délicate d’un T-shirt de soie.
- Doucement ! Ca vaut une fortune sur Terre !
- Je suis riche ?
- Tae Chun Hei est riche. Tu vas prendre sa place le temps de cette mission. C’est une riche héritière aux tendances malignes.
Diane hocha la tête, le rôle lui convenait à merveilles, pas étonnant qu’elle ait été choisie pour cette mission. Elle avait été une riche héritière durant les dix-sept premières années de sa vie. La soie sur son corps lui semblait pourtant aujourd’hui aussi étrangère que le froid des bijoux. Les années de privation avaient estompé ses habitudes et elle dû s’y prendre à plusieurs fois avant de retrouver son ancien port de tête. Le dos droit, le menton au ciel.
- La Porte va s’ouvrir. On a plus le temps.
Elizabeth lui tendit son sac et la poussa vers la sortie. Les documents de mission se trouvaient dans la poche intérieure, elle aurait tout le temps de les lire avant d’arriver à destination une fois la Porte traversée. Paris d’abord, puis Grenoble. Diane écoutait les instructions distraitement, captivée par l’action de la bestiole sur son corps. Elle ne sentait qu’un léger pincement à la nuque lorsqu’elle se nourrissait de son sang. Ses membres lui obéissaient toujours avec autant de précision et pourtant, ils étaient bien plus menus. Aucun problème d’adaptation.
- Soldat !
Elle sursauta et glissa ses mains derrière son cou pour retirer le Gühl. C’était une mauvaise idée de voyager entre deux mondes avec. Sa supérieure lui attrapa la main et la tira avec elle.
- Inutile de l’enlever.
- Mais…
- Pas le temps pour ces conneries. Les horaires d’ouverture ont déjà été décidé, plus que quelques minutes !
Avec un claquement de langue agacé, la capitaine emmena sa recrue au travers des sécurités jusqu’au centre de la zone de départ. Diane s’était brièvement arrêtée à l’entrée, le spectacle était toujours aussi grandiose : le métal de la porte avait glissé sur le côté pour révéler une pièce au plafond de coupole, haut comme six hommes. Des inscriptions magiques flamboyaient d’énergie tout au long du toit, descendant le long des murs jusqu’à s’étendre sur tout le seul. Soixante-quatre artefacts avaient été encastrés le long des inscriptions en un schéma complexe. La jeune femme s’avança dans la pièce et sentit le courant remonter le long de son corps pour l’électrifier légèrement.
Elle leva les yeux pour observer le dôme et compter le nombre de caractères magiques. Elle supposait que les traits reliant un caractère à un autre devait aider au transfert de l’énergie et que les milliers de pierres enchâssées dans les murs permettaient aux informations d’être stockées avant d’être utilisées. De mémoire, la Porte fonctionnait dans un mélange de technologie informatique humaine et d’énergie magique. Son fils avait essayé de le lui expliquer une fois et avait froncé le nez à ce mot. Magie. Il ne l’aimait pas. Rien avoir avec les inventions stupides des escrocs. La magie, ça n’existait pas. C’était simplement un vieux terme pour nommer une énergie inconnue. Une merveille de technologie. Elle s’avança jusqu’au centre de la zone.
- Je suis ravie de vous voir sourire, aucune appréhension face au voyage ?
- J’ai déjà pris la Porte de nombreuses fois.
- J’oubliais que vous aviez été une ….
Diane resta stoïque sous l’insulte. Les basses classes détestaient ceux du premier Niveau, à raison parfois. Qu’importe, elle n’en faisait plus partie à présent. Sans pourtant faire partie d’un autre niveau. C’était peut-être pour ça qu’elle avait hâte de partir sur Terre. Elle n’avait plus sa place ici.
- Votre contact vous attendra à Grenoble. Bonne chance.
La capitaine salua avant d’évacuer la salle pour aller se mettre à l’abris. Diane ferma les yeux et se concentra sur l’énergie qu’elle sentait désormais irradier de partout. Des picotements désagréables se répandirent le long de sa peau et elle pria brièvement pour que la bestiole ne se fonde pas en elle. Il existait des histoires sordides sur les mélanges d’énergie et les imbéciles qui fusionnaient avec leurs artefacts. Ne pas porter d’éléments dangereux ou vivants sur soit sous peine de fusion. L’armée n’en avait apparemment rien à faire. Restait à prier qu’elle ne deviendrait pas une mutante.
L’air se mit à vibrer autour des caractères. Elle pouvait le sentir sans même ouvrir les yeux. L’atmosphère devenait de plus en plus lourde et bientôt ce fut comme si elle avait plongé dans un miasme. Le liquide s’infiltra partout sous ses habits, puis sous sa peau, entre ses cellules, entre ses atomes, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus une et que sa copie ait été transférée dans un autre bassin. Diane étouffa. Son coeur avait redémarré avant ses poumons. Elle prit une première respiration douloureuse et toussa. Ses jambes bougèrent légèrement, tandis que ses mains refusaient encore de lui obéir.
- Attendez une minute. Votre transfert n’est pas terminé.
La voix avait explosé dans sa tête et elle essaya d’ouvrir les yeux. Ses canaux nerveux furent exposés à l’air libre. Elle hurla de douleur.
- Attendez j’ai dit ! Bon sang ! quelle idée de se transférer en portant un Ghul aussi ! On vous a jamais dit que c’était une connerie à ne pas faire !!!
Une ribambelle de jurons éclata en elle dans un regain d’énergie. Heureusement que ses membres ne fonctionnaient plus, elle aurait pu tuer quelqu’un. Diane s’accrocha à sa colère pour ne pas paniquer et continua à essayer de bouger. Elle ne voulait surtout pas penser au Ghul accroché à sa peau ni aux risques de finir mutante, défigurée, inopérable. Si elle perdait ce travail, c’était la fin. Son père ne lui permettrait plus jamais de voir son fils. Si l’armée l’autorisait à retourner en espace public. Sa tête tournait. Elle avait beau tout faire pour ne pas penser, les peurs remontaient.
- Calmez-vous…vos signes vitaux sont par la fenêtre.
Une odeur douce. Diane essaya à nouveau d’ouvrir les yeux. La lumière avait été coupée. Des mains l’attrapèrent pour la hisser sur une couchette et elle se sentit transportée. Ils évacuaient la salle avant une autre arrivée sans doute. La jeune femme se concentra sur ses membres, encore une fois. Cette fois-ci, sa main bougea. Une vague de soulagement la traversa et elle s’acharna jusqu’à récupérer un semblant d’autorité sur son corps. Elle réussissait à fermer le poing quand son chariot s’arrêta.
- Je vais vous aider à marcher. C’est votre première mission ? Ces imbéciles ont dû vouloir vous bizuter. Ils ont été trop loin cette fois !
La voix pestait, insultant les crétins de l’armée et leurs idées suicidaires. Diane se laissa soulever et transféra lentement son poids sur ses jambes. Ses genoux fuirent la bataille et elle s’accrocha à l’autre. Il continuait d’incendier les responsables, une mélodie aux oreilles de la jeune femme. Elle retrouvait lentement possession de son corps et fut capable de s’asseoir sur le lit d’infirmerie pour observer son environnement. La pénombre de la pièce rendit sa tâche difficile, mais elle reconnut les emblèmes de son unité militaire et les larges toges aux couleurs de son monde.
- Je suis…
- A Paris. Comme prévu. Hormis votre connerie, le transfert c’est bien passé. Vous allez me boire ça, le Ghül déteste le goût, ça devrait hâter le dissociement.
Agripper le verre et boire fut une autre épreuve, mais la phrase avait rassuré Diane. Hâter. Donc elle n’était pas devenue une mutante. Apaisée, elle s’appliqua à vider la potion avec une grimace dégoûtée. Elle compatissait avec la bestiole. Ce truc était dégoutant.
- Je dois prendre le train.
- Pas avant une heure. Vous allez dormir, pas question de vous voir partir et nous faire un 404 en pleine zone civile.
La recrue voulut protester, mais son corps s’était à nouveau fait lourd. Il avait dû placer des somnifères dans la boisson. Un 404 ? Elle gratta ses vagues souvenirs diplomatiques et plissa le nez. Une rupture du secret et une anomalie magique en zone non éduquée. Ses yeux se fermèrent et elle s’allongea pour ne pas tomber. Dormir n’était pas plus mal, mieux que se transformer en crapaud au milieu d’un train. Probablement.
Je suis contente d'avoir pu découvrir ce chapitre dans son entier après avoir eu droit à un extrait en avant-première ! ;)
C'est peut-être parce que je suis du genre "bon public", mais je me suis vite attachée à Diane et à son histoire, bien qu'on en sache très peu à son sujet. J'ai l'impression qu'elle n'a pas vraiment eu le choix de sa "profession" et, visiblement, ce n'est pas le genre de sort que les autres envient.
J'ai beaucoup aimé l'idée de la traversée des différents étages par des chutes libres. Quoique.. si j'avais dû l'expérimenter moi-même, j'aurais probablement détesté ça ! xD
Et l'image du Gühl qui saute à la tête m'a d'abord renvoyée à Alien : même si la capacité de changer d'apparence c'est plutôt cool, le processus pour y parvenir semble désagréable au possible !
En tout cas, bien qu'on ne sache pas encore exactement en quoi va consister cette première mission, tout cela a éveillé ma curiosité !